Les Français et la réforme de la justice

Les études d’opinion soulignent régulièrement la défiance des Français à l’égard du système judiciaire et leur sensibilité par rapport aux questions sécuritaires, et par conséquent au fonctionnement de la chaîne pénale. Que pensent les Français des dernières annonces du président de la République en matière de justice ? Marie Gariazzo, directrice des études qualitatives du département « Opinion et stratégies d’entreprise » de l’Ifop, et Chloé Morin, directrice de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, reviennent sur les perceptions de nos concitoyens sur ces perspectives de réforme.

Interrogés sur les principales mesures annoncées par Emmanuel Macron concernant sa réforme de la justice (l’exécution des peines inférieures à six mois hors prison, la fin des aménagements des peines supérieures à un an, la création de 1500 postes supplémentaires de conseillers de réinsertion, la création d’une agence du travail d’intérêt général, etc.), les Français témoignent à ce stade d’une assez grande difficulté à se positionner clairement sur le sujet. Dans un contexte extrêmement chargé en annonces de réformes, et où la réforme pénale s’apparente pour beaucoup à un véritable serpent de mer, à un dossier extrêmement complexe ayant mis en difficulté de nombreux gouvernements, les personnes interrogées semblent manquer d’éléments concrets pour mesurer l’efficacité réelle des mesures proposées : « les cinq derniers présidents ont tous annoncé des mesures pour l’administration de la justice, il en est rarement sorti quelque chose de vraiment efficace ».

Sans doute en raison d’une actualité particulièrement chargée, qui a laissé peu de place au débat, les mesures annoncées sur la justice semblent assez mal mémorisées, comme si chaque nouvelle réforme engagée chassait l’autre, sans permettre aux annonces de laisser une trace dans l’opinion, ni de donner lieu à un véritable débat. Seuls la colère et le mouvement des surveillants de prison relatif à leurs mauvaises conditions de travail sont mentionnés à plusieurs reprises par les personnes interrogées, générant l’attente d’une prise en compte beaucoup plus forte : « ça serait mieux créer de nouveaux postes au sein des prisons pour encadrer les prisonniers, plutôt que dans la réinsertion » ; « une augmentation des gardiens pénitenciers serait plus judicieuse que ce qu’il propose »; « ce serait mieux de prendre en compte les besoins du personnel qui travaille dans les prisons avant de se soucier des prisonniers » ; « je préfèrerais la création de 2000 postes de surveillants de prison ».

Domine, par ailleurs, un certain sentiment de méfiance à l’égard d’une justice extrêmement lente, dont les peines prononcées paraissent souvent en décalage avec les actes commis (« un violeur va avoir un an et quelqu’un qui va se faire prendre pour téléchargement dix ans, il faudrait que les sentences correspondent aux actes, la justice n’est pas assez fiable »…), un problème auquel aucune des mesures annoncées ne tente de répondre selon eux.

En outre, il est intéressant de noter que la prison reste, pour une grande majorité des personnes interrogées (même si les sympathisants de gauche sont plus critiques), LA réponse centrale aux problèmes de sécurité du pays – d’où l’accent mis, par une grande partie des répondants, sur l’importance de construire des prisons et de recruter des surveillants. Les peines alternatives, les travaux d’intérêt général (« développer des travaux d’intérêt général conséquents, pas des vacances ! » ; « mais attention, qui va-t-on laisser dehors ? ») ou les mesures favorisant la réinsertion sont en général regardées avec une grande méfiance, et ce, bien que beaucoup soient conscients des nombreux échecs du système actuel à réinsérer les détenus une fois payée leur dette envers la société.

Par ailleurs, en dépit des très nombreux rapports annuels alertant l’opinion sur les conditions de vie des détenus (surpopulation carcérale, indignité des conditions de détention…), bien peu de personnes évoquent cet aspect du sujet. Cela renvoie à une conception de la peine de prison, qui prévaut très largement dans l’opinion, où l’indignité des conditions ferait partie intégrante d’une punition qui, pourtant, est juridiquement limitée à la privation de liberté. Beaucoup semblent ainsi se focaliser sur la meilleure manière d’isoler les criminels et délinquants du reste de la société, et les conséquences de l’inefficacité des processus de réinsertion restent un point aveugle du débat. Cet état de l’opinion explique sans doute en partie pourquoi, depuis de nombreuses années, il y ait eu peu de tentative réelle et durable d’améliorer les conditions de détention, par manque de soutien politique.

La situation d’opacité qui entoure le sujet renvoie chacun à ses propres arbitrages entre exclusion/réinsertion, entre fermeté/inflexion et – sans doute par défaut de mesure sécuritaire très clinquante comme les « peines plancher » – donne souvent l’impression d’une réforme « homéopathique », « qui manque d’ambition ». Certes, en jouant sur les deux registres, celui de la fermeté à travers le souhait que toute décision de justice soit exécutée, et celui de la réinsertion, par le biais de l’augmentation des travaux d’intérêt général, le « en même temps » macronien fonctionne à plein au sein de son électorat et séduit certains électeurs de gauche voire d’extrême gauche. Pour eux, ces mesures « vont plutôt dans le bon sens » et ils « attendent de voir » les résultats obtenus, en espérant que les moyens accordés seront à la hauteur.

Le recours aux travaux d’intérêt général séduit une large partie de ces électeurs, à la fois perçu comme un moyen judicieux pour lutter contre les risques d’une plus grande criminalisation en prison et donc contre les risques de récidive (« c’est mieux de permettre le « rachat » du fautif par un travail d’intérêt général plutôt que de risquer le voir devenu dépendant de prisonniers dangereux » ; « la répression peur entraîner la récidive ») mais aussi comme une piste de solution efficace pour désengorger les prisons.

À l’opposé, les autres segments électoraux ont tendance à se focaliser sur les mesures qui leur conviennent le moins. Beaucoup, notamment à droite et à l’extrême droite, regrettent le laxisme qu’ils perçoivent, dont ils redoutent les effets en matière de récidive et de délinquance : « une peine doit être sévère sinon pourquoi ne pas recommencer » ; « c’est la porte ouverte à la dépénalisation d’un acte, car il n’y a pas de répression » ; « ces mesures vont encourager la petite délinquance ». Les mesures proposées en matière de réinsertion constituent également pour certains une « attention portée aux prisonniers » qui les heurte dans une logique de « concurrence » : « les personnes âgées sont plus mal installées dans les maisons de retraite que les délinquants dans les prisons » ; « ils font des études, on leur paie leur permis, on leur fournit une voiture et nous on galère pour tout payer ». Le fait d’exécuter toutes les peines au-delà d’une certaine durée, qui aurait pu plaire à cet électorat en attente de fermeté, ne semble pas à ce stade avoir surmonté le mur de défiance de cet électorat vis-à-vis du gouvernement dans ce domaine.

Compte tenu de la nature hautement inflammable et technique du sujet pour l’opinion, le principal défi pour le gouvernement est certainement de faire comprendre l’équilibre du « en même temps », entre réinsertion/accompagnement et sévérité, et ce d’autant plus que les questions de justice et de sécurité font toujours l’objet d’un clivage gauche-droite net et visible dans les réponses recueillies à notre enquête. Le principal risque pour le gouvernement, à court et moyen terme, sera sans doute que ne soient retenues que quelques mesures symboliques venant nourrir les critiques en « laxisme ». 

 

Méthodologie : Question ouverte posée par l’Ifop à un échantillon national représentatif de Français, sur le système judiciaire et leur perception des réformes envisagées dans ce domaine.

Des mêmes auteurs

Sur le même thème