Comment la « moralisation » de la vie publique peut changer notre manière de faire de la politique

La moralisation de la vie politique est un thème ancien, revenu avec force lors du dernier quinquennat à l’occasion de différentes « affaires » puis bien évidemment à l’occasion de la dernière élection présidentielle. Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean-Jaurès, revient sur ce qui est devenu un enjeu fondamental pour le nouveau gouvernement.

Cette question a d’abord été abordée historiquement sous le prisme du financement des partis politiques. Cela a commencé, timidement, lors des années 1970 et a pris son envol tout au long des années 1980 avec la mise en place progressive d’une législation précise conduisant à un financement public des partis politiques, à la fois par le nombre de suffrages obtenus ainsi que par le nombre de parlementaires élus. Depuis lors, de nouveaux enjeux sont apparus avec force dans le débat public. Bien évidemment avant même les scandales ayant touché la République au cœur, mais ceux-ci ont constitué à l’évidence un véritable « coup de tonnerre » dans le ciel parlementaire.

L’actuel quinquennat ne part pas de rien. Le bilan de la présidence précédente en la matière est en effet notable, même si cela s’est parfois fait sous la contrainte. Il avait d’ailleurs été salué par l’association Transparency International France présidée par Daniel Lebègue. Il n’est pas inopportun de le rappeler : baisse de 30 % du salaire du président de la République et de l’ensemble des ministres ; premier gouvernement paritaire de l’histoire, doublement des pénalités pour non-respect de la parité, parité pour les communes de plus de 1 000 habitants et dans les conseils départementaux ; interdiction du cumul des mandats, entre un mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales, etc.

Cette dernière réforme ne manquera pas de produire des effets institutionnels lourds dont nul ne peut à ce stade totalement envisager l’ensemble des conséquences. Il n’est pas non plus inutile de rappeler la mise en place de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique avec obligation de transparence sur le patrimoine et les intérêts des ministres, parlementaires, membres de cabinet et de certains hauts fonctionnaires. Mais ce ne fut pas tout puisque l’Assemblée nationale décida également de la transparence de la réserve parlementaire (par ailleurs répartie équitablement pour la première fois entre l’ensemble des députés, qu’ils soient dans la majorité ou bien dans les oppositions).

La moralisation s’est également attaquée aux milieux économiques avec la création de l’Agence anti-corruption, l’installation d’un parquet financier, la mise en place d’un statut de lanceur d’alerte. Enfin, élément rarement rappelé et pourtant essentiel, la généralisation  de l’ouverture des données publiques, la publication des avis du Conseil d’État et le début de la transparence des algorithmes. Révolution culturelle majeure pour l’administration française.

Comme on le voit donc, bien des mesures ont été engagées ces dernières années. Pour autant, certaines d’entre elles mériteraient à l’évidence, et les débats parlementaires l’ont montré, d’être approfondies. D’autres pourraient voir le jour. C’était en tout état de cause l’un des angles mis en avant à l’occasion de sa campagne électorale par Emmanuel Macron.

Sans préjuger de ce qui sera proposé dans les toutes prochaines semaines, et en se fondant sur ses différentes déclarations, différents éléments surgissent. Le premier point à l’évidence concerne les parlementaires, ou les aspirants à ce mandat eux-mêmes. D’abord, en abordant de front la question du renouvellement dans le temps, avec l’impossibilité d’exercer plus de trois mandats successifs. Cette mesure, à n’en pas douter, favoriserait un renouveau certain des « têtes ». Même si en réalité cela était déjà en partie le cas avec la règle de l’alternance. Mais une question s’impose alors : pourquoi cette règle devrait-elle s’appliquer uniquement aux mandats parlementaires ? Ne pourrait-elle pas, ne devrait-elle pas être également étendue aux fonctions de chef d’un exécutif local : maires, président de département, de région, voire d’intercommunalité ? 

La probité des femmes et des hommes politiques fait également l’objet de mesures faisant écho aux scandales de ces derniers mois : interdiction pour les parlementaires de faire travailler à leurs côtés des membres de leur famille, fiscalisation de l’ensemble des indemnités (indemnités parlementaires de 5200 euros net et IRFM de 5300 euros net), extension des incompatibilités du mandat parlementaire avec l’exercice d’activités, notamment de conseil. Les débats parlementaires, donc par essence juridiques et politiques, risquent d’être vifs. Car il y a loin de la pétition de principes au respect des principes du droit. Le chemin est à n’en pas douter étroit. En effet, des objections réelles et lourdes sur chacun de ces trois dossiers peuvent être avancées. Notamment sur les incompatibilités professionnelles. Si la logique veut qu’un parlementaire se consacre exclusivement à son mandat, alors il faudra bien parallèlement mettre à plat les questions relevant du statut de l’élu, notamment en matière de retour à l’emploi. Il faudra alors ne pas hésiter à avancer plus encore sur les incompatibilités professionnelles, et pas uniquement en matière de conseil. Quid des professions d’avocat ? Quid des postes de relations institutionnelles dans les grandes entreprises ? Et la liste n’est pas exhaustive. On voit ici le paradoxe de vouloir faire en sorte que la diversité sociologique retrouve plus de prégnance sur les bancs des assemblées et de multiplier les incompatibilités statutaires. Enfin, c’est bien évidemment la volonté de réduire le nombre de parlementaires. Même si les arguments avancés (non par souci d’économies mais pour plus d’efficacité et de transparence) peuvent être débattus, une comparaison avec les autres démocraties montre bien que le nombre de parlementaires par habitant est en France plus élevé que dans nombre de pays voisins. Mais là aussi, les obstacles constitutionnels et de calendrier ne sont pas à négliger.

Deuxième point avancé par Emmanuel Macron, le financement des partis politiques avec la proposition à la fois de moduler celui-ci en fonction du renouvellement des candidates et candidats investis et l’exigence d’un casier judiciaire B2 vierge des candidates et candidats à des fonctions électives. Là aussi les débats risquent d’être denses dans le cadre de la navette parlementaire au regard d’un certain nombre de principes et de l’existence de cadres législatifs, voire constitutionnels, existants. Les échanges en amont avec le Conseil d’État dans le cadre de la préparation de ce projet de loi seront à n’en pas douter particulièrement intenses. Il est évident que les apports de la Haute Autorité seront extrêmement précieux.

Enfin, il est un domaine mis en avant, avec raison, par Emmanuel Macron, la nécessaire évolution de la fabrique de la loi en souhaitant interdire que des amendements écartés en commission soient à nouveau examinés en séance publique. Si elle devait voir le jour, cette réforme constituerait l’aboutissement logique de celle de 2008 qui avait mis au cœur de la procédure parlementaire les commissions. Il préconise également d’appliquer par défaut – c’est-à-dire la norme – la procédure accélérée devant le Parlement, avec donc une seule lecture initiale par Chambre. Voici une hypothèse qui ne manquera pas de soulever quelques protestations qui ne pourraient être levées que si, parallèlement, le gouvernement s’engageait à respecter non seulement des délais de dépôt de ses propositions de lois permettant leur examen dans de bonnes conditions mais également accompagnées d’études impact suffisamment et réellement documentées. La question des études d’impact sera ici majeure. Si le gouvernement souhaite avancer sur ce plan-là, il lui faudra avancer avec sérieux et volonté sur ce sujet. Faute de quoi ces propositions pourraient apparaître comme un moyen, supplémentaire, de brider la capacité d’action des parlementaires. À n’en pas douter, la propre expérience d’Emmanuel Macron pourrait permettre l’émergence d’un véritable compromis institutionnel.

Et si cette procédure ainsi modifiée constituait un bouleversement – heureux – pour les parlementaires, il n’en serait pas moins un pour l’administration gouvernementale. Voilà un véritable moyen de re-parlementariser la vie politique. Inutile de mettre en place une VIRépublique ou de se satisfaire de quelques propos de tribune. 

On pourrait assurément suggérer maintes autres pistes au président de la République : une meilleure organisation du temps des parlementaires faisant en sorte que celui-ci consacre une semaine (mais entière) au travail à la Chambre lorsque la suivante serait exclusivement réservée à la circonscription ; limiter l’usage des questions au gouvernement aux seuls membres des groupes d’opposition (ceux-ci étant définis par leur position lors du vote d’investiture du gouvernement) puisqu’après tout le rôle de cette séance est bien la mise en difficulté des ministres; introduire la possibilité de la « motion de censure » pour des ministres, rompant ainsi avec le principe de la collégialité gouvernementale; limiter l’usage du 49-3 aux seuls textes budgétaires. 

Le chantier de la moralisation de la vie publique est lancé depuis quelques années. Des progrès très importants ont été réalisés, remettant notre démocratie dans la norme de maints autres pays européens. De nouvelles étapes sont à franchir. Mais attention: les obstacles, certains réels, sont là. L’éthique en politique n’est pas une illusion; c’est juste une longue marche. 

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