Défense: quelles sont les perspectives budgétaires?

Après la démission du général De Villiers cet été et suite à la parution de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale fin novembre, que peut-on dire du budget de la défense? Patricia Adam, directrice de l’Observatoire de la défense-Orion, revient sur les perspectives budgétaires de la défense dans les années à venir, en prévision de la prochaine loi de programmation militaire (LPM). 

La Revue stratégique confirme une forme de continuité des axes stratégiques des deux précédents Livres blancs de la défense et de la sécurité nationale. En cela, rien d’anormal, puisque les experts réunis ou consultés sont ceux qui ont également pris une part active aux travaux portant sur la réflexion stratégique en France depuis plus de dix ans. Toutefois, pour la première fois, le Parlement n’a pas été associé aux travaux ni consulté, ce qui est préjudiciable et contraire à la volonté de promouvoir l’Europe de la défense dont les parlementaires sont les premiers relais en soutien de l’exécutif au travers des nombreuses rencontres interparlementaires.

Il n’y avait aucune nécessité à relancer un exercice structurant de type Livre blanc qui aurait pris beaucoup plus de temps et aurait ainsi pu ralentir les décisions à venir en fin de programmation militaire. Je ne peux donc que saluer le président de la République pour cette décision.

Cependant, si le secteur de la défense est habitué à ce type d’exercice, il n’en est pas de même pour la sécurité nationale, qui à la lumière des attentats terroristes perpétrés en France, en Europe et au-delà aurait mérité plus d’approfondissement pour aboutir à l’évolution nécessaire des pratiques, des investissements, des organisations. Ce travail de recherche devra faire l’objet de travaux allant au-delà des textes de loi déjà votés dans l’urgence de la situation sécuritaire, et de l’emploi de Sentinelle.

La volonté du président de la République d’aller vers d’avantage d’Europe est, dans cette revue, un axe prédominant qu’il nous convient d’appuyer. Car si cet axe est partagé par les sociaux-démocrates français, il n’est pas aisé à organiser et structurer comme j’ai pu le vérifier ces cinq dernières années à la présidence de la commission de la défense. Cet axe est pourtant majeur dans le contexte d’une montée en puissance des menaces en Europe, en Asie-Pacifique et au Proche-Orient.

Régionalisation des conflits, terrorisme, radicalisation religieuse, résurgence des rapports de force entre États forts et États faibles, recours à la stratégie du fait accompli, sécurité maritime, négation croissante du droit international, accroissement exponentiel des menaces cyber ; tous ces domaines sont explicités dans la Revue stratégique. Mais des questions demeurent pour construire un programme européen.

Partageons-nous une même analyse des menaces et une même volonté à agir non seulement à nos périphéries territoriales immédiates mais également au-delà quand les intérêts stratégiques européens sont menacés ? Mon expérience de parlementaire très engagée dans ce domaine avec mes homologues me confirme que le chemin commun n’en est qu’à ses débuts et qu’il ne pourra pas se faire sans les Parlements nationaux et résolument pas sans le Parlement européen.

À partir de l’énoncé des menaces, de quels moyens disposons-nous et sous quelles conditions ?

Quels sont les domaines en matière de recherche pour lesquels il nous faut investir ? Des rapprochements industriels sont-ils possibles ? Et si oui, la condition non négociable de l’autonomie stratégique est ouvertement posée et réaffirmée dans la Revue stratégique.

Aujourd’hui, l’avenir de l’Europe de la défense est entre les mains des députés européens. Le Parlement européen a en effet entamé ces dernières semaines des travaux en vue de l’adoption d’un règlement européen (European Defence Industrial Development Programme) visant au développement conjoint de technologies de défense et dont le budget annuel initial de 250 millions d’euros est le précurseur du futur fonds européen de défense qui figurera dans le futur cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union européenne, avec un budget annuel initial de 5 milliards d’euros. Faire de l’Union européenne un acteur stratégique par le développement et la promotion de l’autonomie stratégique européenne, l’avenir de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française se joue désormais également à Bruxelles.

Comme le précise la Revue stratégique, la France se doit d’être en capacité d’intervenir seule, en premier et dans la durée. Je partage là aussi les constats et analyses sur la nécessité d’atteindre les 2% du PIB hors pension et hors opérations extérieures mais aujourd’hui il nous faut préciser à la nation, à nos armées, à nos alliés les axes prioritaires de nos efforts.

Dès lors, comment justifier l’amputation du budget de 2017 de près de 850 millions d’euros, portée essentiellement par le programme 146 ? Ainsi, la première décision du nouvel exécutif fut de renoncer au respect de l’exécution du budget 2017, reportant une fois de plus les investissements déjà programmés et de première importance (nouveaux véhicules blindés pour l’armée de terre, nouveaux bâtiments de souveraineté, appareils de patrouille maritime, acquisition de drones). Dans un contexte où la santé des acteurs économiques reste fragile et fortement liée à la commande publique, notamment les PME et les ETI, comment s’assurer que les engagements de l’État seront honorés malgré une pénurie de crédits ? Faute de flexibilité budgétaire, permise par la solidarité interministérielle, la ministre des Armées, Florence Parly, et le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, devront veiller de concert à préserver la BITD pour éviter faillites, perte de compétences rares et rachat intempestif d’entreprises françaises par des acteurs étrangers.

Après avoir obtenu, durant l’été, un dégel partiel des crédits mis en réserve, l’enjeu pour la ministre des Armées est désormais d’obtenir le dégel des crédits restants (près de 700 millions d’euros). En effet, le financement des surcoûts des opérations extérieures et de Sentinelle évalués à 1,5 milliard d’euros semble désormais bouclé. Outre les 450 millions d’euros budgétisés et le financement par décret d’avances de 643 millions d’euros par dégel de crédits mis en réserve au cours de l’été, un financement additionnel de 365 millions d’euros pour les opérations extérieures (OPEX), dont 75 millions d’euros en loi de finances rectificatives n°2 ont récemment été obtenus grâce à la réserve interministérielle et sans nouvelle ponction sur les crédits du ministère. Sans ce dégel total, le risque est grand d’augmenter considérablement le report de charges, avec des conséquences qui pourraient être désastreuses pour les PME du secteur.

Le budget 2018 fait l’objet d’une hausse de 1,8 milliard d’euros, alors que seul un milliard d’euros était inscrit dans la programmation budgétaire par le gouvernement de François Hollande. Les 800 millions d’euros supplémentaires correspondent pour 300 millions d’euros au financement des effectifs autorisés par le président Hollande mais non financés, et pour 200 millions d’euros à l’augmentation du budget OPEX. Au total, ce sont 300 millions d’euros qui permettent le financement de nouvelles opérations ou d’abonder la ligne budgétaire dédiée aux OPEX.

Alors non, il n’y a pas d’augmentation budgétaire de la programmation trisannuelle, comme cela devait être le cas pour la Défense. Si la pirouette budgétaire du ministère de l’Action et des Comptes publics parvient à leurrer l’opinion publique, les partenaires stratégiques de la France, tant à l’Otan qu’à l’Union européenne, ne sont pas dupes. Après cinq années d’efforts sensibles, et une LPM de survie de l’appareil de défense votée en 2012, l’ambition d’une remontée en puissance se heurte à des perspectives budgétaires incertaines. Si l’ambition d’un budget en hausse de 1,8 milliard d’euros annuellement confirme la volonté de l’exécutif à soutenir les forces, la trajectoire budgétaire imposera de doubler cet effort budgétaire dès 2022 (avec une hausse minimale de 3 milliards d’euros par an).

La future LPM est d’ores et déjà en cours d’élaboration et devrait, théoriquement, être présentée au Parlement avant l’été; celle-ci réaffirmera l’ambition d’atteindre 2% du PIB à l’horizon 2025. Conscient de l’importance stratégique de cet exercice, l’Observatoire de la défense-Orion sera force de propositions afin de soutenir une stratégie de remontée en puissance crédible pour nos forces armées et de soutenir le développement de la BITD française dans un contexte européen renouvelé en profondeur.

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