Les arbitrages du Grand Paris Express : consolider le projet et favoriser le désengorgement de l’existant

Quel est l’arbitrage rendu par les pouvoirs publics sur les programmes engagés dans le cadre du Grand Paris Express ? Revenant sur le point fait par le Premier ministre le 22 février 2018, Alexandre Faure, doctorant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), décrypte les conséquences de ces choix gouvernementaux.

Le 22 février dernier, le Premier ministre, Édouard Philippe, a fait le point sur le Grand Paris Express suite au rapport de la Cours des comptes. Comme je l’ai expliqué dans une précédente tribune pour la Fondation Jean-Jaurès, ce rapport n’a pas voulu s’attaquer à l’intégrité du projet, mais à la mauvaise préparation de la Société du Grand Paris face à l’ampleur des programmes engagés. Fort de ce constat, il semble évident que le gouvernement a suivi les recommandations en préférant diluer le calendrier de la construction du Grand Paris Express afin de ne pas surcharger un marché très restreint. Cette surcharge est au cœur de l’économie du projet. Vouloir faire tout très vite, comme le voulait Manuel Valls (ancien Premier ministre et maire d’Évry), avait comme principale conséquence de créer une surchauffe dans le secteur du bâtiment et notamment sur le marché des tunneliers, entraînant potentiellement une augmentation des coûts (augmentation de la demande sur une offre stagnante). Dans ce cadre, il a fallu faire des choix entre les lignes et les stations.

Le calendrier de ce Grand Paris Express nouvelle version intègre les Jeux olympiques comme élément central. En effet, en ayant obtenu l’organisation des Jeux de 2024, la France s’est engagée à construire les infrastructures d’accueil des athlètes autour des nouvelles infrastructures de transports en Seine-Saint-Denis. Cela crée une inertie dans les choix à opérer pour le nouveau calendrier. Le tronçon de la ligne 16 entre Saint-Denis-Pleyel et Clichy-Montfermeil devra voir le jour avant 2024. Cela comprend des interconnexions avec les lignes 14 et 7 du métro (stations Saint-Denis et Le Bourget) ainsi que plusieurs interconnexions avec le RER B et D (stations Saint-Denis, Le Bourget, Sevran-Beaudottes et Sevran-Livry). Bien au-delà des seuls Jeux olympiques, ce tronçon est essentiel pour développer les radiales dans ce secteur et désenclaver les villes du Blanc-Mesnil, d’Aulnay, de Clichy et de Montfermeil. En effet, ce sont des lieux qui symbolisent toutes les ruptures franciliennes et françaises, mettant en lumière les inégalités sociales, territoriales et économiques. En plus du désenclavement de certains territoires, cette ligne a pour objectif de soulager les lignes existantes en proposant des trajets alternatifs. Le réseau en étoile et concentré sur Paris sera amélioré d’une rocade de métro permettant de faire des trajets allant de banlieue à banlieue sans passer par le centre. Il est difficile aujourd’hui de savoir exactement l’amplitude du trafic, notamment concernant les reports modaux venant des usagers de moyens de transports individuels. Une autre difficulté est de savoir si ces ouvertures permettront réellement aux habitants de ces quartiers parfois difficiles d’avoir un accès amélioré au marché du travail et aux services métropolitains présents sur d’autres secteurs que les leurs. Une certitude émerge cependant, ces nouvelles stations participeront à la transformation de ces quartiers en favorisant la construction de nouveaux logements et l’installation de nouvelles activités (sans que l’on sache dans quelle proportion). La concomitance de programmes de l’Anru et la volonté de favoriser la mixité sociale auront certainement comme conséquence de faire s’éloigner une partie de la population la plus démunie. Si l’augmentation de mixité sociale est à coup sûr une bonne nouvelle, le sort des plus pauvres doit absolument être pris en compte pour qu’ils ne soient pas laissés en proie aux spéculations, sans quoi ce projet du Grand Paris Express sera en partie dévoyé.

La deuxième confirmation pour l’horizon 2024 concerne les lignes 14, 17 et 15. Ces lignes sont considérées comme vitale dans le sens où ce sont celles qui auraient le plus d’impact sur les déplacements en Île-de-France. La 14 Nord est particulièrement attendue, car elle devrait permettre de désengorger le ligne 13 et de renforcer l’attractivité de ce secteur géographique plutôt défavorisé socialement et économiquement. La ligne 13 souffre d’une fréquentation très importante et d’un fonctionnement en fourche (direction Saint-Denis et Gennevilliers) qui limite fortement la capacité de la RATP à augmenter la cadence des rames. L’arrivée de la 14 améliorerait le confort des usagers mais aussi la ponctualité de la ligne 13. Dans un autre domaine, la ligne 15 Sud entre Pont-de-Sèvres et Noisy-Champs représente une grande partie du projet (seize stations et deux centres d’exploitation). Elle aurait aussi pour avantage de désengorger la ligne A du RER, une autre des lignes en difficulté dans l’agglomération. La priorité est donc mise sur la construction des stations et des lignes permettant d’améliorer les conditions de transport et de faciliter l’exploitation des infrastructures existantes. Il s’agit de rattraper les manques d’investissement des dernières décennies dans le but de créer des alternatives.

L’arbitrage porte sur le décalage des lignes 17 et 18, ainsi que certains morceaux de la ligne 15 et 16. La ligne 17 qui doit amener du Triangle de Gonesse (2027) au Mesnil-Amelot (2030) a certainement été un choix plus facile face aux difficultés de l’entreprise Auchan de faire aboutir son projet EuropaCity. En mars, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l’arrété préfectoral de création de la Zac dite du Triangle de Gonesse. L’impact environnemental aurait été mésestimé, notamment du fait du recul sur le calendrier du Grand Paris Express. Le Premier ministre était-il au courant de la future décision du tribunal lors de son arbitrage, ou l’arbitrage a-t-il joué en la défaveur du projet devant le tribunal, il serait intéressant de se poser la question. En tout état de cause, ce prolongement, certainement celui qui pose le plus question, est aujourd’hui le plus précaire. Peut-être faudrait-il repenser ce tronçon et concentrer les efforts financiers sur le développement des lignes de rabattement pour améliorer l’accès au nouveau réseau.

La ligne 18 au sud, vers Versailles et Saclay, est elle aussi à horizon lointain (2030), pour diverses raisons. C’est tout d’abord le tronçon le plus éloigné. C’est aussi celui qui touche des zones moins urbanisées (relativement aux autres lignes). Le fait que Saclay ne trouve pas son rythme de croisière et que les acteurs académiques et économiques n’arrivent pas à former le fameux grand campus français joue peut-être dans la balance pour ne pas accélérer les choses.

Enfin, le bouclage de la ligne 15 Ouest et Est permettra de remplir entièrement la mission de cette rocade en permettant aux habitants des banlieues de ne plus dépendre de Paris et de ses centres névralgiques. Il est évident que la décongestion améliorera l’ensemble du réseau, que ce soit en termes de confort, de régularité et de service.

Pour résumer en quelques mots l’arbitrage fait par le Premier ministre, il faut retenir un calendrier élargi par rapport à celui de 2013 et une priorité donnée à la décongestion de l’existant, aux Jeux olympiques et à la Seine-Saint-Denis. L’horizon est plus lointain pour les lignes du Val-de-Marne et du sud des Hauts-de-Seine, avec l’objectif de désengorger les lignes de RER, mais également pour les lignes les moins importantes, notamment Saclay et le Triangle de Gonesse dont les projets patinent. Finalement, le projet est sur la bonne voie et le gouvernement maintient l’essentiel. Il ne fait aucun doute que ce projet sera bénéfique à une grande partie du territoire de la première couronne. Il faut maintenant s’attaquer aux infrastructures de seconde couronne et limiter la casse au niveau social.

 

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