Coronavirus, évolution néodarwinienne ou guerre biologique ?

Dans un contexte où fleurissent les pseudo-théories et autres fake news liées au Covid-19, le professeur de médecine Iradj Sobhani, chef de service hospitalier et directeur de l’équipe de recherche sur les marqueurs moléculaires et microbiens des cancers (EC2M3) à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC), spécialiste de microbiote colique, revient sur les circonstances initiales de cette pandémie et s’appuie sur la recherche récente pour démontrer que le virus n’a pu être issu d’une manipulation délibérée.

Le coronavirus, connu chez les scientifiques sous le nom « SRAS-CoV-2 » est le septième coronavirus réputé d’effets infectieux sur l’homme. Le SRAS-CoV en 2002, le MERS-CoV en 2012 et désormais le SRAS-CoV-2 sont connus comme agents d’une maladie mortelle touchant le système respiratoire humain. Alors que des virus proches tels que HKU1, NL63, OC43 et 229E, bien que hautement contagieux, sont associés à des symptômes bénins, la rapide contagiosité du Covid-19, associée à une fréquence, non négligeable, de formes cliniques réanimatoires prolongés (trente à quarante jours), avait contraint les autorités chinoises à imposer un confinement draconien généralisé de la population de Wuhan, premier foyer de la maladie, pour pouvoir faire face au débordement provoqué par l’afflux des malades les plus graves. Plus encore, les autorités ont dû construire en hâte un hôpital moderne. Très vite, tous les observateurs ont convenu que les conséquences économiques de cette nouvelle épidémie allaient être aussi, sinon plus, dévastatrices que le fléau médical. Ces événements survenaient à peine quelques mois après le début d’une Guerre froide économique entre les États-Unis et la Chine que les propos polémistes et peu réfléchis du président américain amplifiaient, sous-estimant la portée pandémique du fléau. Ainsi, circulaient les rumeurs les plus effrayantes sur la possibilité que le SRAS-Cov2 pouvait être une production des laboratoires américains faisant entrer le monde dans la nouvelle ère d’une guerre biologique à retombée économique. Certes, cela rendait sceptiques les observateurs les plus informés considérant que les innombrables ramifications planétaires du monde industriel et du tissu économique devaient nous conduire à n’y voir que des fake news. Mais le nombre incroyablement élevé d’échanges de ces rumeurs entre internautes, plus encore les déclarations de certains leaders politiques à travers le monde, laissent penser que le scénario a séduit plus d’un d’entre nous.

Un virus à évolution rapide

Les virus SARS-Cov, SARS-Cov2 et SMERS sont des virus à ARN possédant comme celui d’influenza (virus responsable de la grippe) un brin monocaténaire court codant génétiquement pour plus d’une dizaine de protéines, parmi lesquelles celles facilitant la fixation sur les cellules de l’hôte et sa pénétration dans celles-ci, celles assurant la synthèse et la réparation d’ARN (ARN polymérase) et celles devant faciliter sa sortie des cellules, le temps de réplication virale intracellulaire n’étant que de quelques heures. L’ARN polymérase ne possède pas de fonction de réparation des erreurs de réplication de l’ARN, conférant à ces virus un taux de mutations fortement élevé, soit 1000 fois plus qu’avec l’ADN polymérase humaine, lors d’une seule réplication. Ces caractéristiques (grand nombre, temps de génération court, taux de mutations élevé) contribuent à une évolution virale extrêmement rapide. À titre d‘exemple, cinq ans d’évolution virale correspondent à peu près au laps de temps qui sépare l’homme du dernier ancêtre commun qu’il a avec le chimpanzé.  

Les données récentes des dernières semaines nous éclairent

Deux équipes de biologistes généticiens des virus ont procédé indépendamment au séquençage du génome de SRAS-Cov2 et l’ont comparé à celui de SRAS-Cov, de MERS et de plusieurs virus bénins, de la même famille, isolés à partir des chauves-souris, foyer naturel de ces virus. Le premier attire l’attention sur une plus grande homologie des séquences géniques entre tous les virus de la famille covid ; plus intriguant encore, le virus SARS-Cov2 paraît structurellement plus proche des virus de chauve-souris avec lesquels il partage jusque 92% d’homologie que du virus SARS ou MERS, tous deux responsables des deux précédentes maladies respiratoires fatales. Le deuxième donne davantage de détails structurels du génome du virus actuel nous permettant de mieux spéculer sur l’origine du SRAS-CoV2. Par analyse génique structurelle, vérifications biochimiques à l’appui, les codes géniques du SRAS-CoV-2 semblent être optimisés pour permettre au virus de se lier au récepteur ACE2 (Angiotensin Converting Enzyme2) humain, un enzyme impliqué dans la régulation de la tension artérielle. Le domaine protéique de liaison aux récepteurs (RBD) est situé dans la protéine de pointe virale ; les protéines impliquées sont codées par la partie la plus variable du génome du coronavirus. Six résidus de RBD sont essentiels pour assurer la liaison du virus à son récepteur, ACE2. Ainsi, sur le SRAS-CoV, ces résidus diffèrent entre le SRAS-CoV-2 et le SRAS-CoV. Sur la base d’études biochimiques, le SRAS-CoV-2 semble avoir un RBD à affinité élevée pour l’ACE2 des humains, des furets, des chats et d’autres espèces qui ont par ailleurs une homologie élevée de structure entre elles. Par conséquent, on estime que la portion RBD des protéines de pointe SARS-CoV-2 a évolué pour cibler efficacement les molécules d’ACE2 situé à l’extérieur des cellules hôtes. La protéine de pointe SARS-CoV-2 est si efficace pour se lier aux cellules humaines que l’on peut dire qu’elle résulte d’une sélection naturelle à partir des espèces virales de chauves-souris et non de génie génétique. D’autant plus que les analyses bio-informatiques de l’ensemble du génome indique par ailleurs que globalement les séquence RBD de SARS-Cov2 sont moins proches de celles du SRAS-CoV. Ainsi, selon la théorie de la plasticité, la sélection naturelle par ACE2 animal (structurellement proche de l’ACE2 humain) d’un virus différent de SARS-Cov et de MERS aurait permis la sélection d’une nouvelle variante capable d’optimiser sa liaison avec le récepteur humain. C’est une preuve solide que le SRAS-CoV-2 n’est pas issu d’une manipulation délibérée.

Si quelqu’un devait concevoir un nouveau coronavirus comme agent pathogène, il l’aurait construit à partir de virus virulents déjà connus comme potentiellement mortels (SARS-Cov et MERS), et non de virus de chauves-souris ou de pangolins dont la gravité n’est pas garantie. La manipulation intentionnelle aurait allié à la fois la plus grande homologie génique structurelle, la perfection de liaison et la haute pathogénicité.

Le signal d’alarme date de 2017

Il y a déjà trois ans, des chercheurs chinois avaient alerté sur la réunion de tous les ingrédients d’une grande pandémie dans un village situé dans la province de Wuhan. En étudiant la structure génétique des virus de chauve-souris sur une période de cinq ans au sein d’une grotte situé à un kilomètre du village, ils ont démontré les cycles d’une sélection naturelle de virus par l’hôte (chauve-souris) selon un processus continu et conforme à la théorie néo-darwinienne de plasticité biologique. Les mutations géniques structurelles apparaissaient ainsi de génération en génération alors que le virus s’adaptait à son hôte. Ils constataient également que chez certains virus les mutations géniques touchaient l’une des protéines du domaine de liaison (RBD) du virus ; les mutations successives conféraient une liaison de plus en plus efficace in vitro avec l’enzyme de conversion de l’angiotensine humaine (ACE2), « site théorique de liaison chez l’homme ». Les auteurs indiquaient que la proximité de la grotte à moins d’un kilomètre d’un lieu d’habitation humaine et la forte affinité avec l’ACE2 humain pouvaient déclencher une épidémie si le contact de ces virus avec les humains devenait fréquent. La grande fête du Nouvel An chinois fin 2019, la tenue du marché des animaux morts ou vivants à proximité de la foule ont créé une « rencontre du troisième type » avec tout animal contaminé ayant un ACE2 dont la structure est très proche de celle de l’ACE2 humain.

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