Cent ans après le congrès de Tours, il faut relire Léon Blum

Pourquoi et comment (re)lire Léon Blum aujourd’hui, cent ans après la scission en 1920 entre socialistes et communistes au congrès de Tours ? Romain Ducoulombier préface dans une réédition en Folio Histoire trois textes essentiels de celui qui réussit à « garder la vieille maison » et qui devient, quelques années après, le leader du Front populaire. Il en débat pour la Fondation et l’association Maison Blum dans un échange avec Éric Lafon, directeur scientifique du Musée de l’histoire vivante.

 

Qui était Léon Blum à l’orée du Congrès de Tours ? Proche de la cinquantaine, il avait jusqu’à la guerre eu un rôle politique relativement mineur. Bien qu’il ait participé à la fondation de L’Humanité et à l’union des socialistes en 1905, il avait jusqu’en 1914 consacré sa vie professionnelle à la littérature et au droit, exerçant des fonctions de conseiller d’État puis de critique littéraire. La guerre va le propulser au poste de chef de cabinet du socialiste Marcel Sembat, et la crise interne au socialisme français après la révolution bolchévique de 1917 le convainc de s’engager plus profondément en politique. C’est d’ailleurs en 1919 qu’il devient pour la première fois député. Entre 1917 et 1920 il s’est ainsi affirmé comme un des principaux leaders de la SFIO. C’est dans un contexte tendu, marqué donc par l’éprouvante victoire de la France et la crise de la SFIO, que s’inscrivent les trois textes publiés dans l’ouvrage. 

Léon Blum, Le congrès de Tours. Le socialisme à la croisée des chemins, 1919-1920, préface de Romain Ducoulombier, Collection Folio histoire (n° 301), Gallimard, 2020
 

Le premier texte, Pour être socialiste, est rédigé en 1918 (publié en 1919) en réaction à une demande de la jeunesse socialiste. C’est une sorte de bréviaire du socialisme blumiste, très proche de la doctrine jaurésienne, dans laquelle le socialisme renvoie à un attrait naturel de l’esprit humain vers la justice.

Le second texte, Commentaires sur le programme d’action du parti socialiste, publié dans la même année, est plus politique. Il réaffirme le caractère révolutionnaire de la SFIO en réponse aux critiques internes montantes liées à l’aura dont jouit la révolution bolchévique, la « lueur levée à l’Est » pour reprendre l’expression de Jules Romains. Léon Blum y présente un programme de réformes adaptées à l’après-guerre.

Le dernier texte est certainement le plus célèbre de tous, c’est le discours de Léon Blum prononcé lors du congrès de Tours en décembre 1920. Sa critique du bolchévisme, décortiqué point par point, paraît visionnaire aujourd’hui. Pour lui, le socialisme doit donner sa place à la liberté de penser, qui aboutit logiquement à une liberté de tendances au sein du parti ; en sus, le recrutement du parti doit être large et ouvert aux différentes strates de la population, y compris la petite bourgeoisie dont Blum fait lui-même partie ; les syndicats doivent être indépendants du parti ; le parti peut entreprendre des actions illégales pour lutter contre la bourgeoisie, mais ne doit pas tomber dans une clandestinité terroriste. Pour le tribun socialiste, tous ces traits caractérisent le socialisme français, là où le bolchévisme, venu de Russie, déboucherait nécessairement sur une dictature non pas du prolétariat, mais sur le prolétariat. Ce discours n’est édité qu’en 1934. Sa postérité est immense parce qu’elle nourrit l’étude du totalitarisme, alors que dans les années 1920 les pratiques bolchéviques n’étaient pas encore entièrement connues. Il faut souligner le courage de Blum lors de l’énoncé de son discours, alors que les jeux sont déjà faits avant même le début du congrès et la scission actée, face à une salle méfiante, sinon défiante.

Ces trois discours représentent diverses facettes de Léon Blum. Là où le premier texte nous offre la vision d’un Blum intellectuel, le second nous donne à lire (et à entendre !) la plume acérée de l’orateur socialiste. Le dernier, enfin, offre au lecteur l’image d’un Blum négociateur.  

 

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