Droits des femmes: la duplicité des propos du Pape François

« Tueurs à gage » : c’est ainsi que le Pape François a qualifié les médecins pratiquant l’avortement, le 10 octobre 2018 lors d’une interview. Michel Debout, professeur émérite de médecine légale et de droit de la santé, membre associé au Conseil économique, social et environnemental et administrateur de la Fondation Jean-Jaurès, revient sur les propos du Pape François et sur les positions conservatrices de l’Église catholique à l’égard de la santé et des droits sexuels et reproductifs des femmes. Il plaide également pour l’abrogation en France de l’article 162-8 de la loi Veil relatif à la clause de conscience des médecins.

Lors de sa bénédiction « urbi et orbi » le 25 décembre 2018 place Saint-Pierre, le Pape François a exhorté les habitants du monde à « la fraternité entre les personnes d’idées différentes, mais capables de se respecter et d’écouter l’autre ». Cet appel vaut-il aussi lorsque l’autre est une femme ? On peut en douter lorsque l’on se rappelle la harangue haineuse de ce même Pape contre les praticiens de l’interruption volontaire de grossesse, le 10 octobre 2018, déjà sur la place Saint-Pierre. 

Le Pape François, qui a souvent appelé les catholiques à se préoccuper des souffrances humaines face aux violences et aux injustices de la société, venait de reprendre à son compte ce qu’il y a de plus archaïque et de plus machiste dans les positions de l’Église catholique : son obsession à contenir la sexualité de la femme dans une chasteté reproductive. C’est pourquoi il condamne sans appel le droit à l’avortement et il compare sans autre forme de nuance les médecins pratiquant les interruptions volontaires de grossesse (IVG) à des « tueurs à gage » ! 

Une telle qualification venant de l’autorité morale qu’il représente, pour plus d’un milliard de croyants, peut constituer un véritable appel au meurtre : ceux qui tuent méritent le châtiment suprême, ce qu’a d’ailleurs subi, aux États-Unis, un médecin ayant pratiqué l’avortementassassiné pour ce seul motif. Le ministère de la Justice et le Parquet chargé de la répression des propos racistes, xénophobes et les appels au meurtre devraient examiner le point de savoir s’il n’y a pas lieu de poursuivre l’auteur de telles violences symboliques. 

J’ai, dès le début des années 1970, pratiqué ouvertement des avortements illégaux, dans le but de faire changer la loi de 1920 qui qualifiait l’avortement d’acte criminel, et je mets au défi sa Sainteté François de me dire en face que je suis un « assassin multirécidiviste ». 

Dénonciation des femmes qui avortent et protection des hommes pédophiles

Si l’intention du Pape est de condamner moralement tous les criminels qui polluent la société en échappant à la justice, il doit regarder plutôt du côté du Vatican qui protège des milliers de prêtres pédophiles. Pourquoi a-t-il fallu que tant de scandales éclatent en France, en Irlande, en Pensylvannie… pour que le Pape exprime sa honte et sa souffrance face à ces « crimes ignobles » ? Pourquoi ne pas s’en référer d’abord à la justice des hommes ? Je sais, par métier, les ravages psychologiques – au-delà du traumatisme physique et sexuel – que provoquent chez les jeunes victimes ces agressions sexuelles qui les marqueront toute leur vie durant.

L’Église catholique a décidemment beaucoup de difficultés avec la sexualité humaine ! Comment oublier que l’un des prédécesseurs du Pape François, le Pape Jean-Paul II, champion proclamé des droits de l‘Homme, n’a pas hésité à condamner de façon absolue l’usage des préservatifs en pleine pandémie du sida, vouant des milliers de croyants, souvent parmi les plus démunis, à une mort certaine ? Comment ne pas évoquer ici la parole de l’Apôtre Paul qui dans sa Première Lettre observe : « celui qui prétend aimer Dieu qu’il ne voit pas et qui n’aime pas son frère (sa sœur) qu’il voit, celui-là est un menteur » ? 

Encore un effort monsieur le président de l’Ordre national des médecins !

J’ai appris avec beaucoup de satisfaction la réaction indignée du président du Conseil de l’Ordre des médecins, le docteur Patrick Bouet, au propos papal, venant en contrepoint heureux à l’attitude scandaleuse de ce même Ordre au moment du vote de la Loi Veil. Le professeur Lortat-Jacob alors président de l’Ordre des médecins défendait à cette époque, au nom de tous les médecins français, la même idéologie que celle qu’exprime aujourd’hui le Pape François. Cela m’a amené à l’automne 1974 avec mon ami et collègue Daniel Balvet à refuser de payer mes cotisations ordinales pourtant obligatoires.

C’est d’abord la mobilisation des femmes et de certains citoyens souvent professionnels de santé qui ont, à la suite de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi, mobilisé la société civile pour faire changer la loi. Les députés de gauche notamment du Parti socialiste de François Mitterrand et de Gaston Defferre, président du groupe à l’Assemblée nationale, ont permis le vote de la Loi Veil, loi de compromis qui, bien que défendant l’essentiel (la possibilité pour la femme de recourir à l’IVG), contient un article visant à apaiser les ardeurs liberticides des instances catholiques et médicales de l’époque. Cet article souvent nommé « clause de conscience » dispose que tout médecin confronté à la demande d’une femme peut lui annoncer qu’il refuse de l’accompagner dans sa démarche.

J’avais dénoncé à l’époque le contenu de cet article, tout en approuvant le vote de la loi, parce qu’il laissait à penser que seuls les médecins opposés à l’avortement avaient une conscience, alors que je revendique pleinement ma conscience de citoyen et de médecin, pour ne pas abandonner une femme à la mort, à la mutilation, à la culpabilité, provoquées par le recours à l’avortement clandestin.

Plus fondamentalement, cette clause s’oppose à l’esprit même du Code de déontologie dont l’Ordre des médecins est le garant, qui impose au médecin de ne refuser aucun soin à toute personne dont il réprouve les actions et la pensée. Dans sa relation à l’autre, la seule règle que le praticien doit observer, c’est l’utilité de son acte pour le bien-être du patient ; il ne peut imposer sa propre idéologie dans ses choix thérapeutiques.

J’invite le président de l’Ordre à soutenir la démarche de plusieurs députés qui demandent que l’Assemblée nationale abroge l’article 162-8 de la loi sur l’IVG.

 

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