Analyse des programmes RN aux régionales et départementales

Dans une première note consacrée aux candidats, l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation a fortement relativisé l’idée selon laquelle le Rassemblement national (RN) serait devenu un parti comme un autre. L’analyse des listes et des binômes de candidats aux élections régionales et départementales attestent d’une forte continuité idéologique entre le RN et le Front national (FN). Mais qu’en est-il des programmes ?

Pour certains candidats, comme Edwige Diaz en Nouvelle-Aquitaine, Gilles Pennelle en Bretagne ou Sébastien Chenu dans les Hauts-de-France, il est assez difficile de trouver un document programmatique détaillé alors que les courtes vidéos et autres carnets de campagne sont disponibles ad nauseam. En dépit de cette difficulté, une analyse des professions de foi et des sites des candidats RN permet de contester l’affirmation d’un parti politique en pleine normalisation. Trois éléments saillants distinguent le matériel de campagne du RN : une surenchère sécuritaire, une phobie de l’énergie éolienne et un combat identitaire assumé.

Une surenchère programmatique sécuritaire

Alors que la sécurité ne figure pas au rang des compétences régionales, les candidats RN mettent tous en avant leur intention de lutter contre la délinquance dans leur territoire d’élection. Toute la difficulté pour les candidats est de relier cette surenchère sécuritaire à une compétence régionale. Ce sont généralement les transports (et dans une moindre mesure les lycées) qui offrent cette possibilité. 

Ce tropisme, également constaté chez les candidats Les Républicains (LR), est particulièrement frappant en Île-de-France où le slogan de campagne de Jordan Bardella est tout simplement « Faites le choix de la sécurité », mais aussi dans le Grand Est où la tête de liste du RN, Laurent Jacobelli, annonce sur une pleine page au tout début de son programme « La sécurité est ma priorité ». Plusieurs candidats RN promettent d’ailleurs de créer au sein de leur exécutif une fonction de vice-président dédiée à cette question (Jean-Paul Garraud en Occitanie, Laurent Jacobelli dans le Grand Est, Julien Odoul en Bourgogne-Franche-Comté, Aleksandar Nikolic en Centre-Val de Loire). Pointons une contradiction évidente : les candidats RN appellent tout à la fois à la restauration d’un État régulier puissant et à l’exercice de cette compétence étatique par la collectivité régionale. 

On retrouve dans presque tous les programmes, au mot près, la proposition d’un co-financement à destination des maires souhaitant investir dans la sécurité. Julien Odoul, qui ne s’embarrasse pas de considérations juridiques, va cependant encore plus loin en promettant « aucun accord, contrat ou subvention de la région sans résultat en matière de sécurité, de laïcité et de renforcement des valeurs républicaines ». Pris au mot, un maire ne serait donc pas éligible à une aide si la délinquance (dont la lutte est une compétence de l’État) croissait. Laissons chacun mesurer le ridicule de la chose et réfléchir à des outils quantitatifs d’évaluation en matière de renforcement des valeurs républicaines.

Hervé Juvin, quant à lui, propose en Pays de la Loire de financer la construction de deux maisons d’arrêt, compétence exclusivement étatique et régalienne.

Ancien magistrat, ancien député Union pour un mouvement populaire (UMP) de Gironde, Jean-Paul Garraud, présenté comme « monsieur Justice » du RN, fait, lui aussi, de la sécurité la toute première de ses propositions en Occitanie. 

On notera, par exemple, la proposition, très probablement illégale car violant plusieurs dispositions constitutionnelles et européennes, « d’interdire l’usage des TER temporairement aux fraudeurs récidivistes ». Dans la même veine, et tout aussi inconstitutionnelle car contraire au principe d’individualisation et de proportionnalité des peines, l’idée de Laurent Jacobelli de supprimer les aides de la région « aux familles de délinquants ». 

Enfin, de manière assez démagogique, car sans effet direct sur la délinquance, Nicolas Bay propose en Normandie « la gratuité des transports régionaux pour les policiers municipaux, les douaniers et les surveillants pénitentiaires résidant dans la région ».

Une phobie anti-éoliennes

Surfant sur des mouvements de contestation plus ou moins spontanés, les candidats s’affichent comme des ennemis irréductibles de l’énergie éolienne. Gilles Pennelle en Bretagne, Edwige Diaz en Nouvelle-Aquitaine, Thierry Mariani en PACA, Jean-Paul Garraud en Occitanie, Nicolas Bay en Normandie, Aleksandar Nikolic en Centre-Val de Loire promettent tous un moratoire sur l’installation d’éoliennes, terrestres ou marines. En Bourgogne, Julien Odoul entend « engager un plan de démontage des 403 éoliennes en activité ». Hervé Juvin dans les Pays de la Loire assure même que la région « appuiera les démarches des associations de défense de l’environnement et de protection du patrimoine, notamment dans leurs recours contre les implantations d’éoliennes ». Fondateur en 2020 avec Andrea Kotarac, du Parti localiste, une structure liée au RN pour promouvoir les idées environnementales, les concepts de circuits courts et de « démondialisation », Hervé Juvin est en quelque sorte le « monsieur Écologie » du RN.

Le droit est, hélas, pour les candidats RN, formel : la région ne dispose d’aucun moyen pour empêcher l’installation d’éoliennes et encore moins pour les démonter. L’arrêté du 26 août 2011 et l’article L. 311-1 du Code de l’énergie prévoient une compétence du préfet et du maire pour le permis de construire. La région peut, tout au plus, mettre en place des incitations financières. La croisade des élus régionaux RN, et de groupes de la droite radicale comme Synthèse nationale, risque donc de tourner court.

Cette opposition farouche anti-éoliennes se double d’un soutien réaffirmé à la voiture individuelle comme mode de transport, à l’instar d’Hervé Juvin en Pays de la Loire qui s’érige contre les zones d’exclusion automobile prévues dans l’agglomération nantaise. 

Un combat identitaire

En PACA, Thierry Mariani surfe sur les idées maurassiennes et annonce une « rénovation et sécurisation de notre patrimoine bâti traditionnel » ainsi qu’un « soutien à la création culturelle enracinée et valorisation des traditions et des savoir-faire de nos territoires ». En Occitanie, Jean-Paul Garraud est encore plus explicite en promettant un « bouclier pour défendre nos traditions et nos valeurs communes » qui se traduirait notamment par une charte réservant les subventions aux associations qui devront s’engager « à ne pas aider l’immigration illégale, l’islamisme, les mouvements sectaires de toute nature ou des valeurs contraires aux mœurs nationales et aux lois de la République ». Un vocabulaire volontairement flou, mais dont on voit bien qu’il est dirigé implicitement contre les associations LGBT ou celles de défense de droits de l’homme. En Centre-Val de Loire, Aleksandar Nicolic annonce qu’en cas d’élection il veillera « à ce que les financements de projets par la région ne le soient pas au profit d’associations ou d’acteurs véhiculant une idéologie tiers-mondiste, euromondialiste, sans-frontiériste, qui militent pour une déconstruction de l’État national, notamment par l’encouragement aux migrations ». Une phraséologie permettant une lecture évidemment très politiquement orientée des aides aux associations.

En Normandie, Nicolas Bay s’inspire de Philippe de Villiers et annonce dans la partie « Défendre et transmettre le patrimoine et l’identité normande » le lancement d’un projet de parc à thèmes sur le modèle du Puy-du-fou retraçant l’histoire normande, « de la période viking jusqu’au Débarquement ». Il entend également s’opposer « au halal dans les cantines des lycées, pour préserver le caractère laïc de l’éducation », mesure purement d’affichage puisque les lycées sont bien évidemment déjà tenus de refuser toute revendication de menus à connotation confessionnelle. 

Conclusion

Le temps nous a manqué pour procéder à une analyse systématique des programmes et professions de foi des candidats RN aux élections départementales. Un rapide tour d’horizon fait toutefois apparaître une absence quasi-totale de propositions liées aux compétences des départements, telles que l’aide sociale à l’enfance ou les aides aux personnes âgées ou handicapées. Mis à part quelques particularités comme dans l’Eure – où la priorité est accordée à l’amélioration de l’accès aux soins – ou encore dans le Nord – où la fin de la limite de 80 km/h sur les routes départementales fait partie des priorités des candidats –, les professions de foi proposent toutes les mêmes objectifs, parfois flous, comme l’amélioration « de la qualité de vie » ou la mise en valeur « de la culture et de l’identité du département », parfois hors des compétences du département. C’est notamment le cas de l’enjeu de la sécurité, qui, à défaut d’être mobilisée d’une autre façon, fait office de mesure principale concernant les collèges pour lesquels certains départements proposent même des « brigades d’intervention » (dans les Bouches-du-Rhône). Enfin, d’autres mesures visent directement les migrants et les « délinquants » à travers la « lutte contre la fraude sociale » – mesure encore floue – ou plus franchement en refusant l’accueil des migrants, en « expulsant les délinquants » des logements sociaux et en « cessant de subventionner les associations communautaristes ou politisées », priorités des candidats dans les Bouches-du-Rhône et dans le Gard. Ce vif examen des programmes nous a aussi permis de faire un constat clair : le RN ne s’est pas donné la peine d’adapter sa campagne des départementales en fonction des territoires. La prédominance des mêmes priorités pour la grande majorité des professions de foi, d’une part, et l’absence même de professions de foi dans de nombreux départements, d’autre part, illustre bien une campagne au contenu plus que léger et peu travaillée.

Surenchère sécuritaire, phobie anti-éoliennes, combat identitaire, les programmes des candidats RN comportent donc de nombreux éléments hors sujets ou très marqués. 

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