Pour en finir avec le président absolu

Une réforme du mode de scrutin pour les élections législatives, en instaurant notamment une dose de proportionnelle, doit s’accompagner d’une réflexion plus large sur la pratique actuelle de nos institutions, en revenant par exemple sur le calendrier électoral permettant l’organisation des élections législatives immédiatement après l’élection présidentielle ou sur les règles actuelles de qualification des candidats au second tour de l’élection présidentielle. C’est ce que défend dans cette tribune Michel Debout, professeur émérite de médecine légale et de droit de la santé, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental et membre fondateur de la Fondation Jean-Jaurès.

Il reste moins d’un an pour que soit débattue la réforme devant instaurer une dose de proportionnelle aux élections législatives. Cette décision est souvent présentée comme le « graal » devant réintroduire une représentation plus démocratique à l’Assemblée nationale, tenant compte du poids électif des forces politiques en présence et devant rééquilibrer le pouvoir législatif face à l’exécutif, et d’abord au président de la République.

Il est prévisible que tout le débat public s’organise autour de ce taux de proportionnelle que l’on va instiller dans un scrutin qui restera lié aux circonscriptions.

Pendant que les médias se saisiront des différentes hypothèses, que les commentateurs défendront un point de vue nuancé ou critique, l’essentiel sera tu : nos institutions et surtout leurs pratiques ont amené notre pays à vivre sous le régime de la présidence absolue (dont parlait déjà Alain Minc en 2008 !), comme jadis on a pu parler de monarchie absolue pour décrire le fonctionnement institutionnel du lointain Louis XIV ; ainsi le nouveau monde plonge loin ses racines dans l’histoire de notre pays !

L’élection d’Emmanuel Macron, qui a créé autour de sa seule personne le parti En marche ! et a choisi les futurs élus aux élections législatives, n’a fait que renforcer une tendance qui était déjà à l’œuvre du fait de l’instauration du quinquennat et de l’inversion de la séquence élection présidentielle-élections législatives. Cette dernière se tenant un mois après l’élection du président a de fait mis dans sa main tous les députés se réclamant de la majorité présidentielle. De la sorte, il n’y a plus de majorité présidentielle, il y a une majorité au service du président. 

On assiste ainsi à la dépendance du législatif par rapport à l’exécutif, ce qui nous amène à noter que notre République est de moins en moins démocratique.  

Une réforme décisive et ne nécessitant pourtant pas un changement constitutionnel serait d’organiser le même jour l’élection du président de la République et celle des députés, au premier comme au second tour.

Il y aurait ainsi une indépendance entre le président et les élus de l’Assemblée nationale. Il pourrait ainsi se constituer, à des degrés divers, une majorité politique conforme aux propositions du président ou en désaccord avec lui – c’est ce que l’on appelle la cohabitation qui, en trois périodes successives (président de gauche et majorité de droite ou inversement), a été, tout bien pesé, féconde et appréciée des citoyens français.

Mêmes jours et mêmes règles 

Une seconde réforme, plus difficile à mettre en œuvre puisqu’elle suppose un changement constitutionnel, devrait concerner les règles de l’élection présidentielle.

Cette élection à deux tours obligeant la sélection des deux seuls candidats arrivés en tête au premier enferme le choix politique, donc démocratique, dans un duo qui devient, au fil du temps, véritablement infernal…

Cette disposition, retenue dès la première élection du président de la république française au scrutin universel en 1965, avait pour but d’obtenir une majorité absolue de voix pour l’élu et de renforcer ainsi sa légitimité.

À deux occasions au moins, en 2002 et 2017, cette majorité fut une majorité de refus et non d’adhésion. Ainsi l’élection de Jacques Chirac en 2002 et celle d’Emmanuel Macron en 2017 illustrent l’impasse démocratique dans laquelle est enfermé le choix du président de la République, pourtant pièce maîtresse de notre dispositif institutionnel.

Cette « majorité d’illusion », que peut rassembler au deuxième tour le président, contribue, elle aussi, à instituer la présidence absolue. C’est pourquoi une seconde réforme devrait modifier la règle de sélection des candidats restés en lice au deuxième tour ; elle devrait être la même que celle qui régit l’élection des députés et permet dans nos 36 000 communes d’élire le maire. Pas un Français, pas un parti, pas un commentateur politique ne remet en cause la légitimité démocratique de ces élections. 

Il faut donc permettre à tous les candidats du premier tour de l’élection présidentielle qui ont franchi une barre significative de suffrages de concourir au second ; c’est alors que se constituerait véritablement une majorité présidentielle ayant un sens et une orientation politique, par le désistement de certains candidats, en faveur de celle ou celui du même camp, arrivé en tête au premier tour. On verra alors se réorganiser les deux blocs politiques principaux, gauche et droite, malgré la présence éventuelle du candidat du Rassemblement national qui, par deux fois, a totalement brouillé les cartes du choix démocratique du président de la République…

Il y a tout lieu de craindre qu’Emmanuel Macron, qui annonce à l’avance que la prochaine élection présidentielle le verra à nouveau affronter au deuxième tour à la candidate du Rassemblement national, ne retiendra pas cette proposition… Si tel est bien le cas, et pour sortir de ce guêpier institutionnel, les socialistes, communistes, radicaux, écologistes et insoumis n’ont pas d’autre choix que de bâtir dès le premier tour un rassemblement avec un candidat unique qui portera leur projet commun. Il revient à toutes les forces de gauche de construire dès maintenant ce projet.

Dans cette attente, pourquoi ne pas faire campagne sur une proposition simple dont les citoyens comprendront alors l’enjeu démocratique : « élections présidentielles et législatives : mêmes jours, mêmes règles » ?

 

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