Le Traité de Lisbonne, un an après. Innovations institutionnelles et potentialités politiques

Le Traité de Lisbonne a passé le cap de sa première année. Cette note trace, à grandes lignes, un premier bilan des innovations institutionnelles et du nouvel équilibre des pouvoirs ainsi crée. L’enjeu majeur se concentre désormais sur la politisation de l’Union et de ses institutions, seule réponse possible au déficit de légitimité.

Si la mise en place progressive de véritables partis politiques européens est un enjeu majeur, ces avancées n’auront de sens que si l’on parvient à dénouer le nœud du problème, à savoir celui des partis politiques nationaux qui, dans bien des cas, ne jouent pas le jeu de l’Europe. Un système partisan de niveau européen, même en présence de véritables partis politiques européens, ne saurait correctement fonctionner sans le relais au niveau national et local des partis nationaux. De même que le système politique de l’Union européenne nécessite la coopération étroite avec les administrations nationales, un système partisan européen ne peut exister de manière indépendante des systèmes partisans nationaux. Le propre de l’intégration européenne est d’instituer un niveau européen autonome mais interdépendant avec le niveau national. Un des enjeux majeurs de la politisation de l’Union est d’établir et de faire vivre ce lien.
C’était bien le sens du message du président du PSE, l’ancien Premier ministre danois Poul Nyrup Rasmussen, à l’adresse des dirigeants des partis socialistes et sociaux•démocrates des Etats membres lors du congrès de Prague de décembre 2009. Il les exhortait à engager une relation de dialogue et de travail quotidienne, et non plus seulement annuelle. La réception et l’utilisation du Manifesto par les partis nationaux lors de la campagne des élections européennes de 2009 illustrent bien le jeu de réappropriation, voire d’ignorance ou de détournement, des travaux du PSE. Le piètre résultat du Parti socialiste français contrasté par le succès d’Europe Ecologie aura sans doute fait comprendre à celui•ci qu’une campagne nationale axée sur l’opposition à la politique gouvernementale (dans une logique d’élection européenne comme élections nationales de second rang) ne saurait être pertinente ni récompensée aux yeux d’électeurs qui, lorsqu’ils se déplacent dans les bureaux de vote, sont ceux qui s’intéressent à l’Europe, en soutien ou en contestation.
S’agissant du Parti socialiste français, l’absence d’un secrétaire national dédié aux relations avec le PSE (l’intitulé du secrétariat national à l’Europe et l’International dénote un certain archaïsme conceptuel faisant de la politique européenne une sous-catégorie de l’International) et l’opacité de la désignation des délégués du Parti socialiste au conseil du PSE constituent les principaux points d’amélioration possible18. Une élection de ces derniers par les militants, comme pour toutes autres investitures nationales et locales, pourrait être l’occasion d’un débat interne sur les positions européennes du Parti socialiste, ce qui permettrait de sensibiliser les militants à ces questions et d’instaurer un lien réel, assumé et tout simplement naturel entre les niveaux partisans national et européen.

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  1. Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) n° C 306 du 17 décembre 2007 ; Journal officiel de la République française (JORF) du 2 décembre 2009. Pour la version consolidée du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, voir JOUE n° C 83 du 30 mars 2010.
  2. Paul Magnette et Anne Weyembergh (dir.), L’Union européenne : la fin d’une crise ?, Université de Bruxelles, 2008.
  3. Joschka Fischer, « De la confédération à la fédération, réflexion sur la finalité de l’intégration », discours prononcé à l’Université de Berlin le 12 mai 2000 ; Jacques Chirac, « Notre Europe », discours devant le Bundestag, 27 juin 2000 ; Gerhard Schröder, Résolution sur l’Europe du S.P.D., 30 avril 2001 ; Lionel Jospin, « L’avenir de l’Europe élargie », 28 mai 2001.
  4. Voir la résolution du Parlement européen qui s’inquiète de cet abandon : Résolution du Parlement européen du 11 juillet 2007 sur la convocation de la Conférence intergouvernementale (CIG) : avis du Parlement européen (article 48 du traité UE) (11222/2007 – C6•0206/2007 – 2007/0808(CNS)). http://www.europarl.europa.eu/ sides/getDoc.do?pubRef=•//EP//TEXT+TA+P6•TA•2007•0328+0+DOC+XML+V0//FR.
  5. Pour une étude synthétique des apports et des faiblesses institutionnels et juridiques du traité de Lisbonne, voir Nicolas Leron, « Le traité de Lisbonne : entre complication et simplification juridique et institutionnelle de l’Union », Questions internationales, n° 45, sept.•oct. 2010, pp. 28•34.
  6. Pour un premier bilan du traité de Lisbonne, voir aussi le travail conjoint des think tanks bruxellois Egmont, CEPS et EPC : « The Treaty of Lisbon : A Second Look at the Institutional Innovations », septembre 2010.
  7. Pour une analyse du Service européen pour l’action extérieure, voir la note Du service diplomatique européen à la puissance européenne, Maxime Lefebvre (Fondation Jean•Jaurès, décembre 2010).
  8. Voir en ce sens Andrew Moravcsik, « In Defence of the ‘Democratic Deficit’: Reassessing Legitimacy in the European Union », Journal of Common Market Studies, 2002, vol. 40, n° 4, p. 603•624.
  9. Thierry Chopin et Luká•• Macek, « Après Lisbonne, le défi de la politisation de l’Union européenne », Etudes du CERI, 2010, n° 165, p. 19.
  10. Ibid., p. 21.
  11. Sur le débat autour des bienfaits et des risques de la politisation de l’Union européenne, voir Simon Hix et Stefano Bartolini, « Politics: The Right or the Wrong Sort of Medicine for the EU? », Notre Europe •Policy Paper, n° 19, 2006.
  12. Paul Magnette et Yannis Papadopoulos, « On the Politicization of the European Consociation: A Middle Way Between Hix and Bartolini », European Governance Papers (EUROGOV), 2008, n° C•08•01.
  13. Gaëtane Ricard•Nihoul et Göran von Sydow, « Des réformes institutionnelles à la politisation : Ou comment l’Union européenne du traité de Lisbonne peut intéresser ses citoyens », Notre Europe •Les Brefs, n° 18, octobre 2010.
  14. Francisco Roa Bastos, « Des « partis politiques au niveau européen » ? Etat des lieux à la veille des élections européennes de juin 2009 », Notre Europe •Etudes et recherches, n° 71, mai 2009.
  15. Voir sur ce point Sir Julian Priestley, « European Political parties: the missing link », Notre Europe •Policy Paper, n° 41, 2010.
  16. Le groupe de travail est composé de vingt membres, présidé par Ruairi Quinn du Labour irlandais. Le rapporteur est Philippe Cordery, le secrétaire général du PSE. Voir la résolution du PSE « A democratic and transparent process for designating the PES candidate for the European Commission Presidency » (2 décembre 2010) (http://www.pes.org/sites/www.pes.org/files/adopted_pes_council_resolutio…).
  17. Tout militant d’un parti national affilié au PSE peut devenir militant du PSE sur simple inscription sur le site Internet du PSE. Des inscriptions par section, fédération, voire parti national, sont également possibles. Les socialistes français représentent de loin le premier contingent de militants PSE, suivi par les Roumains.
  18. Voir dans ce sens les propositions du collectif 27roses (http://www.27roses.eu/lettre•a•martine•aubry•parti•socialiste•francais•doit•etre).

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