Lutter contre le décrochage scolaire – Vers une nouvelle action publique régionale

Les chiffres du « décrochage scolaire » sont inquiétants et interrogent notre système éducatif et social. Dessinant les contours d’une nouvelle action publique territoriale qui complète celle de l’Etat, Guillaume Balas propose de faire de la lutte contre le décrochage scolaire une priorité pour les régions.

On connaît la définition consacrée selon laquelle le décrochage scolaire qualifie les sorties précoces des jeunes de plus de seize ans sans diplôme ni qualification du système scolaire. En échouant à en saisir toute la substance (ses causes, ses enjeux et ses conséquences), cette définition reste pourtant incomplète. Elle néglige le caractère dynamique du décrochage et la singularité française face à ses voisins européens : alors qu’entre 1995 et 2009 le taux de scolarisation progressait de 9,3 % pour la moyenne des pays de l’OCDE, il baissait de 89 % à 84 % en France. Rapportés à la population lycéenne de l’ensemble du territoire, ces 5 % d’élèves représentent entre 140 000 et 250 000 jeunes qui, chaque année, quittent le système sans diplôme ni qualification. Processus lent instillé par le doute et la perte de confiance en soi, dus bien souvent à la pression du résultat intrinsèque à notre système éducatif, le décrochage scolaire n’est pas lié qu’à l’école : notion frontière, il est à la lisière entre enseignement et éducation.
Malgré l’ampleur inquiétante de ce phénomène, la droite a failli à en prendre la mesure et à y opposer des solutions concrètes et efficaces. La répression est préférée à la prévention. La responsabilité de l’échec scolaire des élèves est renvoyée aux familles, les dogmes libéraux respectés : l’intervention publique, et sa capacité à réparer les inégalités sociales, reculent.
A contrario, la gauche défend une éducation devant permettre à chacun d’exercer sa part de pouvoir sur lui-même et dans la société. Ce sont des citoyens – en tant que détenteurs d’un fragment du pouvoir politique – que l’éducation doit former. Ainsi c’est bien une conception démocratique de la société dans les moyens et les fins que nous voulons transmettre.
Le premier constat est que l’école, telle qu’elle existe aujourd’hui, ne peut enrayer seule le décrochage scolaire. Le second appelle logiquement les collectivités à se saisir pleinement de cette problématique. L’Acte I de la décentralisation de 1982 a fait des collectivités territoriales des acteurs majeurs de l’éducation en leur transférant la gestion des bâtiments, des équipements, des fournitures. On a donc assisté à une redéfinition profonde des champs d’intervention de chacun. Mais les collectivités s’engagent souvent au-delà de leur champ d’intervention strict, y compris en menant des actions pédagogiques. Leur proximité est en effet un atout qui permet de développer des politiques au plus près des réalités des territoires et des populations.
Les élus se donnent pour mission d’accompagner au mieux les élèves des établissements dont leurs collectivités ont la charge. Pour cela, ils mettent en place des actions de soutien scolaire, organisent des dispositifs d’action culturelle ou encore œuvrent pour le soutien à la parentalité, afin d’épauler les parents dans l’accompagnement de leurs enfants.
Parce que le respect de sa promesse d’égalité contraint l’école à cesser d’être un « sanctuaire », cette dernière devra agir en association étroite avec les autorités territoriales qui lui sont les plus proches. Les acteurs associatifs, souvent porteurs d’initiatives originales, sont des collaborateurs naturels des collectivités, à condition que celles-ci exercent pleinement leur rôle de direction et de coordination.
A mi-chemin des diversités territoriales et du pouvoir central, la Région bénéficie de la position la plus propice à la perception équilibrée de l’intérêt général qui doit guider la mise en œuvre de la politique scolaire. Car c’est d’abord un regard commun qu’on lui demande d’élaborer en concertation avec tous les acteurs potentiels, pour évaluer la situation réelle du décrochage. A l’issue de ce diagnostic, la région pourra fédérer la lutte contre le décrochage scolaire en veillant à agir selon les besoins locaux spécifiques et à orienter ainsi l’action des acteurs concernés. Une concertation préalable permettra d’établir, au sein du cadre souple établi par la Région, le partage des bonnes pratiques et d’organiser le travail commun.
Ce travail doit à notre sens s’orienter selon trois grands axes prioritaires. D’une part, l’accompagnement des élèves durant la scolarité est une clé essentielle afin de prévenir le décrochage et d’envisager les différentes dimensions problématiques ressenties par l’élève. D’autre part, les parents doivent être également pouvoir bénéficier d’un soutien face aux situations difficiles vécues par leurs enfants, d’autant plus que leur propre rapport à l’institution scolaire peut être lui-même difficile et source d’incompréhensions mutuelles. Enfin, la lutte contre le décrochage doit doubler son volet préventif d’une action post-décrochage, pour briser la fatalité de celui-ci.
Ces trois axes ne peuvent être pensés qu’en rassemblant les différents acteurs institutionnels autour d’objectifs et de valeurs communes : il est temps d’accorder à la Région ce rôle d’impulsion, pour qu’enfin soit portée dans la concertation et au cœur de nos territoires la vision de l’école portée par la gauche.

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