Californie : républicaine devenue démocrate

Malgré le contexte sanitaire très critique aux États-Unis, la campagne électorale se poursuit et le retrait des primaires démocrates de Bernie Sanders a fait de Joe Biden l’adversaire de Donald Trump en novembre prochain. À l’approche du scrutin, Renan-Abhinav Moog propose une analyse électorale historique de différents États, afin de saisir les rapports de force politiques locaux, décisifs quant à l’issue du scrutin fédéral. Après le Vermont, l’Alaska, la Floride et le Texas, cinquième volet : la Californie.

Avec ses presque 40 millions d’habitants, la Californie est le plus peuplé des 50 États américains et, si elle était un État indépendant, elle serait la cinquième économie mondiale et le trente-sixième pays en termes de population. La population californienne est toutefois concentrée dans deux principales agglomérations : autour de Los Angeles, deuxième ville du pays après New York, et de San Francisco, toutes deux situées sur la côte Pacifique.

D’abord tournée vers l’agriculture, puis Eldorado des chercheurs d’or, la Californie est devenue une région industrielle dans l’entre-deux guerres puis une place financière de premier plan et, enfin, un hub technologique dans les années 1980, avec le développement, au sud de San Francisco, de la fameuse Silicon Valley. Frontalière avec le Mexique, la Californie est aussi une porte d’entrée depuis l’Amérique du Sud. Sa bonne santé économique l’a rendue attractive à l’immigration, qu’elle soit intérieure ou extérieure – principalement d’Asie et d’Amérique latine.

Alors qu’il comptait moins de 100 000 habitants en 1850, le Golden State a dépassé les 15 millions d’habitants en 1960 (plus de deux fois plus qu’en 1940), prenant ainsi la première place, qui revenait auparavant à l’État de New York ; il n’a depuis jamais perdu son rang d’État le plus peuplé. Conséquence directe de cette première place, la Californie est l’État le plus pourvoyeur de grands électeurs pour le scrutin présidentiel, soit 55 (53 représentants et 2 sénateurs).

Fief démocrate, l’État a plébiscité Hillary Clinton en 2016, lui offrant 61,7% des voix et 4 475 057 voix d’avance sur son rival, Donald Trump, soit 1,6 fois son avance nationale (2,9 millions de voix). Pourtant, de 1952 à 1988, la Californie n’a voté qu’une seule fois pour le tandem démocrate : c’était en 1964 lors de la vague démocrate ayant propulsé Lyndon B. Johnson à la Maison-Blanche.

En 1968, Richard Nixon, candidat malheureux face à John F. Kennedy en 1960, remporte l’État et ses 40 grands électeurs avec 47,8% contre 44,7% au démocrate Humphrey. Le candidat républicain obtient son deuxième meilleur score de l’État – plus de 63% des suffrages – dans le comté d’Orange, comté le plus peuplé, qui regroupe les zones péri-urbaines du sud de Los Angeles1Son meilleur score a été obtenu dans un comté rural peu peuplé.. Il dépasse les 56% à San Diego et obtient 53,5% dans le comté de Santa Barbara. La partie est plus serrée dans le comté de Los Angeles, mais Richard Nixon sort victorieux avec 47,6% contre 46% à Hubert Humphrey. De son côté, le candidat démocrate l’emporte à Santa Clara – où se trouve la ville de San Jose – avec 48,4% contre 45,6% à Richard Nixon, et obtient son meilleur score à San Francisco, où il rassemble 59,2% des suffrages contre 33,7% au républicain.

Quatre ans plus tard, Richard Nixon, candidat à sa réélection, obtient 55% des voix en Californie, contre seulement 41,5% au démocrate George McGovern, qui ne remporte que 6 des 58 comtés, et notamment celui de San Francisco (56,1%). Richard Nixon fait ainsi basculer les comtés de Sacramento, Fresno et Santa Clara. Il obtient 54,8% à Los Angeles, 55,2% à Santa Barbara, 61,8% à San Diego. Le comté d’Orange lui offre son meilleur score avec 68,3%. Forte de sa croissance démographique, la Californie a gagné 5 grands électeurs, passant de 40 à 45 sur les 538 du collège électoral.

En 1976, la vague démocrate n’atteint pas la Californie. Gerald Ford y remporte l’élection mais avec 49,4% seulement, devançant de 140 000 voix le démocrate Jimmy Carter (47,6%). Celui-ci n’obtient que 52,1% à San Francisco contre 40,3% à Gerald Ford. Il fait basculer Sacramento (52,3%), Fresno (49,7%) et surtout, Los Angeles (49,7%). Côté républicain, victoire dans les comtés de Santa Clara (49,5%), Santa Barbara (50,8%), San Diego (55,7%) et surtout Orange (62,2%).

Quatre ans plus tard, Jimmy Carter fait face à un adversaire républicain que les Californiens connaissent bien, et pour cause : Ronald Reagan – acteur hollywoodien – en a été le gouverneur de 1967 à 1975. Et entre Ronald Reagan et la Californie, « le courant passe bien ». Si bien que le président sortant ne remporte que trois comtés, dont San Francisco (52,4%). Partout ailleurs, Ronald Reagan triomphe. Il remporte Fresno (51,1%), Sacramento (47,7%), Los Angeles (50,2%), Santa Clara (48%), Santa Barbara (54%), San Diego (60,8%) et Orange (67,9%). Au niveau de l’État, Jimmy Carter ne remporte que 35,9% contre 52,7% à Ronald Reagan.

En 1984, Ronald Reagan est triomphalement réélu. Pourtant, en Californie, son score est de deux points inférieur à son score national. Il remporte néanmoins 57,5% des voix et tous les comtés sauf cinq ainsi que les 47 grands électeurs californiens. Il obtient un score triomphal dans le comté d’Orange, devenu un fief républicain indiscutable, avec 74,7%. À San Diego, il obtient 65,3%. Il remporte Santa Barbara (65,8%), Sacramento (55,6%), Santa Clara (54,8%), Los Angeles (54,5%) et Fresno (54,3%). Jimmy Carter est plébiscité à San Francisco, avec 67,3% contre 31,4% à Ronald Reagan.

En 1988, George Bush père gagne une nouvelle fois la Californie, mais la percée de Michael Dukakis à Los Angeles et dans la baie de San Francisco permet aux démocrates de réduire la marge entre les deux candidats. Pour la première fois de son histoire récente, la Californie est identifiée, durant la campagne, comme un Swing State. Finalement, George Bush remporte 51,1% et 44 comtés, contre 47,6% et 14 comtés à Michael Dukakis.

Avant le scrutin de 1992, la Californie gagne encore six grands électeurs, pour arriver à 54. Et, à la faveur d’une triangulaire avec le président sortant George Bush et l’indépendant Ross Perot, le démocrate Bill Clinton réussit la bascule tant attendue, avec néanmoins seulement 46% des suffrages, malgré le soutien affiché de Ronald Reagan à son ancien vice-président. Cette même année, les démocrates remportent les deux sièges de sénateurs de l’État. Au démocrate Alan Cranston, réélu depuis 1968 et qui ne se représentait pas, succède la démocrate Barbara Boxer, qui remporte 47,9% contre 43% au républicain Bruce Herschensohn. Réélu sénateur en 1988, le républicain Pete Wilson a démissionné en janvier 1991 pour devenir gouverneur de l’État. Il désigne John Seymour pour lui succéder jusqu’au scrutin de novembre. Mais lors de l’élection, John Seymour est largement battu par l’ancienne maire de San Francisco, Dianne Feinstein, qui remporte 54,3% contre 38% seulement au sortant.

La récession économique du début des années 1990, avec comme impact une forte hausse du chômage dans l’immobilier et le bâtiment, a chassé un nombre important d’ouvriers et d’électeurs blancs non diplômés, alors que l’État continuait d’attirer des électeurs surdiplômés, boostant ainsi le vote démocrate. Mais la principale raison de ce changement électoral réside avant tout dans la forte augmentation des communautés latina et asiatiques, votant très largement pour les démocrates. Ainsi, en 1992, les Afro-Américains représentent 6% des électeurs et soutiennent Bill Clinton avec 83% contre 9% à George Bush. Les Latino-Américains, de leur côté, représentent 8% de l’électorat et votent à 65% pour Bill Clinton. Enfin, la communauté asiatique représente 4% de l’électorat et son vote se répartit également entre Bill Clinton et George Bush, avec 39% chacun.

L’électorat latino va avoir une place encore plus prépondérante en 1996, grâce à une forte augmentation du taux d’inscription et de participation au scrutin. Cette vague de civisme peut être interprétée comme une réponse au soutien apporté, en 1994, par le gouverneur républicain Pete Wilson à la proposition 187, qui visait à interdire l’accès aux services publics aux immigrés illégaux. Lors du référendum organisé le 8 novembre 1994, la proposition 187 avait recueilli l’approbation de 58,9% des électeurs californiens avant d’être déclarée inconstitutionnelle par la Cour fédérale de district.

Cela permet à Bill Clinton d’obtenir en 1996 51,1% des suffrages, contre 38,2% au républicain Bob Dole et 7% à Ross Perot. Le démocrate obtient 72,2% à San Francisco mais, surtout, il frôle les 60% à Los Angeles et obtient près de 57% à Santa Clara. Preuve que le terrain est désormais favorable aux démocrates : Bill Clinton remporte 38 des 52 districts congressionnels de l’État, alors que dans le même temps, les démocrates n’en remportent que 29.

En 1998, alors que le gouverneur Pete Wilson était atteint par la limite du cumul des mandats dans le temps et ne pouvait ainsi pas se représenter, les démocrates récupèrent le siège, avec la large victoire de Gray Davis contre Dan Lungren (58% contre 38,4%).

En 2000, la Convention du Parti démocrate se déroule à Los Angeles. Avec seulement 41,7% en Californie, George W. Bush devient le premier candidat républicain à remporter la Maison-Blanche sans gagner le Golden State. Il remporte toutefois 38 des 58 comtés. Avec 75,5% à San Francisco et 63,5% à Los Angeles, Al Gore remporte l’État avec une marge suffisante, ce qui lui permet aussi de remporter le vote populaire au niveau national. Il devance George Bush fils dans 33 des 52 districts.

Le gouverneur démocrate Gray Davis, en poste depuis 1998, est réélu en 2002 avec 47,3%, contre 42,4% au républicain Bill Simon. Toutefois en vertu d’une loi californienne de 1911 qui permet d’obtenir un Recall, c’est-à-dire un nouveau vote, cette procédure est lancée en février 2003 et, pour la première fois, récolte le nombre de signatures requis. Ainsi, le 7 octobre 2003, les Californiens sont appelés à répondre à deux questions : le gouverneur en place doit-il être révoqué ? Qui devrait le remplacer en cas de réponse majoritaire à la première question ? Ils répondent à 55,4% en faveur du Recall et le candidat républicain, Arnold Scharzenegger, obtient 48,6% à la deuxième question, contre 31,5% au lieutenant-gouverneur démocrate sortant, Cruz Bustamante.

En 2004, la Californie gagne un grand électeur supplémentaire – soit la plus petite augmentation de son histoire électorale. L’État fait désormais figure de fief démocrate : tous les organismes de prédiction électorale l’ont classé comme sûr pour John Kerry. Soutenu par le gouverneur de l’État, Arnold Schwarzenegger, George Bush obtient de très bons scores dans les comtés de Fresno, San Diego et Orange. Cela lui permet d’obtenir 44,4% des voix dans l’État, contre 54,3% à John Kerry, et 22 districts sur 53, dont deux districts représentés par des démocrates, les 18e et 47e. 2004 est la dernière élection où la marge de victoire démocrate est inférieure à 10 points.

En 2008, Barack Obama – malgré sa défaite lors de la primaire démocrate face à Hillary Clinton – obtient un score historique, avec 61% des voix, signant ainsi la deuxième meilleure performance démocrate depuis Franklin D. Roosevelt en 1936. Par ailleurs, la participation atteint un niveau historique : avec 79,4%, l’État n’avait pas autant voté depuis le scrutin de 1976 (81,5%). Les scores obtenus par le candidat démocrate dans la région de San Francisco et dans le comté de Los Angeles lui suffisent à remporter l’État, tant ses marges se sont accrues. Mais Barack Obama vient également titiller les républicains dans leurs fiefs, en faisant basculer les comtés de San Bernardino et Riverside. Et surtout, dans le comté d’Orange, John McCain remporte le scrutin avec 50,2% contre 47,7% à Barack Obama, là où George W. Bush frôlait les 60% quatre ans plus tôt. Barack Obama domine largement la carte politique : il est victorieux dans 42 des 53 districts, dont 8 ayant un représentant GOP (Grand Old Party, Parti républicain).

Réélu en 2006 pour un second mandat, Arnold Scharzenegger ne peut se représenter en 2010. Malgré la vague républicaine, la candidate GOP ne peut empêcher le démocrate Jerry Brown de retrouver un siège qu’il avait occupé de 1975 à 1983. Jerry Brown l’emporte avec 53,8% des suffrages, la loi interdisant de faire plus de deux mandats de gouverneur ne s’appliquant que pour les élus postérieurs à 1990.

En 2012, Barack Obama, malgré un léger repli, remporte plus de 60% des suffrages californiens, tandis que Mitt Romney fait à peine mieux que John McCain, avec 37,1%. Il remporte 41 des 53 districts, dont le 10e et le 21e qui ont un représentant GOP.

En 2016, les démocrates font une conquête majeure en remportant le comté d’Orange. Hillary Clinton remporte 61,7% des voix, faisant de la Californie l’un des onze États où elle améliore le score de Barack Obama en 2008, ici de près de 900 000 voix. Hillary Clinton remporte 46 des 53 districts, dont 7 ayant un représentant GOP. Et malgré une participation de seulement 53,8%, Hillary Clinton obtient 4,3 millions de votes de plus que Donald Trump.

Cette victoire démocrate dans le fief GOP du comté d’Orange a une conséquence à retardement : lors des midterms de 2018, les démocrates font basculer 4 districts tous situés dans ce comté, les 39e, 45e, 49e et 48e, où le sortant républicain Dana Rohrabacher s’incline, après avoir été constamment réélu depuis 1988.

Signe supplémentaire de la prédominance démocrate dans l’État, les deux derniers scrutins sénatoriaux organisés en 2016 et 2018 ont vu s’affronter deux candidats démocrates. En 2016, Kamala Harris a succédé à Barbara Boxer, en battant sa rivale Loretta Sanchez. En 2018, Dianne Feinstein a écarté Kevin de Leon, remportant ainsi un sixième mandat.

Cela s’explique par une spécificité californienne, à savoir son système de primaires, organisées au mois de mai précédant le scrutin de novembre, de façon non partisane. S’y présentent tous les candidats, démocrates, républicains et d’autres partis mineurs, et les deux premiers sont retenus pour s’affronter au mois de novembre. Depuis 2016, les deux premières places sont trustées par des démocrates.

À l’image des États-Unis, la Californie connaît une forte dichotomie avec des villes qui votent largement démocrate, et des zones rurales qui soutiennent fortement les républicains. Toutefois, l’avance démocrate dans l’aire urbaine de Los Angeles et dans la baie de San Francisco est telle qu’elle maintient – pour longtemps – la Californie dans la colonne démocrate. Pour longtemps, car la population de Californie est bien plus diverse que le reste des États-Unis. En effet, 39% de sa population est hispano-américaine, tandis que les asiatiques représentent 16% de la population et les Afro-Américains 7%. Cela s’en ressent au niveau de l’enregistrement partisan : 44% des Californiens se déclarent démocrates, contre 24% républicains, soit moins que les électeurs sans préférence partisane (27%).

Cette situation ne risque pas de changer de sitôt : en 2011, 75,1% des Californiens âgés de moins d’un an étaient issus d’une minorité, c’est-à-dire avaient au moins un parent n’étant pas blanc et non hispanique2L’administration comptabilise les hispaniques parmi les blancs. De ce fait, sont considérés comme membres de minorités ceux qui ont au moins un parent n’étant pas blanc, mais à condition qu’il soit aussi non hispanique.. Cela fait de la Californie le deuxième État à ce niveau, derrière Hawaii (85,5%), et devant le Colorado (75%) et le Texas (69,8%).

Après 168 ans d’augmentation de son nombre de grands électeurs, la Californie pourrait connaître, après le recensement de 2020, son premier recul. En effet, les projections permettent de prédire que le Golden State passerait de 55 à 54 grands électeurs pour les scrutins de 2024, 2028 et 2032. Cela s’explique par une hausse moins fortement prononcée de sa population, contrairement à d’autres États comme la Géorgie ou la Caroline du Nord.

  • 1
    Son meilleur score a été obtenu dans un comté rural peu peuplé.
  • 2
    L’administration comptabilise les hispaniques parmi les blancs. De ce fait, sont considérés comme membres de minorités ceux qui ont au moins un parent n’étant pas blanc, mais à condition qu’il soit aussi non hispanique.

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