Gauche sociale-démocrate : si la bière est tirée, il faut la boire

Alors que les élections fédérales en Allemagne se rapprochent, Gabriel Richard-Molard se penche sur la difficile campagne menée par le candidat social-démocrate, Martin Schulz. Crédité second par les derniers sondages, il est à la peine pour tirer profit des réformes sociales engagées par le SPD qui était jusqu’à présent en coalition avec le parti conservateur d’Angela Merkel.

À une semaine de l’élection législative, la dynamique électorale tant espérée par le Parti social-démocrate (SPD) et son candidat Martin Schulz ne s’est toujours pas enclenchée. La faute à pas de chance, diront certains. L’ancien président du Parlement européen apparaît selon plusieurs instituts de sondages comme un bon candidat, proche des citoyens et ayant le meilleur programme et, pourtant, sa campagne n’avance pas. Pré-autopsie sans concessions d’une gauche allemande qui semble avoir perdu tout espoir de l’emporter.  

Real-Defätismus

La langue allemande adore les mots français. Defätismus, de « défaitisme », en est un et il décrit bien l’état d’esprit des sociaux-démocrates à une semaine de l’élection. Le résultat n’est pas au rendez-vous et le candidat Schulz n’arrive pas à se hisser au-delà des 25% d’intentions de vote. Les langues se délient et certains pensent que le parti s’achemine vers un score égal ou faiblement inférieur à celui des élections législatives de 2013 où le parti avait rassemblé 25,7% des suffrages. La bourde de communication l’annonçant victorieux du débat avec Angela Merkel, quelques vingt heures avant ledit débat, et l’ombre du trop russophile ancien Chancelier Schröder n’aident pas non plus. Malgré cela, Martin Schulz continue, s’entête et se bat. Il est le candidat et compte bien rendre coup pour coup pour rassembler largement autour de son projet qui reste largement plébiscité. Mais cela ne suffit pas et au détour d’une phrase, le 11 septembre dernier, il a ironisé sur le fait qu’Angela Merkel pourrait être sa vice-chancelière et a égrené des lignes rouges comme bases d’un accord de coalition. Celles-ci – des salaires plus justes et élevés, l’égalité des chances à l’école et l’université, des retraites assurées et une Europe plus solidaire – sonnent malheureusement comme autant d’aveux de faiblesse. Triste et étrange décalage avec ce que le patron du SPD déclare partout, à savoir qu’il sera Chancelier dans une semaine.

Tristes tropismes

La direction dans laquelle le parti s’est engagé à partir de 2013 était pourtant celle de la reconquête. Malgré l’accord de coalition et la place peu enviable de « junior partner », celui-ci avait été le moteur de l’agenda social du cabinet Merkel III. En dépit de mesures fortes et véritablement progressistes, comme la retraite à 63 ans ou le salaire minium, cela n’a eu aucune influence sur le soutien populaire au SPD qui a été durablement décrédibilisé par l’agenda 2010 de Gerhard Schröder et ses conséquences telles la paupérisation de la population et un accroissement exponentiel de la différence de revenus entre riches et pauvres. D’autres éléments contribuent à la descente aux enfers du parti, comme le fait de ne pouvoir rallier les classes laborieuses qui filent voter pour l’AfD (extrême droite populiste), l’impossibilité de constituer une coalition avec les ex-communistes et les Verts pour des raisons liées principalement à la politique internationale ou encore et tout simplement le fait de ne pouvoir sortir de l’ombre de cette géante des relations internationales qu’est Angela Merkel et donc de pouvoir enfin développer une vision propre à la social-démocratie.

Un drame en un acte

L’élection législative allemande n’a qu’un seul tour – ce qui laisse peu de chances au candidat social-démocrate de pouvoir, à une semaine du vote, remonter la pente et être en position de constituer une majorité. La CDU de la Chancelière, si elle gagne, aura la primeur dans la constitution d’une coalition. Si les sondages devaient se réaliser, elle ne pourrait créer une majorité stable qu’avec le SPD ou bien en établissant ce que les commentateurs politiques allemands appellent une coalition « jamaïcaine » du nom des couleurs des partis – noire (CDU), rouge (SPD) et jaune (libéraux). Si d’aventure les libéraux ou les Verts devaient obtenir de meilleurs résultats que prévus, une coalition noire-jaune ou noire-verte pourrait être également possible. Selon toute logique néanmoins, la question de la participation à une coalition se posera pour le SPD non pas comme parti principal, à la différence de ce que Martin Schulz espère, mais bien encore comme « junior partner ». Le dilemme sera alors de savoir s’il faut continuer à vivre dans l’ombre d’Angela Merkel ou, au contraire, accepter de rentrer dans l’opposition et à nouveau travailler à une société plus juste dont l’Allemagne a certainement besoin. Comme en 2013 lorsque j’avais voté, en tant que militant, contre l’accord de coalition, je reste convaincu au vu des pronostics peu encourageants, malgré un excellent candidat et un programme solide, que gouverner à tout prix a un coût que la social-démocratie allemande et plus largement européenne ne devrait plus ignorer.

 

La Fondation Jean-Jaurès s’associe à Libération pour apporter son éclairage sur les élections fédérales en Allemagne le 24 septembre 2017 à travers trois tribunes de Gabriel Richard-Molard, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, spécialiste des relations franco-allemandes et docteur en droit européen.

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