De quel tournant mars 1983 est-il le signe ?

Le « tournant de la rigueur », mythe ou réalité ? Deux journées d’études, organisées par l’Institut François Mitterrand et la Fondation Jean-Jaurès, placées sous la direction de Michel Margairaz et Olivier Feiertag, professeurs d’histoire économique, interrogent le sens de cet événement.

L’objet de cette rencontre résulte d’une triple interrogation à propos de ce qu’on a appelé fréquemment dans les media comme dans la communauté scientifique le « tournant de mars 1983 ».La première interrogation porte sur la manière dont s’est construite ex post une représentation commune de l’événement, très tôt, peu après mars 1983 et par les acteurs de l’épisode alors au pouvoir. En fait, deux types de discours ont été diffusés. L’un, assez unanime et qui demeure, visant à légitimer la décision de dévaluer le franc et de rester dans le SME. Symboliquement, la mesure décidée alors prenait la signification forte d’un ancrage dans l’Europe prévalant sur tout autre choix. L’autre, plus discuté, visait à donner du sens à l’événement par rapport à la politique économique et financière suivie jusque-là. Il s’est développé une lutte parmi les dirigeants socialistes pour s’assurer l’hégémonie du sens à donner à l’événement. Plusieurs des principaux organes du pouvoir et du Parti socialiste (à l’Élysée, à Matignon, à la direction du PS…) ont réfuté l’idée que « la politique de rigueur » ait dévié de la politique menée depuis juin 1981. Un autre discours, tenu dans les milieux proches de Jacques Delors ou, d’un autre côté, de Michel Rocard, a accrédité l’idée d’un véritable tournant, interprété comme un retour au réel salutaire, après la séquence nécessaire (de 1981-1982) de sacrifice à « la part du rêve ». C’est cette version qui, sur la durée, s’est imposée comme vulgate. Le propos consistera à analyser les voies et les moyens par lesquels ces deux représentations de l’événement se sont construites, affrontées et par lesquels l’une l’a emporté sur l’autre.La deuxième interrogation tend à élargir le débat pour l’inscrire dans une interrogation proprement historique. Les décisions de mars 1983 marquent-elles vraiment un tournant ? Dans quels domaines ? Par rapport à quelle chronologie en amont et en aval ? Loin d’être un seul tournant par rapport à la politique économique de relance suivie depuis juin 1981, mars 1983 peut s’inscrire dans une temporalité plus longue et apparaître comme le signe de ruptures inscrites dans des évolutions plus complexes. Le colloque laisse volontairement ouverte la chronologie qui apparaîtra la plus significative aux participants, selon qu’ils s’attachent à tel ou tel domaine.La troisième interrogation vise à replacer le « tournant de la rigueur » dans le jeu d’échelles spatiales qui caractérise de manière déterminante la période. Mars 1983 semble également pouvoir être interprété comme un moment particulier dans une évolution où, pour nombres d’activités économiques, financières, monétaires, mais également sociales et culturelles, s’affirme un changement d’espaces : tournant d’abord de la décentralisation qui s’amorce au lendemain du vote des lois Defferre, tournant « européen », ensuite, avec le choix de demeurer dans le SME et la reformation du couple franco-allemand, tournant « international », enfin, à travers les derniers feux de la Guerre froide, l’émergence de l’Asie et l’éclatement du Tiers Monde. Toutes ces évolutions ont un point commun : elles remettent en cause le cadre de l’État-nation où s’inscrivent la pratique politique et la mise en œuvre de la politique économique depuis au moins un siècle. Dans cette optique, le « tournant de la rigueur » ne correspond-il aussi au tournant de ce que l’on commence à nommer, cette même année 1983, « la mondialisation » ?Téléchargez le programme : Journées d’études organisées par l’université Paris I Panthéon-Sorbonne/ IDHE-IHES, l’université de Paris IV Sorbonne/IRICE, l’université de Rouen/GRHIS, l’Institut François Mitterrand et la Fondation Jean-Jaurès

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