Avant la (vraie) bataille : le nouveau paysage idéologique

Chaque campagne électorale se déroule dans un fond de décor idéologique spécifique que, bien souvent, une étude permet de dévoiler. Aujourd’hui, la grande enquête de la Fondation Jean-Jaurès permet de mieux appréhender les invariants et les évolutions de notre société.

Gauche/droite : qui y croit encore ?
Les Français, en majorité, estiment le clivage droite/gauche dépassé. Rien de fondamentalement nouveau mais , que l’on soit centriste ou frontiste, sarkozyste ou écologiste, cette conviction est désormais majoritairement partagée. A une seule exception : les sympathisants socialistes. D’un autre côté, pourtant, les Français acceptent de se positionner à droite ou à gauche. Comme si c’était moins l’existence que la lisibilité du clivage qui leur posait problème. Lorsqu’on les interroge non plus sur la représentation qu’ils se font du clivage gauche/droite mais sur le jugement qu’ils portent sur la société, on constate qu’il existe bien une sensibilité de gauche et une sensibilité de droite qui se cristallisent autour de l’égalité.

Ouvert/fermé : est-ce la nouveauté ?
Cette antinomie « ouvert/fermé », inventée par le politologue Pascal Perrineau, repose sur l’idée que l’attitude vis-à-vis de questions transversales, comme la mondialisation ou l’immigration, structure aussi la société. Les « ouverts » seraient favorables à la mondialisation et ne considèreraient pas l’immigration comme un problème ; les « fermés » défendraient les positions inverses. L’analyse les résultats à l’aune de ce critère « ouvert/fermé » amène deux conclusions : ce clivage est une réalité et il se superpose partiellement à l’opposition gauche/droite.

Ouvriers : une tentation réactionnaire ?
Dans le nouveau paysage idéologique français, il existe une singularité de ce que l’on appelle les « milieux populaires », ouvriers et employés. Pour être plus précis encore, il existe, surtout chez les ouvriers, une tentation frontiste. Cela repose sur le fait que les ouvriers sont davantage nostalgiques du passé, qu’ils sont plus inquiets de l’avenir que les autres catégories socio-professionnelles et qu’ils sont la catégorie qui s’auto-positionne le moins à gauche sur l’échiquier politique.
Qu’en conclure ? La gauche ne doit pas abandonner les milieux populaires, ne serait-ce que pour des raisons très prosaïques : ils conservent un poids démographique important – 13 millions d’ouvriers et d’employés – et une mobilité électorale forte. Par ailleurs, on voit mal comment la gauche, qui a pour vocation de lutter contre les injustices et les inégalités, pourrait se résoudre à négliger ceux qui en sont le plus victimes. Elle doit donc leur parler en ayant une claire conscience de leur extrême diversité.

Génération 68 : une dérive conservatrice ?
Il y a 15 millions d’électeurs de plus de 60 ans aujourd’hui en France ; les seniors participent davantage aux élections et votent massivement à droite. La question pour 2012 est simple : puisque la génération 68 a 60 ans, quelle est la clé de son comportement ? Les seniors sont la seule strate démographique à s’auto-positionner majoritairement à droite ; ils placent au cœur de leurs préoccupations des thèmes sur lesquels la crédibilité relative de la gauche est traditionnellement faible. Bref, l’effet d’âge l’emporte sur l’effet de génération.
Il y a néanmoins des leviers sur lesquels la gauche peut jouer, notamment en déjouant le piège de la guerre des générations. Elle doit faire de l’articulation des différents âges de la vie une partie structurante de son projet.

Déclinistes ou progressistes ?
Deux idées s’imposent aujourd’hui comme des évidences : notre pays serait irréductiblement conservateur et inéluctablement sur le déclin. Le paysage qui se dessine ici est beaucoup plus contrasté.
La France n’est majoritairement pas conservatrice mais réformiste. Elle est aussi réactionnaire au sens étymologique du mot : presqu’un tiers défend l’idée qu’il faudrait « revenir en arrière ». Sur cette question, le clivage n’est pas entre la droite et la gauche, mais passe entre les partis républicains et le Front national. Enfin, s’il y a une évolution notable, c’est la percée des réactionnaires.
La France n’est pas non plus décliniste. Qu’elle soit inquiète, pessimiste, défiante, nul ne peut l’ignorer. Mais, et c’est une autre surprise de cette enquête, les Français ne sont que 25 % à penser qu’un lent déclin soit inéluctable face à la montée des pays émergents. Là aussi, le vrai clivage oppose les partis républicains et le Front national où se concentrent les « déclinistes ».

Cigales ou fourmis ?
La question qui se pose est de savoir comment, pour les Français, la question des finances publiques s’articule avec les autres priorités et, une nouvelle fois, les résultats vont à l’encontre de bien des idées reçues.
Sur l’objectif de réduction du déficit et de la dette, il y a un large consensus mais il existe en revanche un clivage sur la place de cette priorité : une priorité pour les sympathisants UMP, un « objectif important, mais parmi d’autres problèmes » pour les sympathisants PS. Sur les modalités, le consensus est moins réjouissant pour la gauche, puisqu’il est largement en faveur d’une réduction des dépenses publiques. La gauche ne doit évidemment pas renoncer à la réforme de la fiscalité ni à l’augmentation de certaines dépenses publiques. Mais elle doit prendre garde à ne pas apparaître sous le seul visage du classique tax and spend

Des maux et des mots
Il y a des mots usés parce que, objectivement, ils ont trop servi (le mot « réforme ») ou parce que, subjectivement, ils n’entrent plus dans la conscience collective, comme les « classes populaires ».
Mais il existe des mots nouvellement valorisés. Si la plupart des mots sont politiquement neutres – « ni de gauche, ni de droite » ou « autant de gauche que de droite » –, il y a des mots vraiment ou plutôt attribués à la gauche – « solidarité », « services publics », « tolérance » et « laïcité ». Les mots qui sont jugés les plus importants sont nettement les mots de gauche. Le plus important pour les Français est « solidarité ». Le plus rassembleur pour désigner ce que serait un monde meilleur est « respect ». 
Solidarité et respect, c’est presque un programme !

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