Conspirationnisme : un état des lieux

Pour l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation, le politologue Rudy Reichstadt analyse les ressorts et l’actualité d’un complotisme stimulé par les possibilités inédites que lui a offert Internet.

Les récents attentats de Paris ont mené les plus hautes autorités de l’État à poser le conspirationnisme comme un « problème public ». Rudy Reichstadt, fondateur du site ConspiracyWatch.info et membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, analyse ici les enjeux et l’actualité des théories complotistes dans notre pays. Si les théories du complot ont pu proliférer dans une indifférence politique et médiatique traduisant une réticence à leur faire une publicité indue, cette condamnation par le président de la République et certains ministres est inédite et peut changer la donne. De même, si l’analyse critique du conspirationnisme n’a pas toujours eu bonne presse, le débat est aujourd’hui prégnant pour savoir quelles réalités il recoupe précisément.

Selon la définition qu’en donne Rudy Reichstadt, le conspirationnisme est une tendance à attribuer abusivement l’origine d’un événement historique ou d’un fait social à un inavouable complot dont les auteurs présumés – ou ceux à qui il est réputé profiter – conspireraient, dans leur intérêt, à tenir cachée la vérité. On peut ainsi définir une théorie du complot comme un récit « alternatif » qui prétend bouleverser de manière significative la connaissance que nous avons d’un événement et donc concurrencer la « version » qui en est communément acceptée, stigmatisée comme « officielle ».

Si le conspirationnisme peut s’expliquer historiquement et sociologiquement, c’est bien le facteur technologique que représentent Internet et plus particulièrement les réseaux sociaux qui a levé le voile sur ces théories auparavant cantonnées à certaines franges, marginales, de la société. Leur diffusion s’est accélérée et Internet confère à des millions d’internautes anonymes un privilège d’extraterritorialité leur permettant de s’improviser « enquêteurs » ou « journalistes participatifs » sans avoir à rendre de comptes. Il offre en outre la possibilité de choisir, de manière consumériste, la version de la réalité qui conforte le plus ses propres représentations.

Rudy Reichstadt analyse ensuite les fonctions sociales et psychologiques de la théorie du complot. Effet de dévoilement, distinction sociale… autant de processus qui expliquent l’attractivité du complotisme. Le conspirationniste tire de son statut de minoritaire une force en se présentant comme un « chercheur de Vérité », un « résistant », voire un « dissident », se pensant en rupture avec une masse considérée comme apathique et inconsciente. Autre ressort de ce phénomène, celui d’un affranchissement d’un réel jugé inacceptable. La théorie du complot apparaît enfin comme une consolation, donnant l’illusion de pouvoir maîtriser l’immaîtrisable.

Le conspirationnisme consiste également en une offre politique. Sur Internet, la « complosphère », soit l’ensemble des sites et blogs qui consacrent une part prépondérante de leur activité à faire valoir une interprétation complotiste de l’actualité, assure la production de théories du complot en continu. Au sein de celle-ci, une mouvance est particulièrement prolifique qui communie dans un rejet du « Système » et un « antisionisme » radical relevant non pas de la critique de la politique d’Israël mais de la dénonciation hyperbolique d’une hydre fantasmatique, le « Sionisme », censé être à la source du malheur du monde, alimentant ainsi une paranoïa antisémite mâtinée de négationnisme.

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