Non, les phénomènes Trump et Le Pen ne sont pas les mêmes

On pourrait croire que la composition sociologique et les motivations du vote en faveur du candidat républicain, aux États-Unis, valident les choix politiques de Marine Le Pen. Cela serait ignorer que Donald Trump a gagné à la faveur d’une mutation totale du parti qu’il représentait, alors que le Front national reste à la marge du système politique.

Disons-le d’emblée : oui, il y a des similitudes entre l’électorat de Donald Trump et celui de Marine Le Pen. Le premier a été élu par cette partie de l’Amérique semblable à ces Français que la seconde appelle « les oubliés » : le cœur de son électorat est effectivement composé d’hommes blancs socialement assimilables aux « cols bleus », dont le niveau d’éducation est inférieur au «college», ce qui chez nous signifierait qu’ils n’ont pas atteint le bac.

Mais la similitude entre ces catégories sociales et la cible première du Front national ne doit pas masquer des différences essentielles, la principale étant que Trump a conquis la moitié des électeurs appartenant aux couches les plus élevées de revenus. De même, les facteurs socio-économiques, même s’ils ont été déterminants dans la victoire de Trump, ne doivent pas éclipser les deux sujets majeurs qu’ont été la demande de verticalité (ou demande «autoritaire») et le nativisme, concept qui peut être rapproché de la «préférence nationale» sans en être l’équivalent exact. En effet, il ne suppose pas seulement une volonté de contrôler strictement l’immigration mais aussi une forme de conscience nationale à base ethnico-religieuse, allant au-delà du facteur proprement «racial».

La recette de Trump n’est donc pas automatiquement transposable et même si le Front national donne à sa victoire une dimension « révolutionnaire », dans le sens où elle porte au pouvoir un homme qui veut renverser la table et déjoue tous les pronostics, même si elle consacre bien la revanche «du peuple» sur les «élites», elle n’a été possible que pour des raisons proprement américaines, tenant d’une part au système électoral, d’autre part à la décomposition idéologique du conservatisme traditionnel.

Rappelons-le : Hillary Clinton est majoritaire en voix et n’est battue que par le vote des grands électeurs, transposition du caractère fédéral des États-Unis où le thème de l’État-minimum signifie, autant que sa non-intervention dans le fonctionnement du marché, la dévolution du plus de pouvoirs possible aux États, soit le strict opposé du centralisme jacobin frontiste. Trump a beau se présenter comme un «outsider», il a été investi par la convention républicaine, c’est-à-dire qu’il a vaincu au terme d’un processus qui, en France, serait bien plus la prise en mains complète de Les Républicains par la «droite hors les murs» (ensuite alliée au FN) que la conquête du pouvoir par le seul Front national.

Ce que ne voit pas le FN (mais pas davantage la majorité des commentateurs…), c’est que, dans la victoire de Trump, la détestation par la base républicaine de ses propres élites compte autant que le degré de rejet du «système» par la majorité des électeurs. Le conservatisme bien élevé de la National Review a perdu ; celui, trop intellectuel, du passionnant American Conservative, aussi. On peut en déduire que l’équivalent français de la «révolution Trump» peut certes être une victoire à terme du Front national. Mais aussi qu’il peut s’agir de la victoire d’une droite mainstream tournant définitivement le dos au libre-échangisme, au mépris de classe et au multiculturalisme.

 

Cet article a été publié pour L’Œil sur le Front, un projet en partenariat avec Libération et la Netscouade.

 

 

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