Enquête sur la souveraineté européenne

La référence à la souveraineté européenne est de plus en plus présente dans le discours politique, que ce soit au niveau européen ou au niveau national. Si ces termes sont connotés très positivement pour ceux qui les emploient, en est-il de même pour ceux qui les écoutent ? Comment le concept de souveraineté lui-même est-il compris et connoté à travers l’Europe ? Comment la juxtaposition des mots « souveraineté » et « européenne » est-elle perçue et comprise ? L’Europe est-elle considérée comme souveraine aujourd’hui ? Pour répondre à ces questions, la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation Friedrich-Ebert ont mené une enquête avec Ipsos dans huit pays de l’Union européenne (France, Allemagne, Espagne, Italie, Lettonie, Pologne, Roumanie, Suède). 

Méthodologie

Ipsos a interrogé du 28 décembre 2020 au 8 janvier 2021, par Internet, 8000 Européens dans huit pays de l’Union : France, Allemagne, Espagne, Italie, Lettonie, Pologne, Roumanie et Suède. Dans chacun de ces huit pays, un échantillon représentatif de la population nationale âgée de 18 ans et plus a été sondé (méthode des quotas). 

Chiffres clés

  • Dans les pays où le mot « souveraineté » est perçu positivement, il renvoie avant tout à l’idée d’indépendance (63% en Allemagne, 65% en Pologne 72% en Lettonie).
  • 73% des Allemands interrogés perçoivent positivement le terme « souveraineté » contre 29% des Français et 21% des Italiens. 
  • Dans les pays où le terme « souveraineté » est perçu plutôt négativement, il renvoie surtout à la notion de « nationalisme » (58% des Italiens, 43% des Espagnols et 43% des Français) ou de « puissance » (respectivement 46%, 54%, 51%).
  • Pour 58% des répondants, le terme « souveraineté » n’est pas spontanément associé à la droite ou à la gauche, mais pour ceux qui lui attribuent une couleur politique, la droite l’emporte largement (23% contre 6% pour la gauche).
  • 63% des Allemands et 69% des Polonais jugent l’expression « souveraineté europénne » très positivement contre  48% en Suède, 41% en France et seulement 37% en Italie.
  • En termes socio-démographiques, l’expression est jugée plus favorablement par les 60 ans et plus (58% contre 47% des 35-49 ans) et les CSP+ (61%).
  • C’est le positionnement politique qui est le plus clivant, le terme « souveraineté européenne » étant le plus positif pour les centristes (61%) contre 54% pour les sympathisants de la gauche et 51% pour la droite.
  • Seul un Européen sur deux considère aujourd’hui l’Europe souveraine et 69% considèrent que l’économie est le facteur le plus déterminant.
  • 77% des Européens pensent qu’il faut renforcer la souveraineté de leurs pays : de 70% pour la France et l’Espagne à 91% pour la Roumanie.
  • Dans le même temps, 73% des Européens considèrent qu’il faut renforcer la souverainté européenne. 37% citent la menace terroriste comme principale raison de renforcer la souveraineté europénne, 34% le défi du changement climatique et 31% la menace sanitaire.

La souveraineté, un terme très différemment connoté selon les pays de l’Union

Avant même de parler de souveraineté européenne, il faut avoir en tête que le terme de souveraineté lui-même est très diversement perçu à travers l’Europe

Il est considéré positivement par une large majorité des Allemands (73%), des Polonais (69%), des Lettons (61%), des Roumains (60%) et dans une moindre mesure des Suédois (56%). Dans ces pays, le terme évoque spontanément quelque chose de négatif pour moins d’une personne sur 10 (2% à 10% selon le pays considéré), les autres considérant qu’il leur évoque quelque chose de « ni positif ni négatif » (19% à 29%) voire qu’il ne leur évoque rien du tout (5% à 13%).

En revanche, les évocations positives sont très minoritaires en France (29%), Espagne (28%) et Italie (21%). Dans ce dernier pays, les évocations négatives sont même plus nombreuses (35%), ce qui n’est pas le cas en France (25%) et en Espagne (23%). 

Pour les Français, le terme de souveraineté renvoie spontanément avant tout et massivement à la royauté : 300 citations du mot « roi » largement en tête des mots, idées et images évoqués spontanément lorsqu’ils entendent le terme « souveraineté », devant le mot « pouvoir », « reine ». Le terme « indépendant » n’arrive qu’ensuite, à peine plus cité que le terme « royauté » à nouveau. 

Pour les Allemands, les évocations spontanées du terme sont très différentes, et révélatrices : avant tout « Unabhängigkeit » (indépendance), « Unabhängig » (indépendant), « Staat » (Etat), « Freiheit » (liberté). Le terme de roi n’est jamais cité en Allemagne.

Il n’est donc pas étonnant que la modernité du terme « souveraineté » soit très diversement appréciée en France et en Allemagne, et plus généralement en Europe : les plus nombreux à considérer le terme dépassé sont les Français (49% contre 12% qui le jugent moderne), les Italiens (53% contre 10% moderne), les Espagnols (38% contre 13%) et les Roumains (37% contre 25%). En revanche, la modernité l’emporte en Allemagne (31% contre 9% qui jugent le terme dépassé), en Pologne (31% contre 17%) en Lettonie (33% contre 17%) et de très peu en Suède (23% contre 22%). Enfin, il faut noter que pour près d’un Européen sur deux (48%), le terme n’évoque quelque chose de « ni moderne ni dépassé » (40%), voire n’évoque rien du tout (8%). 

Pour une majorité d’Européens, ce terme n’est pas spontanément associé à la gauche ou à la droite (58%), même si quand ils lui attribuent une couleur politique la droite l’emporte (23% contre 6% qui l’attribuent à la gauche). Le terme est particulièrement « apolitique » en Allemagne (seulement 8% le qualifient de gauche ou de droite), il est beaucoup plus connoté politiquement dans les pays qui y sont le plus réfractaires : Italie (41%), Espagne (37%) et France (34%) avec un net avantage à la droite, la proximité du terme « souverainiste » pouvant contribuer à la fois à cette association à la droite et pour certains à une connotation négative.

Dans les pays où le terme de souveraineté est plutôt mal perçu, il renvoie assez fortement à la notion de nationalisme (58% des Italiens lui associent ce mot parmi les deux que leur évoque le terme de souveraineté), 43% des Espagnols et 43% des Français. Italiens et Français sont par ailleurs plus nombreux à évoquer le terme de protectionnisme (26%) contre 6% en Allemagne par exemple. Enfin, il renvoie plus souvent également au terme de puissance, notamment en France (51%), en Espagne (54%) et en Italie (46%), et vraisemblablement pour beaucoup dans une acception plutôt négative. En effet, tous pays confondus, ceux pour qui le terme « souveraineté » évoque quelque chose de négatif sont beaucoup plus nombreux à l’associer à l’idée de puissance (57%, contre seulement 23% de ceux qui portent un jugement positif sur ce terme).  

Dans les pays où le mot souveraineté est considéré positivement, il renvoie avant tout à l’indépendance (63% en Allemagne, 65% en Pologne, 72% en Lettonie), à l’autodétermination (53% en Allemagne, 62% en Suède, 42% en Lettonie, 40% en Pologne) et bien moins à la puissance (23% en Allemagne, 22% en Suède, 15% en Lettonie, 9% en Pologne), au nationalisme (7% en Allemagne seulement par exemple) ou au protectionnisme (6% en Allemagne). 

Enfin, au-delà des différences de perception très nettes selon les pays, le terme de souveraineté est perçu un peu plus positivement par les seniors (52% des 60 ans et plus contre 42% des moins de 50 ans) et les plus qualifiés (56% des CSP+), avant tout car ils sont plus nombreux à être en mesure de se prononcer. 

La souveraineté européenne, un concept parfois difficile à saisir et qui ne fait pas l’unanimité

Interrogés sur leur compréhension de l’expression « souveraineté européenne », 6 Européens sur 10 disent voir ce dont il s’agit (63% dont seulement 16% « très bien », contre 37% mal). C’est 8 points de moins que pour l’expression « souveraineté nationale » (71% comprennent bien le terme), et à peine plus que pour « autonomie stratégique » (61%). 

C’est en France et surtout en Italie que l’expression est la moins bien comprise (seulement par 54% des Français et 45% des Italiens). Elle l’est davantage en Suède (60%), Lettonie (67%) et Allemagne (69%) et surtout en Espagne (71%), Pologne (75%) et Roumanie (77%).

En France et en Italie en particulier, la notion d’autonomie stratégique est mieux comprise. En revanche, elle l’est beaucoup moins en Allemagne, en Espagne, en Lettonie ou encore en Suède.

L’expression « souveraineté européenne » est un peu mieux comprise par les 60 ans et plus (68%), et surtout par les CSP+ (74%), tout comme pour la souveraineté nationale. 

Les Européens sont partagés et divisés quant à la connotation de ce terme. Sur l’ensemble des huit pays, ils sont à peine plus d’un sur deux à considérer l’expression « souveraineté européenne » comme quelque chose de positif (52%), contre 26% négatif et 22% ni positif ni négatif. C’est un peu moins positif que pour la souveraineté nationale (5 points de moins) et à peine plus que pour « autonomie stratégique » (3 points de plus). 

Dans quatre des pays sondés, l’expression « souveraineté européenne » est jugée très majoritairement positive : l’Allemagne (63%), la Pologne (69%), la Roumanie (66%) et la Lettonie (68%). Elle l’est beaucoup moins en Espagne (49% positif contre 24% négatif), en Suède (48% contre 19%) en France (41% positif contre 35% négatif), et surtout en Italie (37% positif contre 47% négatif). 

Notons d’ailleurs qu’en France et en Italie, une majorité considère même qu’il est contradictoire d’employer les deux mots « souveraineté » et « Europe » ensemble (52% des Français et 56% des Italiens le pensent), contre seulement 27% des Allemands. 

En termes socio-démographiques, l’expression est jugée plus favorablement par les 60 ans et plus (58% contre 47% des 35-49 ans) et les CSP+ (61%) mais la proportion de jugements négatifs varie assez peu selon l’âge et la CSP (entre 22% et 29% selon la tranche considérée). C’est surtout la capacité à trancher qui évolue. L’auto-positionnement politique est plus clivant : le terme est plus positif pour les centristes (61% et seulement 17% des jugements négatifs) que pour les sympathisants de gauche (54% contre 27% négatifs) et surtout de droite (51% contre 30% négatifs). Ces derniers pour certains y voient sans doute une limitation de la souveraineté nationale, un concept qui leur parle beaucoup plus (70% d’évocations positives contre 48% pour les sympathisants de gauche). 

Seul un Européen sur deux considère aujourd’hui l’Europe souveraine

Alors que les Européens définissent avant tout la souveraineté comme l’indépendance vis-à-vis des autres (58% citent cette définition parmi les deux principales significations de la souveraineté), le fait de vivre selon ses propres valeurs et préférences (57%) ou la capacité à faire valoir ses propres intérêts (51%), beaucoup plus que par une coopération librement déterminée avec ses partenaires (35%), seulement 51% des Européens considèrent que l’Europe est aujourd’hui souveraine. Si les pays du Nord et de l’Est de l’Europe en sont majoritairement persuadés (61% des Suédois, 65% des Polonais, 63% des Roumains, 56% des Lettons et 57% des Allemands), la France et l’Italie sont beaucoup plus négatives (64% des Français pensent que l’Europe n’est pas souveraine et 54% des Italiens). Les Espagnols sont très partagés, une courte majorité considérant néanmoins que l’Europe est souveraine (53%). 

Pour que l’Europe soit souveraine, l’économie apparaît comme l’aspect le plus important au plus grand nombre (69% jugent qu’il est primordial qu’elle dispose d’une économie prospère pour être souveraine), mais d’autres éléments sont également jugés presqu’aussi déterminants. Une large majorité d’Européens considère en effet primordial qu’elle dispose d’une politique de sécurité et de défense commune (67% ; majoritaire dans tous les pays), que la production européenne dans des domaines stratégiques telles que l’alimentation ou la santé soit garantie (65% ; majoritaire partout sauf en Pologne), qu’elle dispose de ses propres ressources énergétiques (60% ; majoritaire partout sauf en Pologne et en Suède), qu’elle défende fortement ses valeurs (61% ; sauf en Pologne et en Suède), qu’elle maîtrise ses frontières extérieures (59%, sauf la Pologne), qu’elle ait des outils communs pour lutter contre les ingérences étrangères (58%, sauf en Pologne), une maîtrise des infrastructures stratégiques (52% sauf en Pologne et en Suède) et ses propres ressources fiscales (53%, une minorité néanmoins en Allemagne, Pologne et Suède). Quant à la maîtrise des infrastructures numériques, elle est jugée primordiale par un peu moins d’un Européen sur deux (46%), mais par une courte majorité en France (51%), en Espagne (51%) et surtout en Roumanie (60%). 

Près des trois quarts des Européens pensent qu’il faut renforcer la souveraineté européenne

Alors que les Européens considèrent très majoritairement qu’il faut renforcer la souveraineté de leur pays (77% ; de 70% pour la France et l’Espagne à 91% pour la Roumanie), ils ne considèrent pas contradictoire de souhaiter dans le même temps un renforcement de la souveraineté européenne. En effet, 73% des Européens considèrent qu’il faut renforcer cette dernière, particulièrement les Lettons (84%), les Roumains (83%) et les Allemands (83%), un peu moins mais toujours très majoritairement les Espagnols (73%), les Français (66%), les Suédois (64%) et même les Italiens (60%). 

Si l’expression souveraineté européenne plaît assez peu aux Français et aux Italiens, ils ne sont donc pas pour autant majoritairement réfractaires sur le fond.

Si les Européens considèrent majoritairement qu’il faut renforcer la souveraineté européenne, c’est avant tout pour faire face à la menace terroriste (37% la citent parmi les deux principales raisons ; particulièrement en France, en Pologne, Roumanie et Suède), le défi du changement climatique (34%, particulièrement cité en Allemagne) et la menace sanitaire (31%, surtout aux yeux des Italiens et des Espagnols). Autant de défis globaux appelant à leurs yeux une réponse globale, devant le manque de poids de leur pays à l’échelle à l’international (27% ; 39% en Italie et 37% en Lettonie tout de même) ou la volonté de puissance d’autres acteurs, en tête desquels la Chine (20% ; 25% en France et 27% en Suède). La volonté de puissance de la Russie est citée par seulement 13% des Européens mais atteint 30% en Pologne (troisième raison pour renforcer la souveraineté européenne) et 31% en Lettonie (troisième également).

Or aux yeux des Européens, ce qui freine aujourd’hui le plus la mise en place de davantage de souveraineté européenne, ce n’est pas la réticence des populations (seulement 11% le pensent), c’est bien davantage le fait que certains pays européens soient conduits par des dirigeants nationalistes (23% ; 38% des Suédois et 35% des Allemands), la pression d’un certain nombre de pays étrangers qui n’ont pas intérêt à voir émerger une Europe forte (22% ; 41% des Lettons et 36% des Roumains), la faiblesse des institutions européennes telles qu’elles existent aujourd’hui (19%), des différences culturelles entre nations européennes (16%) et dans une moindre mesure la pression de grands groupes industriels ou de plateformes numériques (9%). 

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