Les femmes dans la prise de décision: où en est-on?

Retrouvez l’intervention de Ghislaine Toutain, conseillère du président de la Fondation Jean-Jaurès, qui s’est exprimée sur la place des femmes en politique au cours du séminaire sur « Femmes, villes et territoires » à Naples. Les politiques territoriales et urbaines ne pourront être influencées et prendre en compte la dimension du genre de manière transversale sans la présence des femmes dans les instances de décision. 

Avant toute chose, Amandine Clavaud et moi sommes très heureuses de représenter la Fondation Jean-Jaurès dans cette superbe ville de Naples. Je voulais aussi remercier Teresa et Maria Ludovica pour avoir organisé ce séminaire tout à fait passionnant. Je sais par expérience que c’est un gros travail ; merci encore de nous accueillir dans cette belle université dont j’ai lu sur internet qu’elle était l’une des plus anciennes en Europe !

Ce qu’est la Fondation Jean-Jaurès

La Fondation Jean Jaurès est une fondation politique qui se situe dans le courant progressiste européen. Elle fête cette année ses vingt-cinq ans. En effet, c’est l’ancien Premier ministre Pierre Mauroy qui l’a créée en 1992. Son objectif : travailler avec les fondations amies à instaurer la démocratie et la social-démocratie dans la monde.

C’est la raison pour laquelle l’égalité entre les femmes et les hommes constitue un point central de son action depuis sa création. Elle passe par l’organisation de nombreux séminaires, le soutien à des réseaux d’associations féministes, le suivi des nouveaux champs d’action pour l’égalité, etc. C’est ainsi que nous suivons depuis le début le projet dont nous parlons aujourd’hui qui porte sur la place des femmes dans l’espace public et l’échange de bonnes pratiques entre villes et associations féministes européennes, en partenariat notamment avec la CLEF et Genre et Ville.

Les femmes dans la prise de décision

Au niveau national

Il est clair que ce droit à la ville pour les femmes sera d’autant mieux pris en charge par les décideurs locaux et nationaux si les femmes sont présentes de façon significative dans les instances de décision. Je rappelle qu’en 1995, les femmes au pouvoir et dans la prise de décision constituaient l’un des douze points à considérer en priorité dans le programme d’action de la conférence onusienne de Pékin. ONU Femmes note qu’en vingt ans, si des progrès ont été réalisés dans certains pays, beaucoup reste à faire pour que les femmes parviennent à une représentation équitable dans les organes de pouvoir et de décision dans tous les domaines de la vie sociale.

Un seul chiffre au niveau mondial : en vingt ans, la représentation des femmes dans les parlements est passée de 11% à 21% ! À ce rythme-là, il faudra un siècle pour parvenir à la parité. Pourtant, les mécanismes à mettre en place par les institutions locales, régionales et nationales (les partis politiques, les gouvernements) sont connus et portent leurs fruits : quotas, mettre des femmes en position éligible lors des élections, former les filles à accéder aux postes de décision, etc.).

Au sein de l’Union européenne, la situation est meilleure mais des progrès restent à accomplir. Les femmes dans les parlements nationaux de l’Union ne sont en moyenne que 28% (avec des disparités très fortes selon les États membres). Elles sont 36% au Parlement européen. En France, on a assisté à une légère progression au Sénat (de 25 à 29% depuis le 24 septembre 2017) et à l’Assemblée nationale (38,8%, plus forte progression).

On compte trois femmes chefs de gouvernements sur 27, y compris Theresa May, Angela Merkel et Beata Szydlo. Quatre femmes se trouvent à la tête d’un État : Dalia Grybauskaite, présidente de la Lituanie depuis 2009, Marie-Louise Coleiro Preca, présidente de Malte depuis 2014, Kolinda Grabar-Kitarovic, présidente de la Croatie depuis 2015, et Kersti Kaljulai, présidente de l’Estonie depuis 2016.

Sur le plan local

C’est cet échelon qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, il est clair qu’une représentation significative des femmes dans les conseils municipaux et régionaux est essentielle pour prendre la décision de mettre en place des politiques urbaines et territoriales favorisant le droit à la ville des femmes, leur appropriation de certains équipements sportifs, des bancs publics et des squares ou encore leur sécurité dans les transports et dans les rues notamment.

Au niveau européen, cette question n’est pas absente du débat. En 2006, une Charte européenne sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale a été adoptée par le Conseil des communes et régions d’Europe. Cette charte est destinée aux collectivités locales et régionales d’Europe qui sont invitées à la signer. À l’heure actuelle, plus de 1650 villes dans 34 pays européens l’ont signée, selon l’Observatoire qui assure l’application de la mise en œuvre des principes fondamentaux sur lesquels elle repose et que chaque commune doit appliquer. Parmi eux, celui qui affirme que « la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision est un préalable de société démocratique en la rendant plus représentative » et celui qui exige « d’intégrer la dimension « genre » dans toutes les activités des collectivités et des régions ».

Toutefois, on manque de données ventilées par sexe au niveau local pour estimer la proportion moyenne de femmes dans les instances locales européennes. Par ailleurs, force est de constater que, sur ce thème nouveau dans la problématique égalitaire et dans les préoccupations premières des urbanistes et des élus (même femmes), les choses avancent lentement – même si elles commencent à bouger – et qu’il n’y a pas encore de changements rapides dans l’aménagement des villes.

La situation en France

Quelques mots sur la situation en France. Je ne suis pas moi-même élue locale, je n’ai donc pas d’exemple concret d’action conduite sur le terrain, comme une marche exploratoire, à vous exposer ; nos expertes le feront. Je peux simplement rappeler que la loi sur la parité votée en France en 2000 sous le gouvernement du Premier ministre socialiste Lionel Jospin a permis aux conseils municipaux et aux conseils régionaux – qui sont élus au scrutin de liste à la proportionnelle avec alternance obligatoire un homme-une femme – d’être aujourd’hui quasi paritaires (48,2% en 2014), et ce dans toutes les villes de plus de 1000 habitants; idem dans les intercommunalités. Dans les petites communes, la loi ne s’applique pas et les femmes ne représentent que 35% des élus.

Toutefois, une réserve de taille doit être mise à ce progrès qui a fait passer, en un peu plus de quinze ans, de 20% à 48% la présence des femmes dans ces conseils : elles ne sont toujours que 14% de femmes maires, et 3 seulement de grandes villes de plus de 100 000 habitants, dont Paris. Cela s’explique parce que les têtes de listes sont des hommes : aux dernières élections municipales de 2014, 83 % des têtes de listes (donc des futurs maires) étaient des hommes.

Conclusion

Certes, des progrès dans le monde politique local français ont été faits, mais globalement le poids décisionnel reste en faveur des hommes dans les structures et les partis politiques, même si, pour le sujet qui nous occupe, cette présence des femmes est un atout incontestable. On s’en réjouit sur ce terrain. Mais notons cependant que ce sont justement ces questions sociales, d’égalité entre les sexes, de petite enfance ou encore d’aide aux personnes âgées qui échoient aux femmes dans l’attribution des délégations, quand les hommes continuent de gérer les finances et les grands projets d’investissement.

Rien n’est encore totalement acquis ! La vigilance s’impose.

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