La prison, facteur de récidive ?

À quel degré la prison est-elle un facteur de récidive ? Le regard que portent les Français sur le système carcéral, dévoilé dans la grande enquête de la Fondation Jean-Jaurès, peut-il l’être aussi ? À deux jours de la présentation du «Plan prisons» par la Garde des Sceaux, Laurie Lauder, psychanalyste, professeure à l’UFR IHSS et directrice du CRPMS de l’Université Paris Diderot, et Giorgia Tiscini, psychologue clinicienne, psychanalyste et chercheuse au CRPMS, livrent une analyse, notamment historique, de la notion de récidive. 

Les Français face à leur prison : faire parler les chiffres des résultats de l’enquête 

L’enquête publiée par la Fondation Jean-Jaurès le 9 avril dernier dévoile une réalité alarmante : les pourcentages, entre l’année 2000 et l’année 2018, concernant un regard sur les prisons que nous pourrions qualifier de « négatif », se sont accrus d’une façon très importante. Si nous prenons la catégorie « jugement sur le traitement des prisonniers en France », les réponses positives à la question « est-ce que les personnes détenues sont trop bien traitées ? » s’élèvent à 18% en 2000 et 50% en 2018. De même, pour la catégorie « fonction principale de la prison » : si, en 2000, 72% des personnes interrogées estimaient qu’elle devait être la « préparation à la réinsertion dans la société », en 2018 elles ne sont plus que 45% à le penser ; tandis que le taux par rapport à la mission de « priver les personnes détenues de liberté » passe de 21% en 2000 à 49% en 2018.

Suit la question sur les « facteurs d’explication des difficultés actuelles dans les prisons ». Qu’en pense la population française ? Une réponse stable est évoquée, bien qu’avec un infléchissement dans le temps : la surpopulation carcérale arrive en premier avec 71% en 2000, contre 79% en 2018. Toutefois, concernant les autres facteurs, il existe encore des différences à noter : « l’attitude des détenus » était un facteur d’explication des difficultés pour 24% des personnes interrogées en 2000, et pour 41% en 2018 ; « l’état des locaux » effrayait, en 2000, 41% de l’opinion publique, contre un moindre 26% en 2018 ; quant à « l’attitude des surveillants », elle compte pour 11% des personnes interrogées en 2000 et pour 5% d’entre elles en 2018.  

Le dernier constat vise la question sur l’adhésion à différentes mesures pour les prisons :

  • les réponses favorables sur « le renforcement des programmes de réinsertion » s’élevaient à 89% en 2000, contre 72% en 2018 ;
  • « la permission à un plus large accès à la prison aux intervenants extérieurs » (comme les enseignants, artistes, etc.) trouvait l’accord de 79% de la population en 2000, rétrogradant à 53% en 2018 ;
  • « la diminution du nombre de personnes en détention provisoire » rassemblait 64% d’opinions favorables en 2000, contre 47% en 2018 ;
  • « l’augmentation du budget des prisons pour améliorer les conditions de vie des détenus » avait l’accord de 77% des Français en 2000, avec une baisse vertigineuse à 40% en 2018 ;
  • 77% des personnes interrogées en 2000 approuvaient « l’augmentation du droit de visite aux personnes détenus », contre 37% en 2018.

Que faire de ces chiffres ? Qu’est-ce que ces pourcentages peuvent nous indiquer ?

Tout d’abord, une double observation : d’une part une mauvaise compréhension de ce qu’est la prison et une méconnaissance de son histoire ; d’autre part la détérioration du jugement porté sur celles-ci. Au-delà de ce constat, cette mauvaise compréhension du système carcéral rejoint celle plus large de ses effets sur la société et de ses impacts concrets sur ses citoyens. Qu’il s’agisse du régime des prisons, du regard des Français ou de la position des personnes détenues elles-mêmes, la récidive se retrouve en être, à la fois, une des causes et un des effets.

À cet égard, les chiffres de l’enquête indiquent que, malgré la connaissance correcte des conditions de détention des personnes sondées, la mauvaise compréhension de cette réalité carcérale ne leur permet pas de saisir les conséquences que cette même réalité pourrait engendrer, notamment en matière de récidive. Le lien entre conditions carcérales et récidive ne semble pas se faire spontanément. Or, il s’agit d’un problème crucial, et c’est certainement le défaut de connaissance de ses soubassements historiques – tout aussi bien problématiques au XIXe siècle – qui pourrait expliquer, en partie, la difficulté de l’opinion publique à être sensibilisée face au traitement, parfois indigne, des personnes détenues.

La récidive dans l’histoire : quelques rappels d’un problème éternel

Mais qu’est-ce que la récidive ? Rappelons tout d’abord qu’afin de l’étudier, il faut la considérer en rapport à la prison, l’individu et le social, puisqu’il s’agit d’une articulation incontournable qui diverge et converge continuellement, mais à considérer conjointement. Ainsi, ne prendre qu’une de ces dimensions, sans tenir compte de deux autres, n’éclaire qu’une part de la réalité carcérale. Nous chercherons, par conséquent, à garder en filigrane de nos propos ces trois dimensions, comme trois cercles noués ensemble.

La problématique de la récidive ne cesse pas de faire retour dans l’histoire, une question qui s’est imposée avec l’institutionnalisation des prisons suite à la Révolution française. La récidive fut ainsi immédiatement liée au régime des prisons : une question qui devint l’indice, l’index pour mesurer un bon ou mauvais fonctionnement du système pénitentiaire. Selon Charles Lucas, par exemple, ce lien était faux, puisqu’il pouvait y avoir un bon système pénitentiaire avec un taux très élevé de récidives et vice versa. À ses yeux, en effet, « la récidive n’est (…) qu’une conséquence probable, mais non nécessaire, de la perversité des condamnés et de l’efficacité du système pénitentiaire auquel ils ont été soumis ». Ce qui demeurait important, c’était alors la prévention comme obligation nécessaire à la sphère de l’emprisonnement après jugement. S’ensuivait l’analyse des causes impliquées dans la récidive, afin de discerner ce qui relevait des circonstances sociales et ce qui relevait de l’individu, puisque s’il était toujours plus facile d’imputer au libéré l’implication dans la réitération de son acte, il fallait aussi redonner à la société la part de responsabilité qui lui incombait. Autrement dit, l’individu avait certainement une grande responsabilité dans le fait de retomber dans « l’erreur » de l’infraction, mais la société, quant à elle, devait aussi lui restituer les moyens pour qu’un cadre disciplinaire et moral le soutienne. En revanche, Tocqueville et Beaumont, en contre-point de Charles Lucas, exprimèrent, dans la recherche d’une réforme des prisons, un avis différent sur cette question sans solutions, attestant qu’en France, à cette époque, sur cent condamnés libérés, il y en avait trente-et-un, chiffre moyen, qui tombaient en récidive. À leurs yeux, l’augmentation des condamnés en récidive démontrait que le système d’emprisonnement était mauvais, et le facteur central isolé était l’oisiveté qui, première cause du crime, incitait aussi à la récidive. Ce fut ainsi cette dernière qui transformait la proposition d’une réforme des prisons en nécessité, puisque les prisons apprenaient des habitudes funestes qui, à la sortie, empiraient.

Mais la place d’honneur pour l’étude d’une causalité de la récidive revint à Moreau-Christophe qui, en se détachant des positions de Charles Lucas ou de Tocqueville et Beaumont, remettait ce problème sur les épaules de l’auteur même, dont la responsabilité lui revenait entièrement. Même si aussitôt après, il dut toutefois reconnaître que le régime des prisons avait aussi une influence réelle sur l’avenir moral des condamnés, sans pour autant en devenir le motif principal. Quant aux causes de la récidive, à son sens, elles étaient liées à celles qui avaient conduit l’individu à commettre le premier crime, à trois différences près : la position des libérés qui était intenable, car la société les regardait avec un préjudice ineffaçable, en frappant le malheureux qui avait expié sa peine de prison, du blâme éternel ; la surveillance accrue de la police, à laquelle le coupable était soumis après sa sortie de prison, et qui était poussée jusqu’au point que lorsqu’un délit se commettait, les premiers soupçons planaient naturellement et instantanément sur lui ; le préjugé du jury à l’égard de celui qui avait déjà était condamné, amenant presque toujours une seconde condamnation. La dernière cause revenait tout de même aux vices du régime intérieur des prisons. Ainsi, Moreau-Christophe considérait « que pour le quatre-vingt centièmes des libérés, le principe de la récidive n’est pas dans les vices moralement délétères du système de nos prisons » et, même si ce principe trouvait sa cause dans ce régime, c’était moins parce qu’il le poussait à réitérer son acte que parce que le préjugé qui s’y attachait était tel qu’il rendait la rechute inévitable .

In fine, nous rappelons l’étude de Julius qui montrait un tableau de la France en 1822 : la moyenne isolée était d’un condamné sur 6110 habitants (la population française étant passée de 30 millions à 31 845 428 habitants) et, concernant le rapport entre les condamnés pour récidive et ceux pour un premier crime, il isola que sur 4348 condamnés, 3592 étaient punis pour un premier crime, tandis que 756 l’étaient pour récidive. Autrement dit, sur 100 condamnés, il y avait 86 pour un premier crime, et 17 pour récidive.

Le taux isolé par Julius est frappant si nous opérons une comparaison avec une étude statistique effectué en France par la SDSE (Sous-Direction de la statistique et des études) et commanditée par le ministère de la Justice, conviant la période allant de 2004 à 2011, et dont l’analyse s’effectua sur la population des condamnés connue par le casier judicaire national. Pour l’ensemble des condamnés de 2004, 38% étaient récidivistes, excluant les infractions routières qui auraient porté le taux à 45%, c’est-à-dire près de 4 condamnés sur 10. 45 % des condamnés de 2004 récidivèrent entre 2004 et 2011, et si un quart avait récidivé dans les deux premières années, 14% l’avaient fait dès la première année.

Par conséquent, nous pourrions dire, en prenant toutes les précautions statistiques qu’il se doit, qu’entre 1822 et 2011, le taux de récidive est passé de 14% à 38%, voire 45% si nous considérons les infractions routières. S’il s’agit d’une corrélation qui n’est probablement pas significative au sens statistique, en ne connaissant pas exactement les variables prises en compte dans l’étude rapportée par Julius, il s’agit tout de même d’un résultat important et qui demanderait une étude bien plus approfondie.

La récidive aujourd’hui : le sujet délinquant dangereux

Somme toute, comme nous venons de le voir, la récidive a toujours été une problématique qui mettait tout à la fois en question la prison, la société et l’individu. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui la définition de récidive ne concerne plus seulement la réitération d’un crime, mais se démultiplie, en revanche, en plusieurs sections. Ainsi, cette notion, dans le sens d’une rechute de l’auteur d’infraction, peut être étudiée à plusieurs niveaux le long de la filière pénale. Nous pouvons, par exemple, indiquer la récidive légale, la multi mise en cause, la récidive au sens large mais sur des sous-populations, la réitération, ou les récidives « protéiformes », etc.. S’ensuit l’absence d’un taux de rechute ou de récidive unique, faisant toutefois exister des taux différents en fonction de la position dans la filière pénale et de la population concernée. De même, il faut considérer, dans les études statistiques, la durée. L’exemple paradigmatique réside dans l’étude que nous avons prise comme exemple, puisqu’il porte sur une durée de huit ans, tandis que la notion juridique de « récidive légale » est estimée à cinq ans dans le domaine correctionnel.

Quoi qu’il en soit, tout comme rapporté dans la Conférence du consensus de la prévention et de la récidive tenue en 2013 à l’initiative du ministère de la Justice, il est certain qu’en France la connaissance de la récidive et des facteurs susceptibles de la diminuer reste lacunaire. Quelles en sont les raisons ? De même, pour quelles raisons sommes-nous toujours confrontés à cette problématique depuis le XIXe siècle ? En effet, dès le début, tout comme Foucault le rapporte, le constat fut patent : le nouveau système de pénalité n’avait fait aucunement baisser le nombre des criminels ni le taux de récidive. Les réformes et les essais visant à faire baisser ces taux ne manquèrent pas de se succéder, mais les résultats espérés n’étaient jamais atteints. Par exemple, la recherche d’une taxonomie d’infractions et de peines – encore une solution – n’a porté, de nouveau, qu’à la question de la récidive qui n’arrêtait pas de déstabiliser le système pénal et d’alarmer tous les acteurs des tribunaux.

En aurait résulté, selon la lecture de Foucault, le fait que la récidive est devenue une qualification du délinquant, susceptible de modifier la peine prononcée, puisqu’à travers elle, on ne visait pas l’auteur d’un acte défini par la loi, mais le sujet délinquant animé d’une volonté liée à son caractère essentiellement criminel. Par conséquent, un glissement du crime à la criminalité s’opère, faisant de cette dernière l’objet de l’intervention pénale et marquant davantage l’opposition entre « primaire » et « récidiviste ». De ce fait, Foucault indique que la récidive permet l’individuation et l’apparition du sujet délinquant.

Qui plus est, la notion de dangerosité, introduite dans la loi française en 1994 et mentionnée depuis à plusieurs reprises, en particulier dès 2005, n’amène qu’à la conviction que les délinquants peuvent avoir une nature dangereuse qu’il convient, dès lors, de dépister et d’en prévenir les effets. Le sujet délinquant apparaît, donc, comme un être dont la nature est dangereuse et, de ce fait, il faut l’enfermer, l’exclure de la société, le traiter et le corriger. Il va sans dire que si nous restons dans cette logique, le regard de la population face aux personnes détenues ne peut qu’empirer. La récidive peut alors être envisagée comme l’effet de cet aveuglement, puisqu’un libéré ne peut se réinsérer dans une société où on le soupçonne d’être dangereux, différent, délinquant et en le marquant symboliquement, à jamais, comme un exclu.

Par conséquent, les faits de récidive impactent le regard que l’opinion publique pourrait avoir sur l’infracteur – le sujet délinquant dangereux –, sans pour autant détériorer le regard sur le régime des prisons. Or, il n’est pas un fait nouveau que la détention – en particulier les conditions pénibles des maisons d’arrêt – provoque la récidive, l’installant à conditio sine qua non, répétitive, nécessaire et unique pour une identification précaire qui tienne le libéré lié à la société en tant qu’exclu, en tant que point d’exclusion.

Pour clore notre brève étude historique et actuelle, fondée sur les chiffres de l’enquête, nous pouvons faire le constat que les mauvaises conditions de détention sont, entre autres, une cause majeure de récidive, mais que ce lien demeure opaque et difficilement compréhensible pour l’opinion commune.

S’ensuit un cercle vicieux : la demande de punition va à l’encontre de la peine telle qu’elle fut conçue au départ – privation de liberté, amendement du coupable et réinsertion sociale –, bien que jamais véritablement actualisée et respectée, engendrant, comme conséquence possible, une colère exacerbée chez la personne détenue qui, dans l’insupportable de cette situation, sera plus à même de retomber dans ses actes hors la loi.

Conclusions : hypothèse différentielle et singulière de la prison face aux Français

Nous avons essayé de dégager, à partir de la thématique de l’enquête d’opinion, celle complémentaire de la récidive, afin de soulever la question suivante : à quel degré la prison peut-elle être un vecteur de récidive ? Cette question est toutefois redoublée par son équivalent au niveau social : à quel degré le regard des Français, face à leurs prisons, peut-il devenir un facteur de récidive ?

Si le titre de l’étude effectuée est « Les Français et la prison », en conclusion de cette note, nous aimerions le renverser en « La prison et les Français », autrement dit la prison face aux français.

En effet, la prison est une institution qui relève de l’opération révolutionnaire, elle est la marque et l’empreinte de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC), la prison réside donc aux soubassements, aux assises de notre République et de notre démocratie. Elle demande de l’aide à ses concitoyens, pour que sa fonction et sa mission initiales – privation des libertés et amendement du coupable – se retrouvent de nouveau en résonance avec l’esprit de sa naissance qui coïncida avec sa réforme. Un regard aveugle et préjudiciable sur cette institution n’engendrera que sa destruction et celle de la société.

C’est à partir de ce constat que nous tissons un lien avec la récidive, tout comme nous l’avons vu dans l’histoire qui se répète : exclure les personnes détenues de la société, le marquant du blâme éternel, n’amènera qu’à la réitération de leur acte.

Toutefois, nous souhaitons aussi attirer l’attention sur une autre notion, capable d’expliquer la connaissance lacunaire de la récidive et des facteurs susceptibles de la diminuer : l’imprévisible. En effet, tout comme pour le crime ou le passage à l’acte, nous ne pourrons jamais prévoir, prévenir ou anticiper la récidive. Il n’y a rien qui pourra dire si un sujet passera à l’acte, qu’il s’agisse de sa première, deuxième ou xième fois. Demeurant dans le registre du singulier, et non pas de l’universel, l’acte, le passage à l’acte, le crime, le délit ou la récidive restent imprévisibles. Bien qu’il y ait des facteurs « sensibles », qui en accroisse la probabilité – comme la surpopulation carcérale, les conditions des prisons, le regard des concitoyens, l’absence de réinsertion sociale ou professionnel, etc. –, n’oublions pas que si ces facteurs peuvent augmenter la possibilité d’un sujet de passer à l’acte et/ou à l’action, ils ne se poseront nullement à « causes » de franchissement de la loi pour un autre sujet. Il s’agit alors de garder l’attention sur l’individu en tant que singularité, d’un par un, et ainsi sortir de la volonté de ramener l’ensemble des habitants des prisons en une seule catégorie universelle, c’est-à-dire à celle de sujets délinquants dangereux.  

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