Primaire de la droite : les frontistes ont préféré Fillon

La question de la participation des sympathisants frontistes lors du premier tour de la primaire de la droite et du centre a été moins évoquée que celle des sympathisants de gauche alors qu’elle a pesé significativement et qu’elle était potentiellement déterminante dans les résultats. Analyse avec Jérôme Fourquet en partenariat avec Libération et la Netscouade pour L’Œil sur le Front.

Il a beaucoup été question durant la campagne du premier tour de la primaire de la participation d’une frange de l’électorat de gauche à ce scrutin, scrutin s’adressant pourtant prioritairement à la droite et au centre. Après avoir dans un premier temps balayé d’un revers de main cette hypothèse que les sondages laissaient entrevoir, les soutiens de Nicolas Sarkozy en ont fait un argument de campagne destiné à remobiliser leur base : « des électeurs de gauche allaient s’infiltrer dans ce scrutin et voler aux électeurs de droite le droit de choisir le candidat de leur famille politique ». D’après les données d’enquête réalisées par différents instituts le jour du vote et dans l’entre-deux tours, cette inquiétude était en partie fondée. Les sympathisants de gauche ont en effet représenté 17% du corps électoral de la primaire, ce qui est beaucoup, mais de surcroît ils ont massivement voté pour un candidat en particulier : Alain Juppé. 30% des électeurs de ce dernier se revendiquent de gauche contre respectivement 10 % et 7 % dans les électorats filloniste et sarkozyste. Les très bons scores obtenus par le maire de Bordeaux dans les arrondissements de l’Est parisien ou en Seine-Saint-Denis par exemple traduisent bien l’apport substantiel qu’ont constitué ces « transfuges » dans sa qualification pour le second tour.   

Si cette question de l’influence des électeurs de gauche sur l’issue du premier tour de la primaire est donc centrale, la participation des sympathisants frontistes a été moins évoquée alors qu’elle a également pesé significativement et qu’elle était potentiellement déterminante dans la mesure où Nicolas Sarkozy avait en partie axé sa campagne en leur direction. Bien qu’ils n’aient pas été pris en compte par les concepteurs de la primaire, des électeurs frontistes ont néanmoins participé à ce scrutin. Ils ont ainsi représenté 11 % du corps électoral de la primaire, soit moins que ce qu’ont pesé les fameux « infiltrés » venant de la gauche. Outre ce poids plus faible, ils ont joué un rôle moins décisif dans l’établissement du rapport de forces car si les électeurs de gauche ont massivement voté Juppé (pour 52 % d’entre eux), les voix frontistes se sont réparties sur deux candidats. 43 % ont ainsi voté pour François Fillon contre 32 % pour Nicolas Sarkozy (et 14 % d’entre eux pour Alain Juppé). Cette concurrence sur ce segment électoral s’observe géographiquement. Ainsi par exemple, dans les fiefs gardois du FN que sont Saint-Gilles et Aigues-Mortes, Nicolas Sarkozy  est en tête avec respectivement 40,3 % et 46 % des voix mais son ancien Premier ministre n’est pas trop distancé avec respectivement 33,2 % et 36,4 % des voix. Même schéma dans le bassin minier du Pas-de-Calais, Nicolas Sarkozy vire en tête à Carvin (45,7 % contre 25,4 %) mais il est devancé à Dourges (35,5 % contre 40,5 %) et les deux candidats font quasiment jeu égal à Nœux-les-Mines (39,5 % contre 41 %).

L’exemple du Pas-de-Calais est intéressant car il illustre bien comment le positionnement programmatique de François Fillon lui a permis de capter une partie de cet électorat frontiste tout en préemptant l’électorat de droite plus aisé et conservateur : 56,8 % en sa faveur par exemple dans la commune balnéaire de Neufchatel-Hardelot contre seulement 20,7 % à Nicolas Sarkozy. À l’inverse, la campagne très droitière de ce dernier lui a aliéné une bonne partie de ce vote « bourgeois » tout en n’étant manifestement pas suffisante pour lui assurer un soutien massif des électeurs frontistes ayant voté à la primaire. Comme lors de l’élection présidentielle de 2012, on peut penser que le ton et le style de la campagne de l’ancien Président ont réactivé un sentiment de duperie et une volonté de sanction dans une bonne partie de cet électorat qui s’était laissé séduire en 2007 par la rupture sécuritaire, économique et identitaire promise à l’époque par Nicolas Sarkozy et qui est resté sur sa faim à l’issue de son quinquennat.

 

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