Le paysage des partis politiques français aux élections européennes du 25 mai 2014

Dans la perspective des élections européennes de mai 2014, la Fondation s’associe au Cevipof et à la Fondation pour l’innovation politique pour lancer la Boussole européenne, un outil d’information et de repérage inédit en France, en partenariat avec France Télévisions et Ouest France. Retrouvez la première analyse.

Dispersion et polarisation des partis politiques

Dans les commentaires sur la vie politique française, les partis sont habituellement rangés de gauche à droite, de la même façon que les citoyens peuvent se sentir eux-mêmes plus ou moins de gauche, centriste ou de droite et de la même façon que le ministère de l’Intérieur utilise cette classification pour présenter les résultats officiels des scrutins. Afin de décrire le « paysage » des partis politiques dans le contexte des élections européennes du 25 mai 2014, nous reprenons cette traditionnelle distinction gauche-droite pour construire une dimension horizontale qui se réfère aux choix économiques des partis. Plus un parti soutient l’intervention de l’Etat dans l’économie et le développement des politiques sociales, plus il est positionné à gauche. Inversement, plus un parti soutient le libre marché et la réduction des politiques sociales, plus il est positionné à droite.

Nous complétons cette dimension horizontale par une seconde dimension pour prendre en compte la diversité des clivages qui animent la société. Cette dimension verticale consiste à situer les partis en fonction de leurs propositions sur des enjeux dits « sociétaux » qui permettent de les qualifier de plus ou moins progressiste ou conservateur. Pour le dire simplement, plus un parti laisse aux individus la liberté de choisir leur mode de vie, plus il est positionné en haut de cet axe vertical. Inversement, plus un parti veut contraindre le mode de vie des individus à se conformer à des normes morales ou institutionnelles, plus il est positionné en bas de cet axe vertical.

En complément de ces deux axes et afin de mettre en évidence les thématiques spécifiquement européennes liées à l’élection du Parlement européen, nous situons les partis sur un troisième et dernier axe mesurant leurs positions vis-à-vis de l’intégration européenne. Il s’agit des questions liées au fonctionnement institutionnel de l’Union européenne, du rôle de l’UE face à la crise économique et jugeant la construction européenne. Plus un parti est favorable à l’intégration européenne, plus il est positionné en haut de ce « thermomètre européen » tandis qu’un parti qui s’oppose à cette intégration est positionné en bas.

Dans ce cadre, nous procédons à l’évaluation rigoureuse des prises de position de dix partis politiques ou regroupements de partis sur trente enjeux d’actualité. Cela aboutit à la distribution de ces partis dans notre espace à deux dimensions qui, au premier abord, est sans doute moins simple à interpréter que la traditionnelle classification gauche-droite mais qui donne une vision plus fine et qui tient mieux compte des tensions qui construisent la vie politique. Selon que les partis ainsi distribués dans l’espace à deux dimensions sont plus ou moins regroupés ou éloignés, on peut interpréter les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres et apprécier la diversité de choix qui s’offre aux électeurs pour les élections à venir.

Une dispersion qui offre une large palette de choix aux électeurs

Tout d’abord on observe qu’il existe une grande diversité de positionnement des partis. En effet, chacun des quatre quartiers composant l’espace politique de La Boussole européenne 2014 est occupé par au moins un parti ou regroupement de partis. Cela signifie qu’il existe au moins un programme tendant à être « économiquement de gauche et progressiste », au moins un « économiquement de gauche et conservateur », au moins un « économiquement de droite et progressiste » et au moins un « économiquement de droite et conservateur ». C’est ce qu’on peut appeler la dispersion des forces politiques françaises.

Cette grande dispersion des forces politiques suggère que les électeurs doivent forcément pouvoir trouver une offre politique qui puisse satisfaire assez correctement leurs préférences quelles qu’elles soient. Autrement dit, l’offre politique est clairement contrastée et l’abstention peut difficilement se justifier au motif qu’aucun parti ne correspond à ce qu’on recherche. C’est une certaine richesse du « paysage » politique français quand on l’élargit à une dizaine de partis même si tous n’ont évidemment pas le même poids politique ni la même chance d’influencer les choix à l’échelle nationale ou européenne. Par ailleurs, aucune force politique n’occupe ce qui serait une sorte de position purement centrale. Dans La Boussole présidentielle 2012, notre codage du programme de François Bayrou aboutissait à un positionnement presque central alors que le candidat revendiquait effectivement d’incarner le centrisme. Désormais, même pour L’Alternative (regroupement UDI-MoDem) qui peut revendiquer la filiation avec les différentes formules du centrisme politique, il est clair que c’est un positionnement qui penche économiquement à droite. Quant à son pur centrisme « sociétal », il résulte, d’une part, de ce que L’Alternative tend à être quasiment toujours modérée plutôt que très tranchée dans ses préférences et, d’autre part, qu’elle oscille entre certaines orientations plutôt progressistes et d’autres plutôt conservatrices. Concernant l’intégration européenne, L’Alternative est (tout comme Europe Ecologie-Les Verts) son plus fort soutien.

Une polarisation très affirmée à quatre côtés

Outre la dispersion des forces politiques françaises, on observe aussi leur très forte polarisation. C’est-à-dire qu’il existe des oppositions très structurées et que la dispersion dont il vient d’être question n’est pas le fruit du hasard. Si on écarte les deux regroupements récents et de faible poids (Force Vie conduit par Christine Boutin et Europe citoyenne conduit par Corinne Lepage), on voit bien que c’est la diagonale qui va du coin supérieur gauche au coin inférieur droit qui semble organiser la dispersion des partis. Le long de cette diagonale, le bloc formé par les potentiels partenaires du PS (Front de gauche, Europe Ecologie-Les Verts) et le PS lui-même sont aux antipodes de l’UMP. Il ne semble donc pas qu’il y ait un affaiblissement des clivages entre gauche de gouvernement et droite de gouvernement. La question de la cohérence entre le PS et ses alliés potentiels est cependant bien posée car une certaine distance apparaît entre eux.

Par ailleurs, de part et d’autre de cette diagonale, L’Alternative UDI-MoDem, d’une part, et le pôle « souverainiste / patriote » (FN, Debout la République), d’autre part, sont à la fois clairement incompatibles avec le bloc de gauche mais aussi autant éloignés l’un de l’autre qu’ils le sont chacun de l’UMP. Cela manifeste clairement que, indépendamment de ce que peuvent être les choix stratégiques d’alliance du principal parti de droite, il fait face à une double concurrence idéologique.

Tout cela dessine une sorte de structure en losange dont chacun des quatre angles présente un positionnement spécifique et cohérent (schéma ci-dessous). Dans La Boussole présidentielle 2012, notre codage des programmes des candidats avait posé la base de ce qu’est désormais très clairement ce losange avec une position déjà très polarisée et isolée de Nicolas Sarkozy comme l’est encore celle de l’UMP. Si « droitisation » il y a dans la vie politique française, avant de savoir si elle caractérise une partie des électeurs, il s’avère qu’elle est le fait de l’UMP tant sur le plan économique et social que sur le plan des valeurs sociétales.

La dispersion et la polarisation des partis que fait apparaître clairement notre espace politique suggère l’intérêt de s’interroger sur l’offre électorale au-delà de la seule distinction traditionnelle gauche-droite, trop synthétique pour exprimer à elle seule la diversité des orientations qui s’expriment. Pour affiner l’intérêt de cette approche, il convient aussi de traiter chacune des trois thématiques autour desquelles elle s’organise : enjeux européens, enjeux économiques et sociaux et enjeux « sociétaux »

Le thermomètre européen

La dispersion des principaux partis sur l’échelle « Union européenne » permet de distinguer 3 positions. Un premier bloc de partis y est nettement favorable. Ce bloc est composé de deux sous-groupes de deux partis chacun. Conformément à leur tradition pro-européenne, EELV et l’UDI-MoDem sont les plus positifs quant à l’appartenance de la France à l’UE et ont les positions les plus favorables à une intégration européenne plus poussée (emprunts européens, fin de l’unanimité pour la modification des traités). Ces deux partis sont suivis de près par le PS et l’UMP que leur position moyenne sur les 10 enjeux européens place exactement au même niveau sans que cela traduise un accord généralisé puisqu’on observe entre eux des désaccords significatifs (régulation du marché de travail européen, emprunts européens).

 

 

La deuxième position qui apparaît sur l’échelle « UE » est intermédiaire. Ainsi, le Front de Gauche soutient lui aussi l’intégration européenne mais pas forcement telle qu’elle a lieu aujourd’hui. Sur certains enjeux majeurs (emprunts européens, Euro, politique étrangère, politique régionale de développement), il affiche des positions en faveur d’une intégration européenne plus poussée. Mais le constat que le parti fait de l’UE actuelle est plutôt négatif. L’UE est décrite comme ne protégeant pas assez ses citoyens des effets négatifs de la mondialisation et comme étant allée trop loin dans la réalisation du marché unique sans contrepartie sociales. Le FG souhaite donc une réorientation de l’intégration européenne.

 

Enfin la troisième et dernière position significative sur l’échelle « UE » est celle des droites nationales et patriotes : Debout la République et le FN. Sur l’ensemble de nos enjeux européens, DLR et le FN rejettent systématiquement l’intégration européenne. Même sur des enjeux, comme la politique étrangère, sur lesquels la nécessité de plus d’Europe fait consensus parmi les autres partis, DLR et FN font bloc contre tout transfert de souveraineté. C’est d’ailleurs sur cette dimension européenne que l’écart entre le bloc de droites nationales/patriotes et les autres blocs politiques (gauche, centre-droit et droite conservatrice) est le plus élevé.

L’axe socio-économique (horizontal)

Les enjeux de nature socio-économique révèlent à la fois une amplitude de positions très importante entre les partis et un continuum allant de l’extrême gauche et de la gauche vers les droites souverainistes, le centre-droit et enfin l’UMP qui occupe la position la plus à droite. Sur les enjeux liés au monde de l’entreprise, à la sécurité sociale, au recrutement des fonctionnaires et à l’augmentation des impôts, les partis politiques français expriment une large palette de positions proposant ainsi une gamme de choix réellement différents aux électeurs.

 

Cependant, sur cet axe économique, certains enjeux sont également de nature à polariser les partis. C’est notamment le cas sur la question de la réduction des dépenses publiques et plus globalement sur le rôle de l’Etat dans l’économie. Sur ces deux enjeux on observe un fort clivage gauche-droite avec l’extrême-gauche et la gauche qui s’opposent à une réduction des dépenses publiques et qui soutiennent le rôle existant de l’Etat dans l’économie, alors que le centre-droit et l’UMP adoptent des positions inverses. Il est intéressant de souligner le grand écart que le FN exprime sur ces enjeux, car d’un côté, il souhaite réduire les dépenses publiques et, de l’autre, il ne souhaite pas un retrait de l’Etat du secteur économique. Si le FN se situe au centre de l’axe économique, c’est parce qu’il exprime des positions à droite de l’échelle sur certains enjeux (réduire les charges qui pèsent sur les entreprises, réduire les dépenses publiques) et à gauche de l’échelle sur d’autres enjeux (maintenir le niveau de la sécurité sociale, maintenir l’intervention de l’Etat dans l’économie, contrôle des banques en cas de sauvetage de l’Etat).

Enfin, contrairement à la position centriste sur les enjeux socio-économiques du candidat François Bayrou à l’élection présidentielle de 2012, le rassemblement UDI-MoDem penche désormais économiquement à droite pour ces élections européennes.

 

 

L’axe des valeurs/sociétal (vertical)

Les positions des partis sur l’axe des valeurs sont caractérisées par une forte polarisation. En effet, sur l’ensemble des enjeux de cet axe, sauf pour la question du nucléaire, on observe, d’un côté, un pôle « progressiste » (NPA, FG, EELV, PS, Rassemblement Citoyen) et, de l’autre côté, un pôle « conservateur » (FN, DLR, FV, UMP). Parmi les enjeux les plus clivants on retrouve des sujets saillants depuis la prise de fonction du Président Hollande (droits des couples homosexuels, droit de vote des étrangers non-européens aux élections locales, politique pénale). Une seule formation échappe à cette logique de polarisation sur les questions sociétales : l’Alternative. Le rassemblement UDI-MoDem se situe exactement au centre de l’échelle. Ce positionnement n’est pas du à une moyenne de positions tantôt progressiste et tantôt conservatrice, mais bien à un positionnement modéré sur l’ensemble de ces sujets. En effet, il n’adopte jamais une position maximaliste sur ces enjeux (sauf pour le droit de vote des noneuropéens sur lequel elle est « tout à fait d’accord ») mais alterne entre des positions modérément progressistes et des positions modérément conservatrices.

 

Des mêmes auteurs

Sur le même thème