Paroles de Français : « la campagne va-t-elle enfin commencer !? »

Avant le débat télévisé du 20 mars, les enquêtes montrent que les Français sont lassés de cette campagne. Ils souhaitent qu’on parle de la France, de son avenir, de ce qui la tient ensemble, de ce qu’elle peut être et faire dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Ils souhaitent qu’on parle de leurs doutes, de leurs espoirs et de leurs difficultés au quotidien. En somme, ils veulent un débat de fond afin de « voter ‘pour’ un candidat et non pas ‘contre’ ». L’Observatoire de l’opinion analyse des verbatims.

Voilà… la « drôle de campagne » : une campagne qui envahit tout l’espace sans avoir réellement commencé, une campagne dont on attend des réponses essentielles pour l’avenir du pays mais qui suscite déception et désarroi. Le suivi qualitatif de l’opinion, effectué notamment à travers la « communauté présidentielle 2017 » Kantar Public-Krealinks, rend compte de ces réactions des Français. Chômage, pouvoir d’achat et cohésion du pays restent des préoccupations centrales, nourrissant un sentiment d’urgence d’autant plus aigu que le contexte paraît lourd, le monde dur et instable, et les repères voler en éclat. Les attentes sont immenses. Le destin de la France et de l’Europe, Donald Trump, Vladimir Poutine, les mutations économiques, le passage à une société plus respectueuse de l’environnement, les difficultés des territoires ruraux, le repli religieux, la République et l’affaiblissement de la cohésion nationale devraient être des sujets de l’élection présidentielle.

Or qu’entendent les Français? Des affaires qui entaillent la probité des candidats, et de la politique politicienne – chronique des ralliements, défections, come-back avorté de l’un, accords d’appareil de l’autre – qui paraissent éluder le débat d’idées. « Campagne? Mais quelle campagne? » entend-on. « C’est impressionnant le niveau d’occultation des questions de fond! ».

Comment dès lors s’étonner du taux d’incertitude ? Comment être surpris par la colère latente ? Les candidats parleront ce lundi 20 mars à des Français « désolés », « désespérés » par une campagne « navrante ». Des Français qui se sentent « dépossédés » de ce moment démocratique, central en France peut-être plus encore qu’ailleurs. Des Français médusés par « la pagaille à propos de tout, des programmes, de la gauche, de la droite ». Des Français qui ont « l’impression que ça n’avance pas. Ils ne parlent pas des classes moyennes, des familles ». « Ils ne sont pas conscients des problèmes du peuple ». Des Français inquiets « qu’il y ait autant de violence, moi ça fait peur. Les politiques sont là à faire les beaux, mais ils ne s’occupent pas des vrais problèmes ». Bref : « On ne sait pas où on va ».

Des Français, enfin, de plus en plus exaspérés. Par le comportement des prétendants, alors que eux sont « obligés de compter sous après sous ». Et « quand on n’entend pas les fraudes des uns et des autres, ce sont les candidats qui se critiquent entre eux ! ». Cette « guéguerre » politicienne, qui s’assimile à une lutte de places puisque les Français n’entendent pas les programmes, leur devient insupportable. « Ils se tirent dans les pattes, ne savent se valoriser qu’en cassant les autres ». « J’ai vraiment du mal à expliquer ça à mes filles, je ne sais même pas pour qui je vais voter ». 

Alors, ils disent en avoir « ras-le-bol ». « Ça ne m’intéresse pas », lit-on à longueur de colonnes. Les mots deviennent durs. « Pour moi, ils n’en ont rien à foutre de la France ». Cri du cœur symptomatique. Ce ne sont donc pas les électeurs qui n’ont ont « plus rien à faire, plus rien à foutre » de la politique, c’est l’inverse : ce sont les politiques qui n’auraient « plus rien à foutre» des Français… La défiance est devenue réciproque et la coupure, immense. Plus des trois quarts des Français ne font pas confiance aux politiques, mais inversons la question : « Pensez-vous que les hommes politiques font confiance aux citoyens » ? 75 % des Français pensent que non.

C’est avec tout cela en tête que les Français regarderont le débat – sans bienveillance mais ils seront sans doute nombreux, tant les enjeux sont existentiels et la campagne jusqu’à présent si pauvre. Avec cette formidable envie de politique et cette frustration non moins grande de voir les débats occulter les questions de fond.

Ils y attendront « du respect ». Et d’abord « du respect pour nous, les Français ». Ce qu’ils ne veulent pas voir est clair : « du blabla, des mensonges, des petites phrases chocs ». Ils redoutent un débat qui serait « une guerre des tranchées » et préviennent : « si c’est trop polémique je couperai ! ». Ils souhaitent que « les journalistes laissent les candidats s’exprimer sur des questions de fond, sur l’avenir de la France, et pas sur du buzz ». Ils en ont marre des commentaires qui « ne font ressortir que les côtés négatifs de tous ces débats. Ils commencent à me casser les pieds ! ».

Ils voudraient « enfin avoir une explication de leurs propositions ». « Je me demande lequel parlera de la France en premier… », dit l’un. Et au-delà des projets, ils espèrent pouvoir apprécier « les qualités humaines », l’éthique, le caractère et la stature de chacun. Ce débat aura valeur de « test de personnalités », de « résistance », « de comportements, de facilité ou non à s’expliquer, de capacité à ne pas s’énerver, à faire face ».

Alors journalistes, candidats, parlez de la France, de son avenir, de ce qui la tient ensemble, de ce qu’elle peut être et faire dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Parlez aux Français de leurs doutes, leurs espoirs et leurs difficultés au quotidien, dites-leur où vous voulez emmener le pays. Car à 40 jours d’une élection si déterminante, ils veulent pouvoir « voter ‘pour’ un candidat et non pas ‘contre’ ».

 

Dans les médias :
« Présidentielle : la campagne que veulent les Français » (Les Échos, 19 mars 2017) 

 

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