Comment prendre Marseille quand on est nombreux, déterminés, avec du poulet

Comment est né le Printemps marseillais, qui a réussi à faire basculer Marseille à gauche lors des dernières élections municipales ? Quelles en ont été les étapes déterminantes ? Olivia Fortin, adjointe à la maire de Marseille et présidente du collectif Mad Mars, raconte pour la première fois dans cette note l’intégralité de l’aventure, initiée en 2018, et en tire les grands enseignements pour que des initiatives similaires, à l’échelle locale ou nationale, puissent aboutir.

Ce titre est un hommage au livre de Srdja Popovic, Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes. Après avoir réussi à faire tomber Milosevic en Serbie, Popovic a théorisé le phénomène des révolutions non violentes et intervient dans le monde entier pour aider des initiatives locales à aboutir.

Même si, à Marseille, il n’était question ni de dictateur ni de révolution, s’attaquer à un système en place depuis plus de quatre-vingts ans, impactant l’ensemble de notre ville et la façon d’y vivre, a néanmoins quelques similitudes avec ces combats.

Généralement, à Marseille, comme ailleurs, une personnalité politique émerge, constitue autour d’elle une équipe et établit un programme avec une équipe restreinte d’experts. Ensuite, pour afficher un renouvellement, elle fait appel dans les listes à des personnalités médiatiques de la société civile. Nous, nous avons fait tout l’inverse. Réunis autour d’une intuition, nous avons construit un projet avec des milliers de mains et de cette démarche ont émergé les 303 candidats, les 8 têtes de listes de secteur et la tête de liste du Printemps marseillais, Michèle Rubirola.

Ce que nous avons fait à Marseille avec le Printemps marseillais est unique. Ce n’est pas une « classique » union de la gauche, ce n’est pas non plus une vague verte ou rose ou une association de logos. Personne n’a probablement, à cette échelle, impliqué à ce point la société civile dans une démarche politique. Personne n’a probablement jamais fait autant d’efforts, de concessions, de sacrifices, et ce sont tous ces engagements qui nous ont conduits à la victoire.

Dans cette mesure, notre histoire unique ne peut, à mon sens, être reproduite, mais, à l’évidence, elle peut être inspirante.

De la création en juin 2018 de Mad Mars, collectif citoyen, à la victoire du Printemps marseillais aux dernières élections municipales en juillet 2020, cette note est l’occasion de revenir sur le chemin qui a été le nôtre pendant ces deux années, chemin qui suscite beaucoup de curiosité. Notre parcours est loin d’être parfait, et si c’était à refaire, nous ferions certainement beaucoup de choses différemment.

L’objet de cette note est de raconter comment nous avons réussi à concrétiser notre intuition que cette victoire était possible et d’en tirer les grands enseignements pour que ceux qui voudraient demain engager une démarche similaire puissent y piocher quelques idées. Il s’agit d’une vision et d’une analyse personnelle des événements et de notre méthode, qui n’engage que moi.

Les constats et les enjeux 

À l’échelle nationale 

En France, une fracture démocratique

En 2018, le mouvement des « gilets jaunes » ébranle le pays. Le sentiment des Français de n’être pas écouté et d’être invisibilisés et la forme violente revêtue par la contestation, indique qu’il est urgent de réconcilier les Français et leurs institutions.

Du mouvement des « gilets jaunes », et du contexte social particulier, j’ai retenu ces trois thématiques parmi les revendications portées :

  • plus de transparence, avec notamment une volonté d’accéder aux données du train de vie de l’État et d’avoir la capacité de débattre des avantages des élus et des fonctionnaires ;
  • plus de démocratie, avec un besoin de reconnaissance fort, des questionnements sur la démocratie représentative et une volonté de s’impliquer davantage. De ce désir de s’engager en dehors des seules élections épisodiques des représentants naît la demande du Référendum d’initiative citoyenne. Une demande quant à la mise en place d’outils de participation des citoyens voit le jour également ;
  • plus d’égalité, avec la demande d’une plus grande justice fiscale et la volonté de lutter contre les inégalités sociales et territoriales.

2018 : le retour en grâce de l’échelon local

Pour répondre aux revendications des « gilets jaunes », le président de la République a mis en place le grand débat, en s’appuyant sur les maires, échelons de la République les plus proches des Français, intermédiaires légitimes de l’expression des citoyens ».

Ce sont effectivement les maires les plus aptes à recréer ce dialogue rompu avec la nation. Le baromètre de la confiance politique Cevipof indique que plus l’institution est proche d’eux, plus le niveau de confiance des Français est élevé. La délégitimation actuelle des responsables politiques, qu’il s’agisse du gouvernement ou des députés de la majorité, rend cette proximité d’autant plus pertinente.

Pour répondre à l’urgence de décloisonner les politiques des citoyens, les villes apparaissent comme l’échelon pertinent de la transformation appelée par les Français.

Les villes représentent un autre vecteur de transformation que l’État. Grâce à la compétence générale des maires, elles peuvent permettre une transformation rapide, en adoptant un positionnement non pas antagoniste, mais complémentaire à l’État.

D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas : selon une étude réalisée par Viavoice pour la Fondation Jean-Jaurès et la Revue Civique, en mars 2019, 62% des personnes interrogées sont favorables à l’inscription du Référendum d’initiative citoyenne dans la Constitution, quand 72% pensent qu’il serait important pour la démocratie de rendre obligatoire la consultation des citoyens au niveau local avant tout grand projet d’aménagement ou toute politique locale importante.

Ce recentrage local correspond, par ailleurs, à un enjeu moderne de circuit court : nos sociétés ont désormais intégré que la proximité permettait l’efficacité. Les villes et les métropoles sont ainsi le support pour amener dans le futur les transformations nécessaires. C’est ainsi que, conscientes de l’impact possible à l’échelon local, plus de quatre-vingts des plus grandes villes du monde se sont regroupées au sein du C40 Cities Climate Leadership Group pour pouvoir lutter, à l’échelon local, contre le dérèglement climatique.

Enfin, d’un point de vue pratique, ce sont les maires qui connaissent bien leurs habitants et sont les plus à même d’organiser concrètement le débat localement (invitation, animation, lieux, dates et horaires).

Le maillage territorial de nos communes doit être le support de la transformation profonde demandée par les Français. Dans le Code général des collectivités territoriales, de nombreuses dispositions existent, permettant, si elles sont bien utilisées, de faire vivre la démocratie participative et de faire un retour aux citoyens sur l’utilisation de l’argent public notamment. Il a donc été clair dès 2018 qu’il fallait se saisir de ces dispositions pour répondre aux attentes des Français.

On peut noter qu’à terme valoriser l’échelon local aidera certainement à revaloriser le rôle des maires, fortement ébranlés par les évolutions institutionnelles récentes. Le rôle du maire a tellement été mis à mal qu’un maire sur deux n’a pas souhaité se représenter en 2020.

À Marseille

Marseille, une ville fracturée qui cumule les combats

À Marseille, la crise démocratique et sociale qui traverse la France est exacerbée. Dans tous les domaines, la ville accumule les retards.

Notre ville a connu seulement trois maires en sept décennies, et l’intérêt général y a fréquemment été déterminé par la somme d’intérêts particuliers, avec des politiques publiques qui avaient principalement pour but de permettre aux maires de « durer » plutôt que de prendre à bras-le-corps les enjeux qui s’affirmaient pourtant jour après jour. Ce système, en place à Marseille depuis les années Defferre, est décrit dans le documentaire Le Système G de Fanny Fontan, Romain Fiorucci et Fréderic Legrand et a toujours aujourd’hui des conséquences concrètes.

En plus d’être la ville la plus inégalitaire, la plus pauvre avec quatre arrondissements de la ville parmi les six communes les plus pauvres du pays, la plus embouteillée, et la plus polluée de France, la situation économique de Marseille est peu favorable et la ville traverse une crise aiguë de gouvernance.

Dans cette ville fracturée entre des quartiers sud globalement favorisés et un centre-ville des quartiers nord globalement délaissés, les écarts se creusent de plus en plus.

Ce rapport au pouvoir a engendré de façon directe une mauvaise gestion de la ville. Les trois derniers rapports de la Chambre régionale des comptes pointent la mauvaise gestion financière, l’inexistante gestion du patrimoine foncier et les manquements concernant les ressources humaines. Entre ces trois rapports échelonnés sur quinze ans, la Chambre renouvelle des recommandations quasiment à l’identique, l’exécutif n’ayant pas eu la volonté politique de suivre les instructions. L’analyse minutieuse des recommandations du dernier rapport de la Chambre régionale des comptes a été un élément important de notre travail de préparation des propositions pour Marseille.

Sur le plan économique, alors que notre territoire est dynamique et qu’entre 10 000 et 15 000 entreprises sont créées chaque année à Marseille, on constate qu’il manque 60 000 emplois privés. À tel point que, d’après une étude de l’Ifop pour le journal La Marseillaise en 2018, si les jeunes sont majoritairement satisfaits de leur vie à Marseille, 67% seraient prêts à quitter la ville s’ils en avaient la possibilité, dont 38% « certainement ». La principale motivation au départ est l’impossibilité de trouver un emploi (60%). Nous avons pourtant besoin de tous nos talents pour faire avancer la ville.

Par ailleurs, notre territoire est peu attractif pour des talents extérieurs. Une étude de 2019 sur l’attractivité des métropoles françaises place Marseille au rang de bonne dernière et montre à quel point nous ne sommes pas les ambassadeurs de notre ville : seulement 51% d’entre nous sont disposés à recommander notre ville à une personne cherchant à changer de région. Évidemment, comment être attractif quand le « produit » n’est pas bon ?

Enfin, Marseille traverse une crise aiguë de gouvernance.

Pour les habitants, alors que partout dans le monde les dispositifs de participation citoyenne fleurissent, nous restons à Marseille enfermés dans des fonctionnements d’un autre temps.

Le seul dispositif fonctionnel reste aujourd’hui celui des CIQ (Comité d’intérêt de quartier) décrit par Cesare Mattina dans son ouvrage Clientélismes urbains, comme tout-puissant dans ce domaine, bénéficiant de relations privilégiées avec les élus et les institutions publiques. Nées pour les premières dès la fin du XIXe siècle, ces instances ont permis l’émergence d’une nouvelle élite légitimée par les pouvoirs publics, mêlant dès lors dans leurs doléances intérêt général et intérêts personnels.

Ce pouvoir n’est pas contrebalancé par les autres dispositifs obligatoires, comme les comités d’initiatives et de consultation d’arrondissement (CICA) ou les conseils de quartier qui, faute de réelle volonté politique, restent aujourd’hui inopérants.

Ainsi, à Marseille, faute de pratique, les concertations citoyennes ont des résultats médiocres, voire dramatiques, comme celle de la requalification de la place de la Plaine. Cette place, qui est la plus vaste de la ville, fait l’objet actuellement d’une réhabilitation dont le projet a été rejeté par de nombreux usagers. L’échec des séances de concertation proposées par l’aménageur a donné lieu à des violences sans précédent, à tel point que le dernier chantier de la mandature précédente s’est réalisé à l’abri d’un mur de béton. Tout un symbole.

Marseille, un moment historique

Depuis la date du 5 novembre 2018, tout s’accélère avec l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne dans le quartier de Noailles, entraînant huit morts. Pour la première fois, une population s’est levée, et plus de 20 000 manifestants se sont mobilisés contre le logement indigne et ont crié « Gaudin démission ! » sous les fenêtres closes d’une mairie barricadée.

Si Marseille, ville fracturée et meurtrie, se lève aujourd’hui, c’est que ses habitants ont depuis longtemps une lucidité certaine sur la situation et réclament désormais de réelles politiques publiques et une transformation de la gouvernance de la ville.

Ces élections correspondaient également à la fin d’un règne : Gaudin a annoncé ne pas se représenter, après vingt-cinq ans de mandat. Que ce soit intentionnel ou non, il n’a pas préparé sa succession de façon à ce qu’un candidat unique soit en capacité d’être incontestable dans son propre camp.

Marseille, un terrain favorable

L’exécutif de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur sous le dernier mandat de Vauzelle a permis à de nombreux responsables politiques de gauche de travailler ensemble, comme notamment Michèle Rubirola, Sophie Camard, Aïcha Sif, Jean-Marc Coppola et Audrey Garino.

Par ailleurs, le fait que notre ville soit aussi meurtrie a permis au fil des ans de créer de premières passerelles entre responsables politiques et collectifs autour de combats communs. Que ce soit autour de la protection du patrimoine foncier et des espaces verts, comme la Villa Valmer ou des vestiges antiques de la Corderie, la lutte contre l’habitat indigne ou encore autour du sujet des écoles publiques avec la lutte contre le partenariat public/privé souhaité par la mandature précédente, nombreuses ont été les occasions pour que les acteurs de la ville puissent se réunir autour de causes d’intérêt général et qu’une confiance puisse s’établir.

Cet historique est important dans notre histoire. Nous avons eu maintes fois l’occasion de vérifier que la confiance ne se décrète pas, mais qu’elle se construit patiemment. Que ces liens existent déjà a été déterminant.

Les enjeux

L’obligation de renverser le système

Permettre à tous de se réapproprier la ville, afin qu’ensemble nous puissions relever les défis qui sont les nôtres passait, pour nous, obligatoirement par un renouvellement des responsables politiques, afin de permettre l’installation de nouvelles pratiques.

Dès 2018, nous assistions à la préparation des candidats de la droite : Bruno Gilles, élu depuis 1995, et Martine Vassal, élue depuis 2001. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, difficile d’imaginer qu’avec eux à la tête de la ville, les choses puissent évoluer vers plus d’intérêt général.

À gauche, en 2018, rien de précis ne se dessinait encore. Cependant, il était clair pour nous que ce n’était pas une simple alternance politique qui nous permettrait de sortir des pratiques néfastes pour la ville. Il fallait proposer une réelle alternative pour renverser le système.

S’investir en politique, premier levier à notre disposition pour permettre le changement

Permettre la mise en place de politiques publiques et de services publics pour l’ensemble des Marseillaises et des Marseillais est aujourd’hui un impératif. Cet impératif était déjà en 2018 bien identifié par de nombreux habitants de la ville,  parce qu’ils souffraient de l’absence de politiques publiques. 

Pour nous, les « non-encartés » qui voulions que ça change, il s’agissait donc de s’investir en politique, premier levier à notre disposition pour transformer nos colères en action concrète.

Sortir de la posture de la critique pour « mettre les mains dedans » et essayer de contribuer au changement n’est pas neutre et le pas à franchir n’est pas simple : il faut prendre le temps nécessaire sur sa vie personnelle et professionnelle, se confronter à la difficulté de faire, imaginer devenir un jour chargé de mettre en œuvre le changement souhaité… Tout cela n’est pas forcément naturel et encore moins à Marseille où les rapports politiques incluent souvent une forme de violence.

Pour prendre le pouvoir, travailler sur l’offre et la demande

Travailler sur l’offre : renouveler les têtes et les idées

Depuis 1995, la gauche échoue à Marseille lors des scrutins municipaux. Il aurait été inimaginable de participer aux élections de 2020 sans tenir compte du contexte décrit plus haut et, pour ça, l’impératif était de renouveler les têtes et les idées.

Renouveler les têtes

Il était utopique de croire qu’on puisse y arriver à prendre le pouvoir avec peu ou prou les mêmes visages, les mêmes pratiques, les mêmes idées. Si on identifiait dès 2018 quelques leaders politiques compatibles avec cette envie de changement, les listes se sont construites ici avec 303 noms, et il était nécessaire de faire émerger de nouveaux profils pour constituer l’équipe de nos rêves.

Renouveler les idées

Notre société évolue de plus en vite, les enjeux de 2020 ne sont plus ceux de 2014. Par ailleurs, face à la complexité de la situation marseillaise, il était illusoire de rechercher l’homme ou la femme providentielle, celui ou celle qui a toutes les solutions. Seul un collectif large pouvait proposer un nouveau projet, mais aussi une nouvelle manière de faire de la politique.

Fédérer les têtes et les idées

Il était impératif de se saisir des enjeux de notre ville : école, habitat indigne, démocratie, écologie, économie, lutte contre les inégalités, etc., en construisant un projet avec toutes celles et ceux qui souhaitent y participer et qui, dans leur champ d’action quotidien, agissent et identifient les solutions à mettre en œuvre, chacun dans son domaine, politique ou non.

Travailler sur la demande : lutter contre l’abstention 

L’état actuel de la ville de Marseille est l’aboutissement de quatre-vingts années de politique menées par des acteurs politiques de droite comme de gauche.

Les nombreuses « affaires », à droite comme à gauche, ont jeté un discrédit sur la totalité de la classe politique et ont généré un défaitisme certain chez les électeurs.

On comptabilise systématiquement une abstention très forte lors des scrutins. En 2014, Jean-Claude Gaudin a été réélu avec une abstention de plus de 46%, alors que la moyenne nationale était de 36%.

Les grandes étapes

Étape 1 : Mad Mars, soyons fous, croyons à la politique !

Mad Mars, rassemblement citoyen, est né le 22 juin 2018 d’une discussion autour d’une pizza entre ma nièce de vingt ans, Tarik Ghezali, et moi. Si notre volonté de pouvoir changer à Marseille de paradigme politique lors des élections municipales de 2020 était claire, il nous fallait déterminer un moyen d’agir efficace pour permettre ce changement.

Cette volonté d’agir repose sur notre indignation commune face à l’écart entre ce qu’est réellement Marseille et ce qu’elle pourrait être, au vu de ses atouts incroyables, elle repose aussi sur notre révolte devant le déni de l’ampleur des difficultés de notre ville ainsi que le déni des municipalités successives de l’immense potentiel des personnes qui y vivent.

Face à cela, nous avons eu la folie de penser que ce n’était pas inéluctable, qu’il n’y avait pas de fatalité et nous avons été fous ! Nous avons décidé de faire de la politique en nous impliquant dans le jeu.

Un objet unique

Très vite, notre intuition a été la suivante : en face d’un Rassemblement national bien installé à Marseille et face aux équipes sortantes, fortes de leurs réseaux, une liste citoyenne n’aurait aucune chance. Nous avions bien noté l’expérience de Changer la donne à Marseille en 2014 ou des Motivés à Toulouse.

Parallèlement, nous avions identifié à Marseille des responsables politiques éclairés, avec lesquels nous avions envie de travailler.

Nous avions bien en tête les talents, l’énergie et la créativité existant côté société civile. Nous avions aussi constaté que, trop souvent, chacun agissait dans son coin jusque-là, mais avec une envie de s’impliquer.

Notre certitude a donc immédiatement été que si, pour les élections municipales de 2020, on avait en lice deux listes PS, une liste PC, une liste LFI, une liste EELV et trois listes citoyennes, personne ne serait en capacité d’être au deuxième tour.

Nous nous sommes donc fixés pour objectif de réaliser la convergence de tous les progressistes, au-delà des étiquettes et des postures, car même si nous ne militons pas localement dans les mêmes partis, nous sommes d’accord sur 90% des réponses à apporter aux urgences marseillaises. Ensuite, il a fallu formuler ensemble un programme commun, ambitieux et réaliste et constituer des listes renouvelées.

Qui est-on ?

Une association loi 1901, qui rassemble plus de trois cents membres payants.

Le conseil d’administration de vingt membres, dont nombreux sont les co-fondateurs originaux du mouvement, est le moteur des actions de l’association. Les compétences rassemblées en son sein sont complémentaires : gestion de projet, communication, rédaction, finances publiques, participation citoyenne, etc.

Notre méthode 

D’abord, se faire un nom

Difficulté de départ : se créer un espace politique et de la visibilité pour devenir légitime.

Le combat contre le projet de PPP des écoles primaires nous est très vite apparu comme prioritaire, si la municipalité réussissait à faire passer ce projet, cela revenait à engager la ville pour vingt-cinq ans dans une voie désastreuse.

Nous avons donc décidé d’apporter notre pierre à ce combat, en interpellant notamment publiquement chacun des élus du conseil municipal sur le vote qui allait être le sien sur ce dossier, et en communiquant de façon décalée sur ce projet avec notre site Internet Qui veut gagner 300 millions ?, en référence à l’estimation du montant d’argent public gâché par ce procédé.

Cette action nous a permis de rencontrer des élus et des collectifs impliqués dans cette démarche et de commencer à apparaître publiquement.

Ensuite, faire vivre le temps des idées

Pour réaliser la grande union des progressistes dont nous rêvions, nous avions besoin de réunir des responsables politiques et de fédérer la société civile éparse souhaitant s’impliquer dans le champ politique.

En coulisse, la « poulétique »

Après avoir rencontré individuellement les responsables politiques avec lesquels nous souhaitions travailler, inspirés par le film Le Festin de Babette, nous avons organisé sur une période assez large nos fameux dîners poulet. Le principe : un poulet rôti, des patates, une bouteille de rouge, tout le monde autour de la table pour créer du commun autour d’un bon repas. Ces dîners auront été l’occasion d’aborder cette idée d’union dans des configurations variables, en permettant à chaque fois aux convives de se rencontrer d’une façon informelle et chaleureuse. L’objectif de ces dîners était de mettre en avant les points de convergence et de valoriser l’envie commune de monter un projet ensemble. Se sont rencontrés à ces occasions des responsables politiques qui ne se parlaient pas et des acteurs de la société civile.

En public, la fédération de la société civile

Nous nous sommes rapprochés de Raphaël Glucksmann qui montait son mouvement Place publique et nous avons organisé lors d’une de ses venues à Marseille un dîner de travail avec des associations et des collectifs pour engager une démarche de collaboration autour de projets pour la ville.

Puis, en février 2019, nous avons travaillé à l’ouverture de notre mouvement avec des réunions de présentation de notre démarche. Ces réunions étaient ouvertes à tous, individus comme mouvements structurés, en précisant dès lors notre objectif et notre feuille de route.

Feuille de route présentée le 6 février 2019

Entre février et mai 2019, nous avons organisé régulièrement des réunions publiques qui étaient l’occasion pour ceux qui le désiraient de venir présenter leurs propositions pour Marseille, sous la forme de pitchs courts, suivis d’échanges avec la salle. Ces réunions ont permis de fédérer un tissu de citoyens d’horizons divers qui se sont rencontrés à cette occasion autour de notre envie commune de faire avancer notre ville.

Le 7 juin 2019, la réunion des politiques et de la société civile

Nous souhaitions réunir dans la même pièce les acteurs possibles d’une union large pour les municipales autour des idées, et non autour de personnalités politiques.

Pour cela, nous avons organisé cette soirée en deux parties :

  • des experts ont pris la parole sur la base d’une étude menée par Libération et la Fondation Jean-Jaurès sur les aspirations des Marseillaises et des Marseillais pour la prochaine élection municipale, en ciblant la problématique de l’abstention. L’objectif : s’ancrer dans la réalité, connaître son terrain ;
  • puis, Mad Mars a présenté la synthèse des travaux menés dans les mois précédents et formulé des propositions répondant aux préoccupations des Marseillaises et des Marseillais.

Dans la salle étaient présents l’ensemble des acteurs politiques locaux : LREM, EELV, PRG, PS, PC, LFI, Place publique, Nouvelle donne, etc., la société civile impliquée dans les combats, soit près de six cents personnes. Une première à Marseille.

En bref, le rôle de Mad Mars

Depuis sa fondation, Mad Mars a été :

  • une instance de rencontre, de connexion, de structuration de la société civile ;
  • une instance d’implication pour ceux qui ne se retrouvent pas dans les organisations politiques telles qu’elles existent aujourd’hui ;
  • une instance d’émergence de profils et d’ascension vers des candidatures aux élections ou à des postes en cabinet ;
  • un vivier de compétences et de solutions bénévoles pour lancer la campagne du Printemps marseillais, alors que nous n’avions pas de moyens.

Étape 2 : s’unir ou subir 

En parallèle du travail de Mad Mars autour de la « poulétique » et des réunions publiques de la société civile se sont articulées des rencontres avec d’autres collectifs citoyens ayant une implication politique.

Avec les collectifs Marseille et Moi, Réinventer la gauche et Marseille en commun, nous avons initié un appel aux responsables politiques pour la création d’une liste unique.

Cet appel « S’unir ou subir » a été publié dans Libération le 16 mai 2019, cosigné par vingt et un collectifs et associations marseillaises et était accompagné d’une pétition. L’intérêt de cette démarche a été de commencer à fédérer les acteurs et envoyer un signal fort aux responsables politiques. Cela a participé à faire prendre conscience qu’il fallait trouver des points de convergence pour ne pas partir séparément.

Étape 3 : la naissance du « mouvement sans précédent » 

Le temps des engagements

Après l’appel « S’unir ou subir » et l’événement Mad Mars du 7 juin, qui correspondaient au temps des idées, est venu le temps des engagements. Cet engagement s’est concrétisé par la signature du texte fondateur de notre initiative : l’acte de naissance d’un « Mouvement sans précédent », paru dans Libération le 10 juillet 2019.

Pour y arriver, nous nous sommes mobilisés lors de réunions régulières permettant de poser les bases de notre rassemblement. Ce texte est un engagement à construire un mouvement unitaire, son projet et sa méthode, jusqu’à la constitution d’une équipe.

S’engagent dans cette démarche 51 premiers signataires issus de la société civile et de partis politiques, parmi lesquels :

  • Michèle Rubirola, Aïcha Sif et Théo Challande d’EELV ;
  • le Parti communiste, par la signature de Jérémy Bacchi, secrétaire départemental du parti, Jean-Marc Coppola et Audrey Garino. À noter que le PCF avait publié dès avril 2019 un appel à l’union des forces de gauche pour les municipales ;
  • Benoît Payan, Nassera Benmarnia et Yannick Ohanessian du Parti socialiste ;
  • Sophie Camard de La France insoumise ;
  • Pierre Huguet de Génération.s ;
  • Ahmed Heddadi des Radicaux de gauche ; 
  • Jean-Pierre Cochet de Place publique ;
  • Christian Bruschi et Hélène Goldet du collectif Réinventer la gauche ;
  • Aldo Bianchi et Gilbert Orsoni du collectif Marseille et moi ;
  • Félix Blanc du collectif Marseille en commun ;
  • Mathilde Chaboche et moi-même, de Mad Mars ;
  • Pierre-Marie Ganozzi, enseignant syndicaliste engagé dans le combat contre le PPP.

Avant même la publication du texte officiellement, plus de six cents personnes ont rejoint le mouvement et signé ce texte.

Les principes fondateurs

Les grands principes sur lesquels nous nous sommes accordés sont les suivants :

  • notre volonté commune de justice sociale, d’écologie, de démocratie et de dynamisme économique ;
  • une clarification de l’arc politique : « Nous refusons les compromis avec les héritiers de ce système et avec les représentants de la majorité présidentielle. » ;
  • ni logo ni ego : les organisations et les personnes passent après le projet commun ;
  • un projet coopératif associant tous les acteurs volontaires de la ville ;
  • la parité dans les instances et dans les listes entre politiques et société civile.

La sortie d’EELV des discussions

C’est à la veille de la publication de ce texte que la majorité des représentants marseillais d’EELV (sept sur huit, la huitième étant Michèle Rubirola) ont choisi de ne pas signer ce texte et de ne pas s’engager dans notre démarche unitaire. Plusieurs raisons expliquent cette décision d’EELV.

Forts des résultats locaux des européennes 2019 où ils sont arrivés troisième à 13,7% derrière un RN à 26,3% et LREM à 20,7%, ils ont préféré se réserver la possibilité d’aller seul au premier tour.

Dans nos négociations préalables, ils tenaient à ce qu’on fixe une méthode de fonctionnement et de décision avant de signer avec nous cet appel. Ils nous ont proposé une méthode clé en main, quand nous avions besoin de notre côté de construire cette méthode tous ensemble au fur et à mesure. 

Par la suite, cette stratégie a été confirmée par une assemblée générale d’EELV en octobre 2019, qui choisit à 80% des 74 votants la voie de l’autonomie, persuadés que le rassemblement devait se construire autour de l’écologie. Sébastien Barles, alors élu tête de liste déclare : « On considère que la ville peut être renversée autour de l’écologie. Elle permet de ramener les abstentionnistes et les déçus de cinquante ans d’incurie municipale aux urnes. On aimerait que nos partenaires l’entendent. »

Les ressortissants d’EELV qui ont alors choisi de poursuivre la construction de notre mouvement unitaire, dont Michèle Rubirola, se sont fait suspendre de leur parti pour cette raison. Les habitants de la ville n’ont pas compris cette décision alors que, par ailleurs, le rassemblement continuait à se construire patiemment. Les échanges de visu ou sur les réseaux sociaux ont été plus que vifs… 

La position de La France insoumise

Le soutien de La France insoumise à notre démarche a été acté par une assemblée générale interne, en octobre 2019, mais avec un double mandat donné par Jean-Luc Mélenchon aux représentants locaux :

  • participer au Printemps marseillais ;
  • réussir à faire la jonction entre le Printemps marseillais et le Pacte démocratique, collectif issu des états généraux de Marseille souhaitant s’impliquer dans les élections municipales.

Ce double mandat a été confié à deux chefs de file nommés le même jour : Sophie Camard, qui s’était engagée depuis le début dans notre démarche de rassemblement, et Mohamed Bensaada, qui était lui engagé dans la démarche du Pacte démocratique.

Si, sur le papier, ce rassemblement paraissait évident, nous nous sommes collectivement heurtés à beaucoup de difficultés et d’incompréhensions. Je l’explique par le fait que, de notre côté, notre rassemblement incluait de nombreux représentants issus d’organisations politiques, organisations vis-à-vis desquelles les représentants du Pacte démocratique ressentaient une défiance forte. En effet, quand on représente un collectif d’habitants d’un des nombreux quartiers « oubliés » de Marseille, qu’on s’est battu depuis toujours pour pouvoir vivre dignement, et donc souvent battu contre les politiques, il est difficile de faire un pas de côté du jour au lendemain et de travailler en confiance.

Finalement, le rapprochement avec le Pacte démocratique n’aura pas été possible et la complexité induite par le double mandat de La France insoumise nous aura fait passer collectivement beaucoup de temps pour tenter d’y arriver.

Après la signature du texte, la mise en place du comité de pilotage

Ce texte du 10 juillet était un premier aboutissement, mais il a surtout été un point de départ : celui de nos comités de pilotage. Réuni de façon hebdomadaire depuis la parution du texte en juillet 2019 jusqu’à la désignation de notre tête de liste en janvier 2020, ce comité de pilotage a été le cœur de la patiente construction de notre projet.

Constitué de façon paritaire entre représentants d’organisations politiques et de la société civile, ce comité réunissait trente-six personnes d’horizons divers, dans la moitié représentaient les dix partis politiques impliqués dans la démarche et l’autre moitié représentaient les trois associations fondatrices (Mad Mars, Marseille et moi, Réinventer la gauche) et des personnalités de la société civile, de divers collectifs, associations et syndicats marseillais.

Cette assemblée a été le lieu :

  • de la création de notre culture commune autour de débats et de décisions concernant notre méthode de fonctionnement, construite pas à pas ;
  • du choix de notre nom et de notre identité ;
  • de la mise en place des instances qui ont élaboré notre programme ;
  • de la mise en place des instances permettant de faire émerger les candidatures citoyennes susceptibles de nous rejoindre sur les listes.

Souvent laborieuses, parfois houleuses, ces réunions hebdomadaires ont été le creuset de notre action. Pendant cette période, nous avons gardé comme boussole ce que nous avions en commun, notre objectif central, et nous avons essayé de mettre en avant que nous partagions 90% des solutions pour y arriver.

En plus du comité de pilotage ont été mises en place de nombreuses commissions de travail :

  • commissions finances et administratif pour proposer un cadre à notre mouvement ;
  • commissions thématiques et géographiques pour amorcer des réunions publiques d’élargissement et constituer notre cadre idéologique, chapeautées par une commission « vision » dans laquelle les arbitrages avaient lieu ;
  • commission fonctionnement interne pour réfléchir à notre méthode et mettre en place l’organisation nécessaire ;
  • commission communication ;
  • commission électorale pour réfléchir à la constitution des listes.

Ces commissions étaient un lieu de travail de fond. Elles permettaient d’intégrer des personnes qui ne participaient pas au comité de pilotage (puisqu’on y limitait les places) mais qui étaient impliquées dans le projet. Ces commissions étaient aussi des lieux de débat. Les commissions rapportaient régulièrement au comité de pilotage pour arbitrage.

Cependant, la prise de décision au sein du comité de pilotage est longue et difficile avec trente-six personnes autour de la table, surtout quand on recherche le consensus systématiquement, ce qui a été notre cas, n’ayant alors pas de chef. Continuer sur ce format aurait été un frein pour la phase de la campagne électorale.

Étape 4 : le Printemps marseillais 

Le nom de Printemps marseillais a été choisi par notre comité de pilotage dès fin octobre 2019. Nous avions besoin d’une bannière commune sous laquelle mener la bataille tous ensemble et le choix d’une identité partagée était la première étape nécessaire.

La structure juridique et les moyens opérationnels

Pour être en capacité de porter administrativement la campagne, centraliser les dépenses de campagne communes et recueillir des dons financiers, nous avons choisi de mettre en place une structure juridique associative à caractère politique. Jamais cette association n’a eu d’autres membres ou adhérents que les membres de son bureau. D’une part, parce qu’il était nécessaire de ne pas entrer en concurrence avec les partis politiques, qui n’auraient pas apprécié que leurs adhérents soient redirigés vers une autre instance. D’autre part, nous évitions ainsi de créer un conflit avec les partis politiques dont les statuts ne supportaient pas la double appartenance.

En attendant d’avoir les moyens financiers apportés par les huit têtes de liste et de recueillir des dons financiers, ce sont des bénévoles qui ont mis en place l’ensemble du dispositif opérationnel et qui ont été les chevilles ouvrières du lancement de la campagne : coordination, organisation d’événements, communication, rédaction, etc. Tout cela a été géré par les bonnes volontés qui ont bien voulu dégager du temps pour le projet.

Le choix de notre tête de liste

Si nous avons repoussé le plus possible tout au long du processus les questions de personne et d’incarnation de notre mouvement, cette question s’est imposée à notre comité de pilotage à partir de novembre 2019.

Plusieurs discussions et débats ont eu lieu en interne et il a été décidé de proposer au scrutin des désormais cinq mille signataires de notre appel la désignation d’une tête de liste et d’une équipe. Nous avons, au sein du comité de pilotage, fixé les règles de ce scrutin en indiquant que chaque membre du comité de pilotage était libre de présenter une équipe au scrutin des signataires.

La date du scrutin a été fixée aux 9 et 10 janvier 2020, il était possible d’y participer physiquement ou par voie numérique.

Début janvier 2020, Benoît Payan, qui aurait été un candidat tout à fait légitime à la tête de liste du mouvement, a annoncé ne pas se présenter et soutenir Michèle Rubirola à cette fonction.

Cette décision a été fondamentale dans notre réussite. Elle a permis à notre projet de se concrétiser, l’appartenance de Benoît Payan au Parti socialiste étant clivante pour certains, notamment pour Jean-Luc Mélenchon. Elle a également permis de créer l’espace politique pour amener le Printemps marseillais vers la victoire. Après le choix de Michèle Rubirola de la voie de l’union – ce qui lui a valu la suspension de son propre parti –, nous avions là un deuxième acte fort qui démontrait l’esprit de responsabilité du Printemps marseillais, plaçant l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers.

Sans surprise, Michèle Rubirola est donc désignée tête de liste du Printemps marseillais le 10 janvier 2020 au soir, avec à ses côtés une équipe.

Le choix des têtes de liste de secteur

La désignation des têtes de liste de secteur et leur répartition entre les secteurs ont été guidées par la recherche d’équilibre des forces et par l’adéquation des candidats avec les territoires.

Les discussions permettant d’aboutir à ces désignations par Michèle Rubirola ont duré environ trois semaines, temps nécessaire pour que le processus puisse aboutir sereinement.

Dans cette phase, comme dans les précédentes, les discussions ont été menées directement par les membres du Printemps marseillais représentants des principales composantes politiques et citoyennes, sans que les partis politiques en tant que tels soient impliqués.

C’est à cette étape qu’est devenu indispensable notre tiers neutre de confiance, Frédéric Rosmini, bientôt quatre-vingts ans, ancien député européen et directeur de campagne à Vitrolles contre le Front national notamment. Il avait suivi la construction de notre mouvement mais c’est à partir de cette étape que ses qualités de médiateur ont pris toute leur importance, en étant mandaté par Michèle Rubirola pour mener ces discussions internes. « Candidat à rien », comme il disait, il est devenu très vite le « paratonnerre de la campagne » en gérant les sujets épineux.

Nos têtes de liste ont été annoncées par Michèle Rubirola au cours d’une conférence de presse le 7 février 2020.

 

 

Têtes de liste du Printemps marseillais

1er secteur (1/7 arr.)

Sophie Camard (LFI)

2e secteur (2/3 arr.)

Benoît Payan (Parti socialiste)

3e secteur (4/5 arr.)

Michèle Rubirola (EELV suspendue)

4e secteur (6/8 arr.)

Olivia Fortin (Mad Mars)

5e secteur (9 /10 arr.)

Aïcha Sif (Écologiste)

6e secteur (11/12 arr.)

Yannick Ohanessian (Parti socialiste)

7e secteur (13/14 arr.)

Jérémy Bacchi (Parti communiste français)

8e secteur (15/16 arr.)

Jean-Marc Coppola (Parti communiste français)

 

Gouvernance

Dès la désignation des têtes de liste, la gouvernance du Printemps marseillais a été assurée par le comité des huit têtes de liste, accompagné du « paratonnerre de la campagne », Frédéric Rosmini, de la directrice de campagne, Marie Batoux. En soutien, étaient présents lors des réunions le mandataire financier du Printemps marseillais, Joël Canicave, la directrice de la communication, Annabel Hervieu, et le responsable du programme, Yoan Levy.

C’est dans cette instance que se sont prises les décisions stratégiques, opérationnelles et financières pendant le premier tour, le confinement et le deuxième tour.

Dans chaque secteur, chaque tête de liste de secteur a mis en place l’organisation dont elle avait besoin avec les forces qui étaient les siennes.

La constitution des listes

À Marseille, constituer des listes signifie établir huit listes totalisant 303 candidats.

Le comité de pilotage du Printemps marseillais avait mis en place une instance permettant de traiter les plus de quatre cents candidatures citoyennes que nous avons reçues, désireuses de participer à l’élection. Ce collège électoral était composé de membres proposés par les membres du comité de pilotage ou leurs représentants pour deux tiers (50% politiques, 50% société civile) et par des volontaires tirés au sort parmi les signataires de notre appel pour un tiers. Ses membres ont géré les candidatures reçues et ont auditionné les candidats qui étaient inconnus jusque-là.

Nos listes ont été un panachage de candidats issus du travail du collège électoral et de candidats issus des organisations politiques représentées au Printemps marseillais. Il avait été convenu préalablement que les candidats issus des organisations politiques seraient choisis par les organisations elles-mêmes, sans entrisme de la part des autres parties prenantes.

Chaque candidat a signé la charte du Printemps marseillais établie par le comité de pilotage.

Un programme ambitieux et réaliste

Pour constituer notre programme, les commissions thématiques et géographiques se sont mises en place dès septembre 2019. Les travaux étaient synthétisés par étapes au sein de notre commission « vision » qui était constituée de façon paritaire et qui, chaque dimanche soir, étudiait les propositions des groupes de travail pour les passer au tamis de la faisabilité et des nécessaires accords politiques. Cette instance a révélé que des gens non experts sont tout à fait capables d’être pertinents en ayant un espace d’information et d’échanges avant d’arbitrer les points.

C’est dans cette instance que s’est imposé le cadre idéologique de notre mouvement et qu’ont eu lieu les débats favorisant les ajustements entre les différentes parties prenantes.

Ce travail colossal a pris beaucoup de temps et nous a permis de livrer, quelques semaines seulement avant le premier tour, un programme complet dont nous sommes encore fiers aujourd’hui.

Une communication innovante

Notre mouvement étant donc unique, notre communication l’a été aussi.

Dès le début de notre campagne, alors que nous n’avions pas encore de tête de liste adoubée, nous avons lancé une campagne d’affichage dont les codes ont été conservés tout au long de la campagne : couleurs pop et messages innovants.

En revanche, notre charte graphique a évolué au fur et à mesure que notre identité se renforçait et s’affirmait, comme le montrent ces quelques exemples.

 

 

La lutte contre l’abstention

Mad Mars a été particulièrement investi dans la lutte contre l’abstention avec la mise en place d’une campagne dédiée, pour inciter les Marseillaises et les Marseillais à s’inscrire sur les listes électorales, sans prêcher pour une paroisse en particulier mais pour l’exercice de la démocratie :

  • un site Internet pour savoir si on peut s’inscrire sur les listes et comment le faire ;
  • des actions militantes partout dans la ville : devant les gares, les campus, les marchés, etc., avec des distributions de Cerfa et des explications ;
  • une communication décalée sur les réseaux sociaux avec des visuels qui attirent l’attention.

 

 

Résultat :  14 000 nouveaux inscrits sur les listes électorales sur la période.

 

Les forces en présence au premier tour

Au terme du dépôt des listes, nous avions donc la configuration suivante :

  • le Printemps marseillais, mouvement soutenu officiellement par le Parti socialiste, le Parti communiste français, Génération.s, Place publique, Nouvelle donne, le Parti des radicaux de gauche, Ensemble, Gauche républicaine et socialiste, le Mouvement des progressistes présents dans huit secteurs de la ville sur huit ;
  • Debout Marseille, mouvement soutenu officiellement par EELV, Génération écologie, AEI, présents dans sept secteurs sur huit et membre du rassemblement Unir ! soutenu par LFI dans les 13e et 14e arrondissements ;
  • Marseille avant tout, la liste portée par Samia Ghali, présente dans huit secteurs sur huit ;
  • LREM, avec Yvon Berland comme tête de liste, présente dans huit secteurs sur huit ;
  • Les Républicains avec Martine Vassal, présents dans huit secteurs sur huit ;
  • la liste de Bruno Gilles, candidat déçu à l’investiture des Républicains, présente dans huit secteurs sur huit ;
  • les listes du Rassemblement national, présentes dans huit secteurs sur huit.

Dans cette configuration, rien n’était donc joué avant le premier tour. Nous n’avions pas réussi à rassembler l’ensemble des forces de gauche ; la droite était divisée et La République en marche souffrait à la fois des conséquences de la politique nationale et d’un faible ancrage militant sur le plan local.  

Il est par ailleurs intéressant de noter a posteriori que la seule liste soutenue officiellement par La France insoumise au premier tour était donc contre le Printemps marseillais dans les 13e et 14e arrondissements. Cela n’a pas empêché Les Républicains de tenir pendant toute la campagne un discours visant à effrayer les électeurs, associant le Printemps marseillais à La France insoumise et La France insoumise à l’ultra-gauche : « L’ultra-gauche est en passe de prendre Marseille. Les équipes de Mélenchon sont aux portes de la ville », déclare Martine Vassal au journal La Provence. Nos concurrents sont allés jusqu’à diffuser des tracts et des affiches en tentant d’assimiler le Printemps marseillais aux « blacks blocks » et ils ont affiché partout dans la ville des images de Michèle Rubirola aux côtés de Jean-Luc Mélenchon pour semer la confusion dans les esprits de l’électorat. Ces manœuvres de la droite ne datent pas d’hier et ont été appliquées dès 1981 : les chars russes allaient débarquer sur les Champs-Élysées avec l’élection de François Mitterrand. Dans de nombreuses villes de France, en 2020, cette « tactique » a été reproduite, comme à Marseille. La droite manque peut-être de créativité et d’imagination… Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon était arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle de 2017 à Marseille et nous aurions été heureux d’avoir son soutien dès le début de notre démarche.

Le premier tour

Dès la désignation des huit têtes de liste de secteur, la campagne s’est structurée. L’équipe de campagne centrale a assuré la coordination des actions, la finalisation du programme et la communication globale pour garantir la cohérence. Les efforts des candidats et des militants se sont territorialisés pour faire campagne dans le mois qui restait avant la date du scrutin.

Dans chaque secteur, la campagne de secteur s’est déroulée de façon indépendante, selon les stratégies développées par les équipes, au plus près du terrain mais avec des outils de communication centralisés et des prises de parole communes entre les huit têtes de liste. Même si chaque secteur a vécu ce mois de campagne à sa façon, nous avons tous dû mettre en place, en un temps record, un esprit d’équipe entre des candidats qui ne se connaissaient pas et des militants qui ne se connaissaient pas non plus.

Dans notre 4e secteur, nous avons pour cela appliqué nos deux principes récurrents :

  • la convivialité comme règle d’or, avec un local de campagne permettant de partager des moments de travail et des moments aussi plus festifs ;
  • la co-construction de la campagne menée par mon binôme et directeur de campagne, Joël Canicave, avec l’ensemble des colistiers et militants qui souhaitaient proposer des initiatives et des idées.

Ces principes sont ceux qui ont permis le plus possible à chacun de trouver sa place dans le dispositif, à la mesure du temps et de l’énergie que chacun pouvait consacrer.

Les résultats du premier tour placent le Printemps marseillais en tête des suffrages sur l’ensemble de la ville, ce qui, en soi, est historique. À noter que dans le 4e secteur, bastion de la droite où Jean-Claude Gaudin s’est toujours fait élire dès le premier tour, non seulement nous allions avoir un second tour, mais en plus nous y talonnions Martine Vassal de près, et ce à l’encontre des sondages sortis juste quelques jours avant le premier tour.

Le soir même du 15 mars, face aux résultats du premier tour, notre comité des têtes de liste a dû prendre la difficile décision de se retirer du 7e secteur, aux mains du Rassemblement national depuis 2014. Notre liste était arrivée troisième derrière le RN et Les Républicains et nous ne pouvions envisager de laisser une chance au RN de conserver la tête de ce secteur de près de 150 000 habitants. Cette décision, prise le soir même dans la perspective d’une négociation à suivre avec nos partenaires de second tour, suivie d’un dépôt de liste le mardi suivant, a généré pendant la période de confinement beaucoup de discussions et de remous au sein des forces militantes, mais la tête de liste de ce secteur s’y est tenu et n’a pas déposé de liste de second tour.

Le 15 mars au soir, nous nous sommes tournés vers nos partenaires naturels, le rassemblement Debout Marseille mené par EELV, et nous avons commencé les négociations avec eux en vue de déposer nos listes de deuxième tour de façon conjointe.

Le confinement

Le lendemain du premier tour, le président de la République a annoncé le confinement sur l’ensemble du territoire et peu de temps après le report du second tour à une date indéterminée. S’est ouvert alors une période difficile pour nous tous. Difficile parce que la situation de nombreuses familles marseillaises a été extrêmement dure et que les responsables politiques marseillais encore en place n’ont pas pris la mesure de la situation.

Difficile parce qu’étant identifiés comme des acteurs politiques, nous avons été les destinataires de beaucoup de détresse sans avoir les moyens institutionnels d’agir en profondeur aux côtés des habitants.

Toutes les forces militantes du Printemps marseillais se sont alors engagées sur le terrain dans des actions de solidarité pendant que les élus (toujours) d’opposition essayaient de mobiliser un exécutif en fin de règne autour de propositions d’actions concrètes. Nous avons aussi saisi cette période complexe pour positionner le Printemps marseillais comme mouvement politique uni d’opposition en prenant des positions fortes sur la défense des services publics, notamment de l’hôpital public. Cet engagement a été l’occasion pour tous de se rencontrer différemment et de nouer de solides amitiés seulement esquissées pendant le court mois de campagne du premier tour. Cela a aussi permis d’ancrer et de fédérer autour de l’identité du Printemps marseillais.

Cette période a également été mise à profit pour préparer le deuxième tour, en analysant notamment les résultats du premier tour, bureau de vote par bureau de vote, pour établir une stratégie de deuxième tour encore plus fine.

Le deuxième tour

Dès la confirmation de la date du deuxième tour, les négociations ont repris avec Debout Marseille pour constituer nos listes et aboutir enfin à l’accord tant espéré ; les négociations étant menées encore une fois par notre « paratonnerre » Frédéric Rosmini.

Les équipes de candidats et de militants sont repartis en campagne, en faisant preuve d’inventivité pour s’adapter aux conditions sanitaires : réunions thématiques en ligne, envois de courriers par la Poste ou réunions d’appartements…

Les contraintes ont finalement permis de nous adresser aux Marseillaises et aux Marseillais de façon plus précise, en déployant des propositions par quartiers.

La fin de la campagne s’est déroulée sous le feu des projecteurs nationaux, Marseille étant un enjeu fort. Nous avons eu alors le soutien des responsables politiques nationaux et l’intérêt des médias nationaux. Si cette présence était importante pour crédibiliser notre démarche, notre enjeu a alors été de ne pas laisser une formation politique tirer la couverture à elle pour maintenir nos équilibres.

Les résultats du deuxième tour placent le Printemps marseillais largement en tête à l’échelle de la ville en nombre de voix, mais, par les règles de la loi PLM, ne nous donnent pas de majorité au sein du conseil municipal.

L’affaire des procurations

Au cours du deuxième tour, le 11 juin 2020, l’Œil du 20 heures du journal télévisé de France 2 révèle la suspicion d’établissement par Les Républicains de procurations illégales en vue du scrutin. Ces révélations ont été un coup de tonnerre dans la campagne. Elles ont été suivies la semaine suivante de révélations par le même média concernant l’établissement de procurations dans un Ehpad marseillais pour des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

Face à ces éléments, du côté du Printemps marseillais, notre ligne a été la suivante :

  • garder la tête froide et garder notre ligne de communication positive sur notre projet, sans tomber dans l’attaque de nos concurrents ;
  • mettre en place un contrôle citoyen des procurations, en dépêchant au bureau concerné des représentants de notre cellule juridique pour vérifier l’intégralité des procurations émises.

Que ces agissements présumés sortent au grand jour appuyés par des témoignages d’assesseurs est une première, alors qu’on peut imaginer que ce n’est pas l’unique fois que de telles méthodes sont employées. Le fait que le Printemps marseillais ait ouvert la possibilité à tous de participer au scrutin en tant qu’assesseur est certainement un facteur permettant ces témoignages.

Aujourd’hui encore, des recours et des enquêtes sont en cours, et il est possible que cela ait un impact dans quelques mois.

Le troisième tour

Le 4 juillet 2020 a été donc la journée pendant laquelle Michèle Rubirola a été élue maire de Marseille, avec le soutien de Samia Ghali, qui avait remporté le 8e secteur de la ville.

À l’extérieur de l’hémicycle, dès 8 heures du matin, étaient présents des milliers de Marseillaises et de Marseillais, venus réclamer que l’élection de la maire de Marseille soit respectueuse de leur vote »>https://twitter.com/olivia_fortin/status/1279681946768101377?s=20.]]. Car, même si le Printemps marseillais était arrivé largement en tête du deuxième tour en nombre de voix, à cause de la loi PLM, l’élection de Michèle Rubirola n’était pas garantie et nous avions besoin des voix de Samia Ghali (8 + 1 avec le ralliement de Lisette Narducci de la liste de Bruno Gilles) pour apporter à Michèle Rubirola la majorité absolue nécessaire.

 

Nb de conseillers municipaux

Printemps marseillais

Marseille Avant Tout / Samia Ghali

Ensemble pour Marseille / Bruno Gilles

Les Républicains / Martine Vassal

RN / Stéphane Ravier

TOTAL

1er secteur

(1/7 arr.)

9

0

0

2

0

11

2e secteur (2/3 arr.)

6

0

1

1

0

8

3e secteur (4/5 arr.)

9

0

2

0

0

11

4e secteur (6/8 arr.)

11

0

0

3

1

15

5e secteur (9 /10 arr.)

3

0

0

11

1

15

6e secteur (11/12 arr.)

2

0

0

10

1

13

7e secteur (13/14 arr.)

0

0

0

12

4

16

8e secteur (15/16 arr.)

2

8

0

0

2

12

TOTAL

42

8

1 + 2

39

9

101

 

Les grands enseignements

Contrecarrer l’instinctive défiance mutuelle

Constats

De manière caricaturale, on peut présenter le constat suivant : les politiques voient les acteurs de la société civile comme des gens non pragmatiques, dont le purisme peut être un frein, tandis que les acteurs de la société civile voient les politiques comme des êtres pervertis par la quête de pouvoir, rejetant la transparence.

Enseignements 

  • prendre le temps de se créer une culture commune  : si l’étape des comités de pilotage a souvent été douloureuse, elle a été nécessaire pour apprendre à nous connaître et pour nous forger une culture commune ;
  • tous ensemble à chaque étape : c’est la complémentarité des approches qui a constitué le Printemps marseillais, avec toutes les expériences et les créativités. À chaque étape, toutes les parties prenantes ont été incluses : pilotage global et création de notre mode de fonctionnement, rédaction du programme, recueil et traitement des candidatures citoyennes, constitution des listes, etc. ;
  • l’importance des « tiers neutres de bonne volonté » : pour faire avancer une situation et pour aider à ne pas perdre de vue l’objectif final pendant les discussions, rien ne vaut l’aide de tiers neutres. Ça a, par exemple, été le rôle de Mad Mars pendant nos sessions de « poulétique », puis celui de Frédéric Rosmini dans toutes phases de négociations ;
  • casser la culture de la paranoïa : réflexe rencontré dans les organisations politiques de façon quasi-systématique, mais aussi chez les néophytes, cette culture est un frein à l’ouverture et à la transparence nécessaire à une telle démarche ;
  • gérer l’impatience des novices et les mauvais réflexes des anciens : le Printemps marseillais est une démarche nouvelle à laquelle on ne peut pas appliquer de vieilles recettes. Les novices ont parfois du mal à garder la tête froide et rester sur la ligne fixée. Le comité des têtes de liste a été le lieu de régulation et de décision.

Besoin d’agilité et d’autonomie, en gardant toujours en tête l’objet initial 

Constats

Chaque situation étant spécifique, aucune recette ou méthode préexistante n’aurait pu fonctionner, il a fallu inventer le mode d’emploi pas à pas, selon nos réalités.

Personne parmi nous n’ayant eu une expérience suffisamment signifiante pour justifier d’imposer sa ligne, la co-construction du projet a été réelle et quotidienne. Ce fonctionnement a permis une véritable agilité, une adaptation en temps réel pour coller aux différentes actualités, en cherchant toujours à faire mieux. Ainsi, tout au long du processus, nous avons par exemple changé quatre fois de charte graphique en la faisant évoluer au fur et à mesure que notre idée se forgeait et s’affirmait.

Enseignements

  • mettre en place une méthode co-construite et non décrétée unilatéralement comme nous l’avait proposé EELV avant la signature de notre acte de naissance. Tout au long du processus, nous avons eu besoin d’améliorer et de faire vivre nos règles de fonctionnement pour nous adapter ;
  • ne pas devenir victime de ses propres règles : nous avions, par exemple, fixé le nombre de représentants par organisation au comité de pilotage, ce qui nous a empêchés d’inclure dès le début de la démarche des gens qui ont par la suite joué un rôle important, sans avoir partagé l’expérience commune de la construction du mouvement ;
  • mettre à l’écart des partis : nous avons autant que possible privilégié les discussions en interne, en tenant à distance les appareils qui n’avaient pas nécessairement les mêmes priorités que les nôtres localement ;
  • prendre les étapes les unes après les autres, sans anticiper les difficultés à venir, pas par naïveté mais par choix :  si nous nous étions posé dès le début toutes les questions qui allaient nécessairement s’imposer à nous, nous aurions explosé en vol. Nous avons, au contraire, pris chaque moment les uns après les autres, en apprenant à se connaître au fur et à mesure, et en s’engageant chaque jour un peu plus ;
  • être dans le concret : organiser les temps de réunion avec systématiquement des points permettant de construire des avancées concrètes mesurables, des objectifs à atteindre ;
  • conserver un processus d’amélioration continue entre l’exigence forte, la volonté de purisme et le pragmatisme souvent nécessaire. Tout n’a pas été parfait, il faut l’accepter et nous ferons encore mieux la prochaine fois. Mais, à chaque étape, nous avons fait le mieux possible, avec les moyens qui ont été les nôtres, en gardant toujours l’objectif central en tête.

Permettre à tous de trouver une place dans le dispositif

Constats

Beaucoup ont souhaité s’impliquer, mais tous n’ont pas eu forcément le temps et la possibilité de le faire de la même manière. Il a fallu créer différents espaces et différentes possibilités de participation.

Enseignements

  • avoir l’humilité de faire appel à des compétences fortes : solliciter des personnalités qui ont exercé des responsabilités, en étant conscient que l’enjeu n’est pas seulement le jeunisme. Notre « paratonnerre de campagne » de quatre-vingts ans en est la meilleure illustration ;
  • ouvrir la construction du projet par différents canaux : réunions physiques mais aussi plateforme digitale de contribution, pour permettre à tous de s’impliquer à son rythme ;
  • ouvrir les listes : avec notre appel aux candidatures citoyennes, pour ceux qui voulaient s’engager dans cette démarche, nous avons recueilli plus de 400 candidatures pour 152 places, un succès alors que notre crédibilité n’était pas encore établie et reconnue par la presse ;
  • ouvrir les bureaux de vote : avec un recrutement large et ouvert de délégués et d’assesseurs dans les bureaux de vote. Pour ce faire, nous avons mis en place des formations pour les préparer à cette responsabilité ;
  • mettre en avant le collectif, valoriser l’équipe :  avec la lutte contre l’hyper-personnalisation par une ou quelques personnes dans toute la phase de construction du projet.

Garder les gens impliqués dans la démarche du début à la fin

Constats

Aucune organisation n’a claqué la porte de notre rassemblement après s’y être engagée. Nous nous sommes, au contraire, élargis au fur et à mesure. Le cadre idéologique de « bon sens » y a grandement contribué : notre projet a été établi avec des propositions de mesures qui faisaient largement consensus autour de nos priorités communes (écoles, logement, écologie, démocratie, etc.). Notre ligne de communication positive a aussi aidé : si nous nous étions abaissés au niveau de nos concurrents, cela aurait certainement généré des tensions qui auraient impacté notre fonctionnement. Enfin, nous avions tous la certitude que ce que nous faisions était « fort et juste », que notre cap était le bon même si ce n’était pas le plus simple.

Dans un processus long – le nôtre a pris deux ans –, il est facile de se décourager, de perdre pied, que les forces s’étiolent en cours de route.

Enseignements

  • garder un esprit de convivialité : avec de fun, du plaisir, du poulet et des karaokés ;
  • confier des responsabilités : pour que chacun se sente investi dans la démarche ;
  • valoriser les compétences de « l’ombre » : c’est-à-dire valoriser les personnes qui veulent aider mais ne peuvent pas apparaître publiquement, tout en s’assurant que le travail fourni est réellement utilisé à chaque étape pour  lutter contre l’épuisement ;
  • mener une campagne permettant de montrer que les thématiques qui sont les nôtres concernent tout le monde : que chacun puisse trouver sa place dans la ville améliorera la sécurité, que l’écologie soit centrale dynamisera l’économie, que la solidarité soit une réelle politique publique créera des emplois, etc.

Des outils sur mesure

Constats

Puisque nous avons créé un projet qui n’existait pas, nous n’avions ni mode d’emploi ni outils. Tout était à inventer.

Enseignements

  • mettre en place une structure administrative qui réponde spécifiquement au besoin : pour nous, ça a été notre association permettant la gestion administrative mais n’entrant pas en concurrence avec les appareils ;
  • mettre en place une véritable coordination : pour garder une cohérence des messages tout en laissant une réelle autonomie à chaque secteur, pour que chacun puisse mener la campagne qui lui ressemble et mettre en avant les enjeux de terrain ;
  • garder la proximité : nous avons privilégié les petits meetings, les réunions thématiques pour répondre aux axes de la campagne, et discuter vraiment avec les Marseillaises et les Marseillais, plutôt que des actions à l’échelle de la grande ville type grand meeting.

Une communication innovante

Constats 

Notre rassemblement étant réellement inédit, beaucoup nous ont prédit l’échec ou l’explosion en vol. Il est en effet difficile pour ce genre d’initiatives de se créer un espace politique et d’acquérir la crédibilité suffisante pour être reconnu par la presse notamment.

Pour beaucoup, l’élection était jouée dès le début et notre rassemblement n’avait aucune chance face à la droite au pouvoir depuis vingt-cinq ans.

Il aurait été facile de succomber à la tentation de répondre aux attaques outrancières de nos concurrents et de perdre de vue notre objectif dans un débat de caniveau.

Enseignements

  • ne pas hésiter à casser les codes de la communication politique plus institutionnelle : notre  campagne a été pop, diverse et concrète à l’image du rassemblement ;
  • être positif pour dépasser les clivages partisans : pour proposer des perspectives d’espoir et un vote pour une vision, un projet, une équipe plus qu’un vote d’opposition ;
  • parler du fond : expliquer le projet, ce qu’il va concrètement changer dans le quotidien des gens avec une maîtrise des sujets et une connaissance des enjeux ;
  • maintenir la cohérence tout au long de la campagne et entre les secteurs ;
  • rester au-dessus de la mêlée, sans tomber dans le caniveau : c’est ce qui a été impulsé dans notre collectif par les plus expérimentés d’entre nous ;
  • rester dans la proximité : privilégier la convivialité plutôt que les « feux d’artifice » ;
  • utiliser un langage compréhensible par tous : pour que chacun puisse s’approprier le projet ;
  • marteler des priorités lisibles, ambitieuses et réalistes : celles qui font consensus parmi nous et qui peuvent retenir l’attention des habitantes et des habitants.

Valoriser les complémentarités et le collectif

Constats

Jamais la société civile n’y serait arrivée seule ; jamais les organisations politiques n’y seraient parvenues seules non plus. Reconnaître notre complémentarité a été notre force depuis le début et nous avons conservé cet état d’esprit à chaque étape.

Enseignements 

  • garder l’équilibre dans toutes les instances entre les différentes forces en présence : pour que chacun puisse se sentir respecté et intégré ;
  • mettre en place des binômes têtes de liste et directeurs de campagne complémentaires : comme notre binôme du 4e secteur où l’expérience de Joël Canicave a été fort utile à la candidate néophyte que j’étais ;
  • reconnaître la valeur de la conviction citoyenne : précieux garde-fou contre les tentations d’utiliser de vieilles recettes. Au sein de Mad Mars, le consensus n’a pas toujours été simple à trouver entre le nécessaire pragmatisme et la volonté de purisme. Cependant, l’exigence a toujours été un moteur précieux pour conserver le sens de l’action tout au long du processus ;
  • empêcher qu’une seule force s’approprie la victoire  : « La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline » disait Kennedy. Personne n’aurait réussi seul et il aurait été insupportable qu’une seule des forces en présence s’approprie la victoire.

Et après ?

Si l’union des forces et des volontés a fait à Marseille sa preuve de concept, la victoire des municipales ne signe pas la fin de l’histoire mais plutôt, pour nous, un début.

Nous avons devant nous de prochains rendez-vous électoraux. Nous avons un recours en cours d’instruction dans le 6e secteur et il est possible qu’un scrutin s’y rejoue prochainement. Nous avons également en ligne de mire les prochaines élections départementales et régionales. Notre enjeu est de garder les militants mobilisés pour ces échéances. Nous avons bien noté la difficulté de LREM de structurer son mouvement après la victoire de 2017 et nous devons éviter cet écueil.

Pour cela, nous devons réussir à mettre en place des mesures fortes dès les premiers mois de notre mandat.

Nous devons conserver notre culture en ouvrant les portes et les fenêtres de la mairie en installant une réelle coopération avec tous les acteurs de la ville pour permettre à ceux qui le souhaitent de contribuer au projet municipal, et renouveler la façon de construire les politiques publiques. Nous devons également développer les coopérations avec nos partenaires institutionnels pour être en mesure de mener nos politiques. Enfin, nous devons développer les coopérations avec les autres de villes de France portant des projets en adéquation avec les nôtres pour nous enrichir mutuellement de nos idées et de nos bonnes pratiques pour gagner du temps et de l’énergie.

Nous, élus, devrons trouver la bonne position entre l’institutionnalisation nécessaire, l’incarnation de la fonction et la place laissée à la créativité et à l’innovation. Comme avec les robinets sans mitigeur, les ajustements seront quotidiens. La formation des nouveaux élus sera cruciale pour la réussite de notre projet.

Pour finir, nous mesurons aux visites d’avant deuxième tour l’intérêt que notre démarche suscite sur le plan national, par son succès et son caractère inédit. Alors Marseille, laboratoire sur un plan national ? Chaque moment, chaque endroit étant spécifique, il me paraît difficile à ce stade d’imaginer qu’il soit reproduit tel quel, mais je suis certaine qu’il peut inspirer ! 

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