Économie sociale et solidaire : une reconnaissance internationale

Si l’économie sociale et solidaire (ESS) est un modèle de plus en plus répandu dans notre société, les grandes instances internationales – des Nations unies en passant par l’OCDE et la Conférence internationale du travail – lui accordent, aujourd’hui, reconnaissance. Dans cette note, Timothée Duverger, co-directeur de l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation, revient sur la place grandissante que prend l’ESS dans les prises de décision internationales.

Le 18 avril dernier, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) a adopté une résolution sur « La promotion de l’économie sociale et solidaire au service du développement durable » 1ONU, « La promotion de l’économie sociale et solidaire au service du développement durable », Résolution adoptée à l’Assemblée générale du 18 avril 2023. à l’initiative de l’Espagne, du Chili, du Sénégal et de la France2De nombreux autres pays ont parrainé cette résolution : Allemagne, Argentine, Arménie, Belgique, Bulgarie, Canada, Colombie, Costa Rica, Croatie, Danemark, Guinée équatoriale, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Luxembourg, Malte, Maroc, Mongolie, Portugal, République dominicaine, République tchèque et Slovénie.. Avec cet événement, culmine le cycle de reconnaissance internationale de l’économie sociale et solidaire (ESS) ouvert par la pandémie de Covid-19.

Un amortisseur de crise pendant la pandémie de Covid-19

Dès juin 2020, la task force inter-agences des Nations unies sur l’ESS, qui réunit depuis 2013 les principales agences de l’ONU et des membres observateurs issus de la société civile pour promouvoir l’ESS, déclarait :
« Dans le contexte de l’après-crise, alors que les gouvernements approuvent des plans de relance pour soutenir la création d’emplois, la réduction de la pauvreté, le développement et la croissance économique, il est nécessaire de saisir les opportunités de passer à des économies plurielles, qui incluent et promeuvent des modèles d’entreprises alternatifs orientés vers les personnes et la planète. La promotion d’une vision transformatrice, telle que suggérée par l’Agenda 2030, et le fait de ne pas continuer le « business-as-usual » nécessitent l’adoption d’un nouveau paradigme de production et de consommation durables3UNTFSSE, « Quel rôle pour l’économie sociale et solidaire dans la relance post-crise Covid-19 ? », Déclaration, juin 2020. ».

De nombreux rapports des agences internationales ont souligné le rôle de l’économie sociale et solidaire pour amortir les effets socio-économiques de la crise4Voir par exemple OCDE, « Social economy and the Covid-19 crisis : current and future roles », 30 juillet 2020.. Ont ainsi été régulièrement pointées non seulement sa contribution directe pour fournir des services sociaux et sanitaires, maintenir et créer des emplois, restaurer des chaînes d’approvisionnement notamment alimentaires, mais aussi la performance de ses modes d’organisation (gouvernance participative, ancrage territorial, ressources hybrides) pour construire des réponses, particulièrement à destination des personnes les plus vulnérables, dans un contexte de crise.

Un cycle de reconnaissance internationale

Comme l’a récemment relevé Robert Boyer5Robert Boyer, L’économie sociale et solidaire : une utopie réaliste pour le XXIe siècle ?, Paris, Les Petits Matins, 2023., alors que l’ESS est souvent convoquée en période de crise pour être marginalisée ensuite, cette fois l’ensemble des institutions internationales s’en saisissent pour la reconnaître et développer les politiques publiques qui lui sont dédiées.

En Europe, si le projet de plan d’action de la Commission européenne en faveur de l’économie sociale est antérieur à la pandémie de Covid-19, puisqu’il a été confié dès décembre 2019 au commissaire à l’Emploi et aux Droits sociaux, le luxembourgeois Nicolas Schmit, son élaboration comme son ambition sont étroitement liées à la crise sanitaire. Publié deux ans plus tard, il souligne que « l’économie sociale a le potentiel de remodeler l’économie de l’après-Covid grâce à des modèles inclusifs et durables conduisant à une transformation écologique, économique et sociale plus équitable6« Construire une économie au service des personnes : plan d’action pour l’économie sociale », Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions, 9 décembre 2021. ». Après avoir amorti le choc de la pandémie de Covid-19 (par exemple la production de masques, le soutien à l’éducation en ligne, les services sociaux, etc.), l’économie sociale est chargée de garantir l’équité des transitions numérique et écologique.

Ce plan d’action peut déjà compter sur le soutien du Conseil économique et social européen7Avis du Comité économique et social européen sur le Plan d’action pour l’économie sociale, 18 mai 2022. et du Parlement européen8Résolution du Parlement européen du 6 juillet 2022 sur le Plan d’action de l’Union européenne pour l’économie sociale.. Une recommandation du Conseil est maintenant attendue pour juin 2023. Le plan d’action s’engage a minima au maintien du budget alloué à l’économie sociale dans la programmation précédente (2,5 milliards d’euros estimés entre 2014 et 2020). Il prévoit notamment d’accompagner les stratégies et mesures nationales dédiées à l’économie sociale, de créer un environnement favorable (accès aux incitations fiscales, aux aides d’État et aux marchés publics comme privés), de soutenir les clusters d’innovation sociale et écologique ou de renforcer les compétences et la reconversion des travailleurs. Il propose également de mobiliser les fonds européens (FSE+, Feder, Fonds pour une transition juste), ainsi que des financements privés à travers le programme InvestEU (garanties permettant l’accès au crédit, investissements en fonds propres ou quasi-fonds propres, investissements en capital dans des intermédiaires financiers), des mécanismes de co-investissement avec des fondations ou l’intégration d’objectifs sociaux à la taxonomie de l’UE pour la finance durable.

Au niveau international, deux autres initiatives datant de juin 2022 sont également à signaler. D’une part, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a adopté une recommandation du Conseil sur l’économie sociale et solidaire et l’innovation sociale9Recommandation sur l’économie sociale et solidaire et l’innovation sociale du Conseil des ministres de l’OCDE, 10 juin 2022. pour encourager le développement de politiques d’ESS dans ses États membres et, au-delà, tout État volontaire, notamment par la mise à disposition de lignes directrices. D’autre part, la Conférence international du travail (CIT) a adopté une résolution10Résolution concernant le travail décent et l’économie sociale et solidaire, adoptée par la Conférence internationale du travail en sa 110e session le 10 juin 2022. qui non seulement reconnaît le rôle de l’ESS dans le travail décent et charge le Bureau international du travail de préparer une stratégie et un plan d’action dédiées, mais aussi propose pour la première fois une définition universelle de l’ESS, reprise quelques mois plus tard dans la résolution de l’ONU.

L’ESS pour réaliser les Objectifs de développement durable

L’adoption de la résolution de l’ONU se fait dans un contexte de grandes tensions. Dans son dernier rapport sur les Objectifs de développement durable (ODD)11ONU, « Rapport sur les Objectifs de développement durable 2022 »., le secrétaire général de l’organisation, António Guterres, relevait que « le monde est confronté à des crises et conflits mondiaux en cascade et interdépendants qui mettent en péril les aspirations énoncées dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Alors que la pandémie de Covid-19 entre dans sa troisième année, la guerre en Ukraine exacerbe les crises alimentaire, énergétique, humanitaire et migratoire – sur fond d’urgence climatique critique ».

C’est bien face à ces défis et pour accélérer la réalisation des ODD, qui ont pris du retard, que l’ESS est mobilisée. Pour cela, les Nations unies commencent par reprendre la définition adoptée par la Conférence internationale du travail. L’ESS « comprend les entreprises, les organisations et les autres entités qui mènent des activités économiques, sociales ou environnementales servant un intérêt collectif et/ou général ». Si ses formes et délimitations varient en fonction des contextes nationaux, elle se caractérise par un ensemble : 

  • de principes : coopération volontaire et entraide, gouvernance démocratique et/ou participative, autonomie et indépendance, primauté de l’humain et de la finalité sociale sur le capital ;
  • de valeurs : souci des personnes et de la planète, égalité et équité, interdépendance, autogestion, transparence et responsabilisation, travail décent et matérialisation de moyens de subsistance décents ;
  • d’entités : coopératives, associations, mutuelles, fondations, entreprises sociales, groupes d’entraide, etc.

La résolution reconnaît la contribution de l’ESS à la réalisation et à la territorialisation des ODD. Parmi ses apports, elle relève pêle-mêle « l’emploi et le travail décent, la fourniture de services sociaux tels que ceux liés à la santé et aux soins, l’éducation et la formation professionnelle, la protection de l’environnement, notamment par la promotion de pratiques économiques durables, la promotion de l’égalité des genres et l’avancement des femmes, l’accès à des moyens de financement abordables et au développement économique local, le renforcement des capacités de production des personnes en situation de vulnérabilité, la promotion du dialogue social, des droits relatifs au travail et de la protection sociale, ainsi que la croissance inclusive et durable, l’établissement de partenariats et de réseaux aux niveaux local, national, régional et international et la promotion de la gouvernance et de l’élaboration des politiques participatives et de l’ensemble des droits humains ».

L’Assemblée générale des Nations unies encourage d’une part ses pays membres et ses agences à mettre en œuvre des politiques dédiées et, d’autre part, les institutions financières et les banques de développement à soutenir l’ESS. Elle demande également au secrétaire général de préparer un rapport sur la mise en œuvre de cette résolution et d’inscrire l’ESS à l’ordre du jour de sa 79e session.

Le Forum mondial de l’ESS à Dakar

Le Forum mondial de l’ESS, qui s’est déroulé à Dakar du 1er au 6 mai 2023, a notamment pu compter sur la participation de 5000 personnes, provenant de 70 pays, dont le maire de la ville Barthélémy Dias et le président de la République du Sénégal Macky Sall.

Organisé par le Global Social Economy Forum (GSEF), une ONG créée il y a dix ans par Séoul et aujourd’hui présidée par le maire de Bordeaux, regroupant près d’une centaine de gouvernements locaux et de réseaux de la société civile promouvant l’ESS à travers le monde, ce Forum en était à sa sixième édition après Séoul deux fois, Montréal, Bilbao et Mexico. Il a été pour la première fois précédé de pré-forums consacrés à l’autonomisation des jeunes et des femmes, deux groupes de population subissant particulièrement la précarité. Situé en Afrique, où 85,8% des emplois relèvent du secteur informel12Organisation internationale du travail, Women and men in the informal economy: a statistical picture, Third Edition, 2018., il avait pour thème « La transition de l’économie « informelle » vers des économies collectives et durables pour les territoires ».

L’objectif était alors de reconnaître tout particulièrement les initiatives de l’économie populaire, plongeant leurs racines dans la société traditionnelle et redécouvertes dans le contexte du mal-développement dû aux politiques d’ajustement structurel, qui concernent l’accès aux services sociaux de base, la transformation des produits locaux, l’habitat social, l’épargne et le microcrédit, le petit commerce, l’artisanat, la promotion de l’environnement, la gestion des déchets, etc.13Sambou Ndiaye, « Ressorts et dynamiques de l’économie populaire : une lecture à partir du Sénégal », Recma, n°362, 2021/4, p.52-65.. C’est bien un nouveau modèle de développement endogène reposant sur les communs qui s’invente à partir de ces solidarités renouvelées14Kaku Nubukpo, Une solution pour l’Afrique : du néoprotectionnisme aux biens communs, Paris, Odile Jacob, 2023..

Premier événement d’ampleur après la résolution onusienne, ce Forum s’est conclu par l’adoption de la Déclaration de Dakar qui affirme que « l’économie sociale et solidaire est aujourd’hui le modèle socio-économique le plus adapté à l’atteinte des objectifs de développement durable de l’ONU d’ici 2030 ». Outre les traditionnelles préconisations appelant au développement de l’ESS, cette déclaration est surtout marquée par la volonté, suite à la résolution de l’ONU, de proposer une offre d’accompagnement à destination des gouvernements locaux et nationaux. Le GSEF et ESS Forum international, un réseau international d’entreprises de l’ESS, ont ainsi annoncé leur rapprochement et proposé de créer un « Centre international de développement pour l’économie sociale et solidaire », articulant des fonctions d’observation, de laboratoire d’idées et d’ingénierie15« Le GSEF et ESS Forum International, avec le soutien d’ESS France, annoncent le lancement de préfiguration d’un Centre international de développement pour l’économie sociale et solidaire », communiqué de presse, 27 avril 2023..

C’est tout l’enjeu désormais. Après avoir obtenu sa reconnaissance, l’ESS veut diffuser les politiques publiques qui lui sont consacrées et participer activement à leur co-construction.

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