Biden candidat démocrate, mais avec qui ?

Joe Biden, candidat démocrate au scrutin présidentiel de novembre prochain, doit d’ici la convention du Parti démocrate désigner celle ou celui qui formera avec lui le « ticket ». Le choix du ou de la vice-président·e est politiquement stratégique et Renan-Abhinav Moog passe en revue les forces et faiblesses des personnalités pressenties : Kamala Harris, Beto O’Rourke, Elizabeth Warren, Pete Buttigieg, Stacey Abrams, Sherrod Brown et Cathy Cortez-Masto.

C’est la deuxième étape la plus importante après la désignation du candidat à l’élection présidentielle : le choix de la personne qui va, avec lui, constituer un ticket et qui deviendra vice-président des États-Unis en cas de victoire.

Par le passé, les démocrates ont su faire de bons choix – ce fut par exemple le cas de Barack Obama, jeune sénateur de l’Illinois, qui choisit un sénateur expérimenté du Delaware, un certain… Joe Biden, ou de John F. Kennedy qui avait choisi le texan Lyndon Johnson – mais aussi de plus mauvais. Ainsi, le sénateur de Caroline du Nord, John Edwards, choix de John Kerry en 2004, n’a pas permis au ticket démocrate de remporter son Homestate et, pire, son siège de sénateur a été conquis par le GOP (Grand Old Party, Parti républicain) cette même année.

Plus récemment, le choix d’Hillary Clinton, qui s’était porté sur le sénateur de Virginie, Tim Kaine, s’est révélé plutôt contre-productif et dénotait d’une mauvaise interprétation, par l’état-major démocrate, de la situation politique virginienne. En effet, Hillary Clinton a choisi Tim Kaine pour s’assurer une victoire en Virginie – alors que l’évolution socio-politique de l’État le rendait sûr pour les démocrates – au détriment d’autres États comme l’Ohio, dont le sénateur Sherrod Brown était également pressenti pour figurer sur le ticket.

Choisir un running mate (colistier) n’est pas chose aisée et énormément de paramètres entrent en jeu : l’expérience, le charisme et, surtout, la « dot », c’est-à-dire l’apport politique de tel ou tel candidat.

Les deux candidats du ticket sont bien souvent complémentaires : jeunesse et expérience pour le ticket Kennedy-Johnson et Obama-Biden, Nord et Sud pour Jimmy Carter et Walter Mondale en 1976, aile gauche et aile centriste pour Michael Dukakis et Lloyd Bentsen en 1988, ou encore équilibre gouverneur/Congrès pour Bill Clinton et Al Gore en 1992.

Voyons quels pourraient être les candidates et candidats idéals, ainsi que les points forts et faiblesses de chacun.

Kamala Harris, sénatrice de Californie

Sénatrice de Californie élue en 2016, Kamala Harris en a également été la procureure générale. Elle est d’origine jamaïcaine par son père et indienne par sa mère. Elle a reçu le soutien de Joe Biden et de Barack Obama en 2016, lorsqu’elle affrontait la représentante démocrate Loretta Sanchez, pour le poste de sénatrice. Candidate à l’investiture démocrate, elle s’est retirée début décembre 2019 avant de soutenir Joe Biden en mars 2020. Elle fait figure de favorite parmi les observateurs. Vous savez, les mêmes qui voyaient Hillary Clinton élue présidente « haut la main » en 2016…

Points forts :

  • C’est une femme. Toutefois, on a vu en 2016 que le gender gap ne s’était pas révélé suffisant alors que le candidat démocrate était une candidate. Est-ce que le fait d’avoir une candidate à la vice-présidence le sera ?
  • Elle est issue d’une minorité, mais Joe Biden a montré que, dans le Deep South comme ailleurs, il arrivait très bien à remporter seul le vote afro-américain.
  • Plutôt centriste, elle est en faveur du contrôle des armes à feu et s’est montrée favorable à la mise en place d’un système d’assurance-santé universel, ce qui pourrait attirer l’électorat de Bernie Sanders.

Points faibles :

  • Étant élue de Californie, un des États les plus démocrates du pays, elle n’apporte rien électoralement parlant en termes de possibilité de conquête d’un nouvel État.
  • Elle n’a pas épargné Joe Biden pendant la campagne – notamment pendant les débats : ce « bon vieux Joe » aura peut-être la rancune tenace…

Beto O’Rourke, ancien représentant du Texas

Représentant du district d’El Paso, au Texas, de 2013 à 2019, Beto O’Rourke (de son vrai prénom, Robert) s’est illustré en novembre 2018, quand il a failli battre le sénateur GOP sortant Ted Cruz, dans le si conservateur Texas. Candidat à l’investiture, Beto O’Rourke s’est retiré le 1er novembre 2019 et a habilement appelé à soutenir Joe Biden le 2 mars 2020, la veille du Super Tuesday, où votait notamment le Texas. Il n’est donc pas étranger à la victoire de Joe Biden dans cet État, alors que l’électorat latino semblait plutôt séduit par Bernie Sanders.

Points forts :

  • Il passe très bien chez les Latino-Américains. Joe Biden, on l’a vu, a très bien fonctionné parmi l’électorat afro-américain. L’électorat latino lui a plutôt préféré Bernie Sanders. Beto O’Rourke, sur le ticket démocrate, serait un bon moyen de s’assurer le vote de cet électorat essentiel à toute victoire démocrate.
  • Il vient du Texas. Depuis les années 1980, ce n’est pas franchement un point fort. Et pourtant, depuis sa performance inédite en novembre 2018, Beto O’Rourke est une star : il a d’ailleurs consacré ses dernières semaines à soutenir les candidats démocrates à la Chambre des représentants et au Congrès du Texas, qui vont concourir en novembre prochain. L’avoir sur le ticket démocrate pourrait permettre aux démocrates de faire basculer le Texas lors du scrutin présidentiel et, pourquoi pas, de remporter le siège de sénateur qui sera mis en jeu.

Points faibles :

  • Ce n’est pas une femme (gender gap).

Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts

Ancienne professeure à Harvard, Elizabeth Warren est sénatrice du Massachusetts depuis 2016. Elle est une figure de l’aile gauche du Parti démocrate et a été candidate aux primaires. Elle s’est retirée de la course en mars dernier, après le Super Tuesday. Elle est une des sénatrices qui votent le moins comme les républicains du Sénat.

Points forts :

  • C’est une femme. D’ailleurs, à la primaire, elle a bénéficié d’un très fort gender gap. Si elle permet au ticket démocrate d’avoir ce même gender gap à l’élection présidentielle, cela sera favorable aux candidats démocrates.
  • Elle est issue de l’aile gauche, ce qui sera essentiel à Joe Biden pour récupérer le maximum de l’électorat de Bernie Sanders.

Points faibles :

  • Si Elizabeth Warren est élue vice-présidente, elle ne sera plus sénatrice du Massachusetts. Et son remplaçant, qui devra siéger jusqu’en novembre 2022, sera désigné par le gouverneur de l’État, en l’occurrence le républicain Charles Baker, qui choisira, en toute logique, un républicain. Ce qui ferait perdre un siège aux démocrates au Sénat. Ce qu’ils ne peuvent absolument pas se permettre.
  • Elle n’apporte pas d’État à conquérir, étant élue d’un fief démocrate.
  • Pas de diversité géographique dans le ticket, Joe Biden étant du Delaware.
  • Elle est issue de l’aile gauche : cela pourrait faire fuir l’électorat indépendant, or Joe Biden en a impérativement besoin.

Pete Buttigieg, ancien candidat à l’investiture démocrate

Inconnu jusqu’à très récemment, Mayor Pete s’est illustré lors de sa campagne des primaires, qui a connu son apogée au moment de sa victoire dans l’Iowa. Mais le soufflé est vite retombé, Pete Buttigieg a très vite quitté la course et apporté son soutien à Joe Biden, lequel pourrait se montrer reconnaissant et désigner Pete Buttigieg comme candidat à la vice-présidence.

Points forts :

  • Issu de la Rust Belt, Pete Buttigieg pourrait aider Joe Biden à faire basculer – à défaut de l’Indiana, son Homestate, mais qui est aussi celui du vice-président sortant, Mike Pence – l’Iowa, le Michigan et l’Ohio. Si Hillary Clinton n’avait pas perdu ces États en 2016, elle serait devenue présidente.
  • Il est jeune : il pourrait apporter cette touche de jeunesse aux côtés de Joe Biden, qui aura 78 ans en novembre prochain et était vice-président en 2008…
  • Il est jeune, mais néanmoins expérimenté : il a été maire de 2012 à 2020.

Points faibles :

  • Ce n’est pas une femme.
  • Ce ticket serait constitué de deux hommes centristes, non issus de minorités : est-ce l’idéal, quand on sait que plus l’électorat est jeune, féminin et issu de minorités, plus les démocrates ont de chances de gagner et que cela vaut pour tous les scrutins aux États-Unis ?

Stacey Abrams

Elle partage avec Beto O’Rourke et Andrew Gillum un double point commun : tous les trois ont fait d’excellentes performances en novembre 2018 dans leurs États respectifs et tous les trois ont perdu. Elle en partage un troisième : un certain talent pour la politique. Stacey Abrams a été la minority leader démocrate à la Chambre des représentants de Géorgie, où elle a siégé de 2011 à 2017. Elle s’est portée candidate au poste de gouverneur de l’État en 2018 et s’est inclinée de très peu face au républicain Brian Kemp. Elle a refusé de se présenter en 2020 à l’un des deux sièges de sénateur – les deux sont mis en jeu en novembre prochain –, mais n’a jamais caché qu’elle accepterait bien volontiers une place sur le ticket démocrate.

Points forts :

  • C’est une femme.
  • Elle est Afro-Américaine (ce qui, au niveau national, pourrait ne pas être un apport majeur pour Joe Biden mais…).
  • Elle vient de Géorgie et cet État peut basculer en 2020, et une bonne performance des démocrates à la présidentielle pourrait booster le vote en faveur des deux démocrates qui partiront à l’assaut des deux sièges de sénateur en jeu.
  • Elle est issue de l’aile gauche, ce qui plaira aux partisans de Bernie Sanders, qui lui a d’ailleurs apporté son soutien en 2018.

Points faibles :

  • J’ai beau chercher, je n’en trouve pas.

Sherrod Brown, sénateur de l’Ohio

Pressenti en 2016 comme colistier d’Hillary Clinton, Sherrod Brown est sénateur de l’Ohio depuis 2007. Il a auparavant été représentant de cet État – le plus peuplé de la Rust Belt avec la Pennsylvanie – de 1993 à 2007.

Points forts :

  • Il vient de l’Ohio, un État sans lequel aucun démocrate n’est parvenu à se faire élire à la Maison Blanche depuis John Kennedy en 1960.
  • Il est issu de l’aile gauche.
  • Il sait comment gagner en Ohio, où il s’est imposé à trois reprises, en 2006, 2012 et 2018, et peut permettre au ticket démocrate de remettre la main sur un État qui pèse 18 grands électeurs.

Points faibles :

  • Ce n’est pas une femme.

Cathy Cortez-Masto, sénatrice du Nevada

Sénatrice du Nevada depuis 2017, Catherine Cortez Masto est la première femme latina à être entrée au Sénat américain. Elle dirige le Comité démocrate de campagne pour le Sénat, qui sert à soutenir l’élection de démocrates au Sénat.

Points forts :

  • Elle est issue de la communauté latina, dont Joe Biden a impérativement besoin du vote mais également de la forte mobilisation.
  • Le Nevada, son Homestate, est dans le top 3 des États que Donald Trump rêve de faire basculer en novembre prochain (les deux autres étant le Minnesota et le New Hampshire)

Points faibles :

  • Elle est fort peu connue.
  • Si elle devenait vice-présidente, il y aurait une élection partielle dans le Nevada en novembre 2022, or le Nevada, peu peuplé, peut facilement basculer dans le camp républicain.

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