Le blues des maires

Assiste-t-on vraiment à des démissions de maires et de conseillers municipaux en cascade ? Les élus des territoires ressentent-ils un malaise de plus en plus aigu face aux exigences croissantes des citoyens, au temps demandé par le mandat et aux réformes mises en place ? Le mandat local est-il devenu moins attractif ? C’est en s’appuyant notamment sur les résultats d’une consultation lancée par le Sénat auprès de maires, d’adjoints et de conseillers municipaux qu’Éric Kerrouche fait le point, dans cet essai, sur les symptômes et les facteurs d’un phénomène grave pour le fonctionnement de la démocratie locale française. Il y propose également des pistes de solutions, autant de propositions pour renforcer notre République des territoires.

Éric Kerrouche est directeur de recherches au CNRS et sénateur des Landes.

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Table des matières

Introduction 

Expliquer le malaise : les facteurs liés à l’exercice du mandat
Les difficultés d’exercice du mandat comme frein à de futurs engagements
La difficile projection dans l’avenir comme illustration du malaise local
La difficile conciliation du mandat avec la vie professionnelle et personnelle 

Une addition récente de facteurs aggravant la désillusion
Les indices d’une crise de confiance démocratique locale 
Un trop-plein de réformes 
Les incertitudes financières 
La problématique spécifique des petites communes 

Quelques voies d’apaisement
Améliorer et professionnaliser le statut pour démocratiser l’accès aux fonctions locales
Une nouvelle gouvernance du palier municipal 
Favoriser les communes nouvelles 

Conclusion 

Conclusion

Comme tout élu local, j’ai énormément appris des fonctions que j’ai pu exercer. Conseiller municipal, j’ai découvert de l’intérieur le fonctionnement démocratique local. J’ai aussi appris à encore mieux connaître et aimer ma commune. Par la suite, grâce à la confiance du maire, j’ai pu occuper différentes fonctions d’adjoint qui m’ont fait découvrir d’autres facettes du métier d’élu. Le contact avec le monde culturel d’abord, l’exaltation de la mise en place des festivals locaux et le plaisir du partage avec le public et les citoyens. Plus tard, la prise en charge de l’urbanisme a été un nouveau défi avec la nécessité de comprendre, de lire, de se former et celle d’appréhender le territoire communal dans sa globalité, en dialoguant cette fois-ci avec d’autres professionnels. Dans les deux cas, comme plus tard au niveau intercommunal, je me suis nourri des échanges avec les élus et les fonctionnaires locaux. Cette diversité d’expertise a enrichi ma réflexion.

Mon parcours intercommunal m’a conduit à apprendre un nouveau rôle. Président d’un EPCI, j’étais certes encore le représentant de ma commune, mais aussi celui d’un territoire dont elle n’était qu’une partie. J’ai appris des autres communes et de leurs maires. Collectivement, nous avons construit une nouvelle histoire pour ce qui n’était plus seulement une addition de communes mais bien un nouvel ensemble qui dépassait chacun et nous rassemblait tous.

Comme tout président d’exécutif, j’ai connu des succès et des échecs dans la mise en place de projets qui étaient des décisions collectives mais pour lesquels j’avais aussi une responsabilité personnelle. J’ai savouré les premiers et j’ai appris des autres, en comprenant bien qu’il n’est pas possible de tout faire, même quand on pense bien faire.

Cette trajectoire est une trajectoire personnelle. C’est celle d’un élu landais, mais cette histoire se répète partout ailleurs en France. Elle est portée par des milliers d’anonymes qui, comme moi, croient en leur territoire. Des passionnés qui ne vivent que pour et par celui-ci. Parce qu’être élu local, malgré toutes les servitudes, est une tâche exaltante. Parce qu’un service public mis en place, un emploi créé, un bâtiment de caractère sauvé de la destruction, une entreprise qui continue son activité, un investissement de voirie réussi effacent l’écrasant poids des normes qui empêchent d’avancer et tous les tracas qui s’amoncellent tous les jours.

La politique du quotidien se bâtit dans toutes les communes et les intercommunalités de France, associées aux départements et aux régions qui les épaulent. Chaque jour, le développement du territoire se tisse localement et non seulement à Paris, sous le regard condescendant de quelques-uns qui pensent que seule la centralisation est un gage de succès. Certes, les territoires ne sont pas des isolats déconnectés du reste du monde. Ils sont cependant les endroits où celui-ci peut se transformer et se régénérer. Les initiatives viennent du bas. C’est ce qui se voit dans les expériences de budgets participatifs mises en oeuvre localement. C’est encore ce qui se vérifie avec le nombre d’actions entreprises en faveur de la transition énergétique et environnementale par le bloc communal.

Pour que cette société locale fonctionne, il faut des élu·e·s de toute origine et de toute tendance. Sans céder à l’idée d’une nostalgie ou d’un système immuable qu’il ne faudrait pas transformer, il est crucial d’assurer la pérennité du maillage territorial électif. Même décriés, les élus municipaux sont bien des « fantassins de la République ». L’image peut paraître désuète, voire exagérée pour certains, il n’est pourtant que de suivre un adjoint ou un maire pendant une ou deux semaines pour se rendre compte du travail, souvent invisible, qu’ils réalisent.

Il est tout aussi primordial de continuer à bâtir une république des territoires et ce malgré la rareté de l’argent public – même si la répartition de celui-ci reste néanmoins un choix politique… Cette république est incompatible avec une recentralisation rampante et arrogante. Nous vivons une période dans laquelle se dessine un risque de basculement de la décentralisation. Au moment même où ces lignes sont écrites, les scénarios se multiplient pour désespérément tenter de trouver une solution à la suppression de la taxe d’habitation. C’est l’autonomie locale qui est remise en question. Il est temps d’arrêter cette fuite en avant vers toujours plus de réformes et de prendre un autre chemin, en commençant d’abord par faire un bilan raisonné, exhaustif et collectif de notre système local.

N’oublions pas ce que dit la Constitution de la Ve République : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances », mais « son organisation est décentralisée »…

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