Pourquoi Marine Le Pen salue la médiation française au Liban

Le Liban vit une situation de crise depuis la démission du Premier ministre Saad Hariri, refusée par le président Michel Aoun, puis la convocation en Arabie Saoudite du chef du gouvernement de Beyrouth. En jugeant positive l’action du président de la République française dans cette crise, la dirigeante du Front national sort de son attitude habituelle d’opposition systématique au gouvernement. Elle suit en fait une logique qu’il convient d’expliquer. 

Marine Le Pen a déclaré, le 19 novembre dernier dans l’émission Le Grand jury de RTL-Le Figaro-LCI : « Je crois qu’Emmanuel Macron a raison, je crois que le rôle de médiation que la France prend dans cette affaire est exactement le rôle qui doit être celui de la France ». 

Elle estime en outre qu’en agissant pour que Saad Hariri puisse quitter l’Arabie Saoudite, puis en le recevant la veille à l’Élysée, le président de la République n’a commis aucune ingérence dans les affaires intérieures libanaises. Elle ajoute même, dans une pique à l’égard de Riyadh, que « l’ingérence, ça a consisté à convoquer M. Hariri par l’Arabie Saoudite, à donner le sentiment qu’il était otage ». Elle revient ensuite sur une vieille proposition frontiste, l’interdiction de la double nationalité, en estimant que si le Premier ministre libanais a pu être convoqué puis, peut-être, retenu, c’est « du fait d’ailleurs de sa double nationalité, ça pose le problème de la double nationalité pour les dirigeants ». Elle conclut en saluant « cette volonté de ne pas prendre une partie contre l’autre comme l’ont fait d’autres ministres des Affaires étrangères par le passé, cette volonté de ne pas nous mettre intégralement entre les mains des monarchies du Golfe, de ne pas rentrer non plus dans le calendrier de M. Trump qui joue un peu les pyromanes dans ces dossiers », ce qui lui « apparaît être une position raisonnable et correspondre au rôle historique de la France ». Décryptons tout ceci.

Tout d’abord, Marine Le Pen s’intéresse de près au Liban, où elle s’est rendue en février 2017, lors de sa campagne pour l’élection présidentielle. Elle y a été reçue comme dans nul autre pays étranger hormis la Russie, ayant droit à une entrevue avec le président Aoun (la seule rencontre avec un chef d’État qu’elle ait alors réalisée, puisqu’elle ne rencontrera Vladimir Poutine que le 24 avril, avec une couverture médiatique bien plus faible qu’au Liban) et avec Saad Hariri lui-même. Comme nous l’avions expliqué à l’époque, cet intérêt frontiste pour le pays du Cèdre, qui dure depuis les débuts du Front national, découle de la volonté du parti d’assumer le rôle traditionnel de protecteur des chrétiens d’Orient qui échoit à la France, ainsi que de liens personnels et idéologiques tissés par des militants frontistes qui ont combattu dans les milices armées chrétiennes pendant la guerre civile libanaise de 1975 à 1982 – d’autres liens personnels existent, ainsi ceux du député Gilbert Collard, dont la mère est d’origine libanaise, avec le général Aoun, depuis que celui-ci a séjourné en exil à Marseille, en 1990. Mais depuis cette période, les cartes de la région ont été rebattues. Méfiant à l’égard du régime syrien de Hafez al Assad lorsque celui-ci était allié à l’URSS, le Front national considère désormais Damas comme un acteur majeur de la lutte prioritaire contre l’islam radical sunnite. C’est cette lutte prioritaire contre l’islamisme, y compris contre le wahabisme saoudien, qui incite Marine Le Pen à considérer de manière positive Saad Hariri, désormais en opposition frontale avec le nouveau pouvoir de la dynastie des Saoud. Et ce alors même que Saad Hariri, lorsqu’il avait reçu Marine Le Pen à Beyrouth, l’avait mise en garde en lui disant : « L’erreur la plus grave serait l’amalgame entre islam et musulmans d’une part, terrorisme d’autre part ». Mieux encore, le Front national félicite le président français d’avoir assuré la sécurité de Saad Hariri, alors même que celui-ci ne fait pas mystère de son hostilité envers le  régime syrien, puisqu’il le tient pour responsable de l’assassinat en 2005 de son père, Rafic Hariri. Les priorités frontistes de politique intérieure (contrer la montée du salafisme dont le berceau et nombre de financements sont saoudiens) rejoignent ici la traditionnelle proximité du parti avec les chrétiens du Liban. En effet le gouvernement Hariri formé en décembre 2016 inclut des ministres appartenant aux Forces libanaises (dont le chef, Samir Geagea, eut pour avocat l’actuel trésorier du Front national, Me Wallerand de Saint-Just) et d’autres venus du Courant patriotique libre du général Aoun, lui-même maronite.

Opposée au Qatar, qui fait l’objet depuis juin dernier d’un blocus imposé par l’Arabie Saoudite et ses alliés dans la région, Marine Le Pen peut désormais avancer qu’elle est absolument cohérente en refusant tout alignement sur un des protagonistes (fut-il l’ennemi de son ennemi) de la crise en cours dans la région du Golfe. Autre avantage pour elle de sa déclaration du 19 novembre : celle qui avait en vain cherché à rencontrer Donald Trump prend ses distances avec la politique moyen-orientale erratique du président américain, reçu chaleureusement en Arabie Saoudite en mai 2017 et qui vient de prendre parti pour le dauphin du roi Salmane contre les princes récemment arrêtés pour « corruption », en fait pour des motifs politiques. Traditionnellement modéré envers l’Iran, le Front national ne goûte sans doute pas, en outre, la véritable fixation du leader américain sur un renforcement des sanctions contre Téhéran, alors que l’Iran participe à la lutte contre Daesh (en propre et par Hezbollah interposé), qu’il est l’un des derniers soutiens de Bachar al Assad et qu’il est en bons termes avec Michel Aoun.

Ne négligeons pas, enfin, l’aspect électoral des choses. Au moins deux tiers des électeurs français du Liban ont la double nationalité. Ils avaient donné en 2012, 9% de leurs suffrages à Marine Le Pen et 12,29% en 2017 (premier tour) puis 31,37% (second tour). Des scores importants chez les électeurs de l’étranger, pourtant inquiets du fait de la volonté frontiste d’interdire la double nationalité, que plusieurs dizaines de milliers d’entre eux possèdent. Après avoir tenté de les rassurer en expliquant en février dernier au quotidien L’Orient-Le Jour que cette interdiction « ne se mettrait en œuvre que pour ceux qui acquerraient la double nationalité » et que, même, des accords bilatéraux pourraient déroger à la règle, elle leur envoie désormais un signal en disant que la France a raison d’œuvrer à la stabilité du Liban et à la protection d’un chef du gouvernement démocratiquement choisi. La phrase finale de l’interview en question était : « Je n’ai pas de sponsors libanais. Je ne viens pas les chercher non plus. Mais si des banques libanaises veulent me prêter de l’argent pour mon élection présidentielle, ils ont tout intérêt à le faire dans l’intérêt du développement du Liban ! ». Même après le scrutin et compte tenu de l’attitude des banques françaises à son égard, cet aspect des choses garde son importance.

 

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