Les violences sexistes et sexuelles contre les femmes et les filles en situation de handicap

Afin de mettre en lumière le fléau des violences sexistes et sexuelles, ainsi que leur lien avec les inégalités fondées sur le genre, la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) se sont associées pour une série de publications portant sur la lutte pour l’élimination des violences sexistes et sexuelles. Dans celle-ci, Pirrko Mahlamäki, secrétaire générale du Forum finlandais des personnes handicapées, membre de l’Observatoire du Lobby européen des femmes sur les violences envers les femmes et de son conseil d’administration, alerte sur les violences dont les femmes en situation de handicap sont victimes et soumet des recommandations pour une meilleure prise en compte de leurs besoins, qui plus est dans le contexte de la crise sanitaire qui les a encore plus fragilisées.

Chaque publication se penche sur un aspect spécifique des violences sexistes, en reconnaissant l’intersection de la question de genre avec d’autres facteurs d’identité ou d’appartenance comme l’ethnie, la nationalité, l’orientation sexuelle, les croyances religieuses, le handicap ou encore le statut économique.

Tout le monde sait que les femmes représentent la moitié de la population. Mais saviez-vous que 16% d’entre elles présentent au moins une forme ou une autre de handicap ? En effet, l’Union européenne (UE) compte 60 millions de femmes et de filles handicapées, soit l’équivalent de la population totale de l’Italie. Si toutes les femmes rencontrent des obstacles importants liés aux inégalités fondées sur le genre ou au sexisme, celles en situation de handicap sont confrontées à des formes d’inégalités croisées et multidimensionnelles dans tous les aspects de leur vie, des discriminations socio-économiques à l’isolement social, en passant par les violences sexistes et sexuelles, la stérilisation et l’avortement forcés, le manque d’accès aux services publics, à un logement décent ou à des soins de santé de qualité, ou encore l’impossibilité de contribuer activement à une vie citoyenne. Les données disponibles indiquent que les violences sexistes et sexuelles les affectent dans des proportions beaucoup plus importantes que la plupart des autres femmes. Le handicap ne protège pas les femmes contre les actes de violence, pas plus qu’il ne les empêche. Le tabou et le silence profond qui entourent cette question doivent enfin être brisés. Nous devons écouter les femmes et leurs expériences diverses. Il nous faut, de plus, améliorer la coopération avec les organisations représentant les femmes et les filles en situation de handicap, et contribuer davantage à l’élaboration de la législation et des politiques, notamment en ce qui concerne l’accès à la justice et aux mécanismes de soutien aux victimes.

Les violences dirigées contre les femmes au motif que ce sont des femmes

D’après le droit international relatif aux droits humains, et notamment les jalons posés par la CEDEF, les violences sont considérées comme étant fondées sur le genre lorsqu’elles sont dirigées contre une femme au motif qu’elle est une femme ou lorsqu’elles affectent les femmes de manière disproportionnée, constituant ainsi une violation de leurs droits humains.


L’acronyme CEDEF est tellement familier aux militants pour l’égalité des sexes qu’il n’est pas inutile de rappeler ce que les Nations unies ont décrété il y a quarante ans et de réfléchir au chemin qu’il reste à parcourir pour enfin atteindre l’objectif de supprimer toutes les formes de discriminations exercées contre les femmes au motif qu’elles sont des femmes. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) a d’abord été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies et est entrée en vigueur sous la forme d’un traité international le 3 septembre 1981. Au moment de son dixième anniversaire, 99 pays s’étaient engagés à respecter ses clauses. 

La Convention était l’aboutissement de plus de trente années de travail de la Commission de la condition de la femme, organe fondé en 1946 par les Nations unies pour examiner la situation des femmes et promouvoir leurs droits. Les travaux de la Commission avaient contribué à mettre en évidence tous les domaines dans lesquels les femmes se voyaient discriminées. Ces efforts en faveur de la cause des femmes ont trouvé leur expression concrète dans plusieurs déclarations et conventions, et notamment dans la CEDEF, qui est l’instrument juridique fondamental le plus complet.

La Convention occupe une place importante parmi les traités internationaux relatifs aux droits humains, car elle rappelle les droits inaliénables des femmes, moitié de la population mondiale. L’esprit de la Convention s’inspire des principes fondamentaux des Nations unies qui ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits humains fondamentaux, dans la dignité et la valeur de la personne humaine et dans l’égalité des droits entre les femmes et les hommes. En analysant en détail la signification de la notion d’égalité et les moyens de l’atteindre, la Convention, en plus d’être une déclaration internationale des droits des femmes, énonce aussi un programme d’action pour que les États parties garantissent l’exercice de ces droits.

Dans son préambule, la Convention reconnaît explicitement que « la discrimination généralisée contre les femmes existe toujours » et souligne qu’une telle discrimination « viole les principes de l’égalité des droits et du respect de la dignité humaine ». D’après l’article premier de la Convention, l’expression « discrimination à l’égard des femmes » vise « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ».


D’après les données disponibles, il apparaît que les femmes et les filles en situation de handicap sont confrontées à des obstacles dans presque tous les secteurs de leur vie. Ces obstacles créent des situations de discriminations multiples et croisées contre les femmes et les filles handicapées, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation, aux opportunités économiques, aux interactions sociales et à la justice, la reconnaissance en tant que personnalité juridique dans des conditions d’égalité, ainsi que la capacité à participer à la vie politique et à exercer un contrôle sur leur vie dans toute une série de contextes.

La violence contre les femmes en situation de handicap est bien trop répandue, mais ne commence que lentement à être reconnue. Le handicap ne protège pas une femme contre les actes de violence sexiste et sexuelle. En réalité, les données indiquent que les femmes handicapées sont même plus exposées à cette forme de violence :

  • les femmes et les filles en situation de handicap sont deux à cinq fois plus susceptibles de subir des violences que les autres femmes ; 
  • 6 femmes vivant avec un handicap mental sur 10 disent avoir été victimes d’agressions sexuelles ;
  • 34% des femmes souffrant d’un problème de santé ou d’un handicap ont subi des violences physiques ou sexuelles commises par un partenaire au cours de leur vie ;
  • la stérilisation des femmes handicapées sans information préalable ni consentement est une forme de violence répandue, qui touche en particulier les membres de minorités ethniques telles que les femmes roms. 

En 2017, le Forum européen des personnes handicapées et la Fundación CERMI ont publié un rapport appelant à mettre fin à la stérilisation forcée des femmes et des filles handicapées. Il est important de noter que l’article 39 de la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la stérilisation forcée établit que le fait de pratiquer une intervention chirurgicale mettant fin à la capacité d’une femme de se reproduire naturellement sans son accord préalable et éclairé constitue un crime. 

Les femmes handicapées qui vivent dans des institutions se trouvent dans une situation particulièrement vulnérable. Des mesures supplémentaires doivent être mises en place pour les protéger, notamment en modifiant les législations et les procédures de façon à leur garantir un accès égal à la justice. 

Jusqu’à récemment, les traités internationaux sur les droits humains ne reconnaissaient généralement pas le handicap comme un motif de discrimination. La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 2006 et est entrée en vigueur en mai 2008. Cette Convention est l’un des traités internationaux les plus largement ratifiés. À titre exceptionnel, l’Union européenne a également pu y adhérer en décembre 2010 en qualité d’organisation d’intégration régionale. C’est la première fois qu’un traité dans le domaine des droits humains est ratifié par un organisme régional tel que l’UE et c’est le premier traité international relatif aux droits humains auquel l’UE a adhéré. 

La CIDPH a, à de nombreux égards, ouvert de nouvelles perspectives en ce qui concerne les droits des personnes en situation de handicap. Elle a marqué un changement de paradigme important, passant d’une approche médicale du handicap, axée sur les limites et la possibilité de « soigner » la personne handicapée de façon à l’intégrer dans la « norme », à une approche sociale, où le handicap est le résultat d’une interaction entre une personne présentant une incapacité et les obstacles que lui oppose la société. À ces deux approches vient s’ajouter celle des droits humains, qui reconnaît les personnes handicapées en tant que sujets détenteurs de droits au même titre que les autres et non en tant qu’objets de charité. Ce modèle reconnaît le handicap comme « une composante parmi d’autres de l’identité ».

La CIDPH est innovante en ce qu’elle reconnaît l’existence de discriminations multiples et croisées. Bien que ces formes de discriminations soient de plus en plus reconnues, des enquêtes récentes montrent que la plupart des pays n’en tiennent pas encore compte lorsqu’ils mettent en œuvre leurs obligations dans le domaine des droits humains.

La Convention reconnaît que les femmes et les filles handicapées sont exposées à de multiples discriminations (article 6) et qu’elles sont plus vulnérables face à la violence, ce qui nécessite de prendre des mesures appropriées pour prévenir toutes les formes de violences fondées sur le genre et le handicap, notamment par des services d’aide, de protection et d’accompagnement (article 16). 

Dans les observations finales du Comité CDPH de l’ONU à l’Union européenne  publiées en 2015, le Comité appelle l’UE à accéder à la Convention d’Istanbul afin de protéger les femmes et les filles avec un handicap de la violence :  

« Le Comité recommande à l’UE d’intégrer les questions relatives aux droits des femmes et des filles handicapées dans ses futures stratégies, politiques et programmes de promotion de l’égalité de genre, et une perspective de genre dans ses stratégies relatives au handicap. Il lui recommande également de mettre au point des mesures d’action positive en vue de promouvoir les droits des femmes et des filles handicapées, de mettre en place un mécanisme pour suivre les progrès accomplis et de financer la collecte de données et les recherches concernant cette catégorie de personnes. Le Comité lui recommande en outre d’adhérer à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique pour progresser dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles handicapées. » (paragraphe 21)

La Convention d’Istanbul

Si la CIDPH est de portée internationale, la dernière décennie a également vu des évolutions positives en Europe, avec l’apparition de nouveaux instruments juridiques. La Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe est le premier traité européen juridiquement contraignant et le plus complet à ce jour. 

Dans ses observations finales adressées à l’Union européenne en 2015, le Comité CDPH de l’ONU recommandait à l’UE d’adhérer à la Convention d’Istanbul pour progresser dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles handicapées. La Convention d’Istanbul reconnaît que certains groupes de femmes, comme celles en situation de handicap, sont souvent exposés à un risque plus élevé de violence. Elle invite les États signataires à prévenir les discriminations et à adopter des actions positives pour répondre aux besoins spécifiques de ces personnes. 


La Convention d’Istanbul

La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) a été adoptée par le Comité des ministres et ouverte à la signature à Istanbul le 11 mai 2011. La Convention, entrée en vigueur le 1er août 2014, définit la violence à l’égard des femmes comme une violation des droits de l’homme et une forme de discriminations. Premier traité proposant une approche globale pour mettre fin à la violence contre les femmes et les filles, la Convention a pour objectifs :

  • de protéger les femmes contre toutes les formes de violence ; 
  • de prévenir, poursuivre et éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ; 
  • de promouvoir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ; 
  • de soutenir et d’assister les organisations et services répressifs pour qu’ils coopèrent de manière effective afin d’adopter une approche intégrée. 

Elle est axée sur plusieurs domaines, obligeant ses États parties à prendre un certain nombre de mesures pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.À ce jour, tous les États membres de l’UE ont signé la Convention, mais seulement 21 d’entre eux l’ont ratifiée (Allemagne, Autriche, Belgique, Croatie, Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Italie, Irlande, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovénie, Suède). Au total, 34 États membres du Conseil de l’Europe ont ratifié la Convention et 12 autres États l’ont signée sans la ratifier. 

Il est important de noter que la Convention reconnaît la nécessité de faire reposer l’élaboration des politiques sur des données probantes et recommande la collecte de données ventilées selon divers facteurs, parmi lesquels le handicap. Cet accent sur la nécessité de données ventilées est partagé par le Comité CDPH : bon nombre de ses observations mentionnent des lacunes en ce qui concerne les données disponibles sur la situation des personnes handicapées. Ces questions importantes se heurtent souvent à une résistance motivée par la protection des données à caractère personnel sensibles, le handicap étant considéré comme une information personnelle sensible liée à la santé. 


Soucieuses de veiller à ce que les expériences spécifiques des femmes handicapées face à la violence soient prises en considération, plusieurs organisations de femmes ont demandé au mécanisme de suivi dit « mécanisme GREVIO » (l’organe spécialisé indépendant chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul) de renforcer ses approches de façon à : 

  • améliorer la recherche et la collecte de données ventilées sur les expériences des femmes handicapées face à la violence et sur leur accès à la protection, à une assistance et à la justice ; 
  • mettre en place des campagnes de sensibilisation et des actions de prévention incluant les femmes handicapées ou spécifiquement axées sur ces dernières ; 
  • assurer la disponibilité de services, et notamment d’établissements d’accueil, tenant compte des besoins spécifiques des femmes en situation de handicap ; 
  • fournir des informations accessibles sur les droits des femmes et sur les moyens de signaler des infractions pour les femmes présentant des déficiences psychosociales, intellectuelles ou sensorielles ; 
  • former le personnel de la justice et des forces de police à aider les femmes présentant des déficiences sensorielles ou intellectuelles qui ont fait l’objet de violences ou fournir des instruments de communication adaptés à ces femmes, autres que le langage verbal.

La discrimination peut prendre de nombreuses formes, dont certaines sont très difficiles à reconnaître et à combattre efficacement. On distingue notamment : 

  • la discrimination directe ou indirecte ; 
  • la discrimination par association ; 
  • le refus d’aménagement raisonnable ; 
  • la discrimination structurelle ou systémique. 

Il y a discrimination directe lorsque les femmes handicapées sont traitées moins favorablement qu’une autre personne dans les mêmes circonstances, en raison de son handicap, de son sexe ou de toute autre caractéristique protégée par la loi. Ainsi, il y a discrimination directe lorsque les témoignages de femmes présentant un handicap intellectuel ou psychosocial sont rejetées dans le cadre de procédures judiciaires et que leur capacité juridique est mise en cause, ce qui revient à priver ces femmes de l’accès à la justice et de recours utiles en tant que victimes de violences. 

On parle de discrimination indirecte dans le cas de lois, de politiques ou de pratiques qui semblent a priori neutres, mais qui ont un effet préjudiciable disproportionné sur les femmes handicapées. Par exemple, les établissements de soins de santé peuvent sembler neutres, mais ils exercent une discrimination lorsqu’ils n’offrent pas la possibilité de procéder aux examens gynécologiques sur des tables d’examen médical accessibles. 

Il y a discrimination par association lorsqu’une personne subit une discrimination en raison de son association avec une personne handicapée. Les femmes pourvoyeuses de soins subissent souvent une discrimination par association. Par exemple, la mère d’un enfant handicapé peut être victime d’une discrimination exercée par un employeur potentiel qui craint qu’elle soit moins disponible sur le plan professionnel à cause de son enfant.

Le refus d’aménagement raisonnable est une discrimination qui se produit lorsqu’il est refusé d’apporter des modifications et ajustements nécessaires et appropriés (n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue), bien qu’ils soient nécessaires pour assurer aux femmes handicapées la jouissance sur la base de l’égalité avec les autres de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales (CIDPH). Par exemple, une femme handicapée peut se heurter à un refus d’aménagement raisonnable s’il lui est impossible de faire pratiquer une mammographie dans un centre de santé parce que le bâtiment lui est physiquement inaccessible.

La discrimination structurelle ou systémique correspond à l’ensemble des schémas cachés ou manifestes de discrimination dans les comportements institutionnels, les traditions culturelles et les normes et règles sociales. 

Les préjugés préjudiciables à l’égard des femmes et à l’égard des personnes handicapées, qui peuvent conduire à une telle discrimination, sont étroitement liés à l’absence de politiques, de règlements et de services spécialement conçus pour les femmes handicapées. Par exemple, en raison de stéréotypes reposant tout à la fois sur le genre et le handicap, les femmes handicapées peuvent, lorsqu’elles signalent des violences, se heurter à des obstacles tels que l’incrédulité de la police, des procureurs et des tribunaux, ou le rejet de leur plainte. 

De même, les pratiques préjudiciables sont fortement liées aux rôles dévolus à l’homme et à la femme par la société et aux rapports de pouvoir qui peuvent traduire des conceptions négatives ou des croyances discriminatoires à l’égard des femmes handicapées, et viennent les renforcer, notamment la croyance selon laquelle les hommes vivant avec le VIH/sida peuvent se guérir en ayant des rapports sexuels avec des femmes handicapées. L’ignorance, le manque de formations et le défaut de politiques pour prévenir les stéréotypes préjudiciables relatifs aux femmes handicapées de la part d’agents de l’État, qu’ils soient enseignants, prestataires de services de santé, fonctionnaires de police, procureurs ou juges, ou de la part du public en général, peuvent souvent conduire à des violations des droits.

Enfin, une discrimination multiple désigne une situation dans laquelle une personne subit une discrimination fondée sur deux facteurs ou plus. Il y a discriminations croisées lorsque plusieurs facteurs se recoupent jusqu’à devenir indissociables. 

Nous devons lutter contre la discrimination structurelle et indirecte et prendre en considération les relations de pouvoir dans la société. Pour y arriver, nous devons nous concentrer sur la mise en place d’une égalité réelle. Cette dernière reconnaît que le « dilemme de la différence » renvoie à la nécessité d’ignorer et de reconnaître à la fois les différences entre les êtres humains pour parvenir à l’égalité. 

Pour progresser, nous avons besoin d’un nouveau modèle d’égalité visant à l’établissement d’une égalité transformatrice ou inclusive. Il s’agit d’un modèle qui reconnaît que les individus, de manière générale, subissent des discriminations en tant que membres d’un ou plusieurs groupes sociaux et que ces groupes ne sont pas homogènes.

L’égalité inclusive est un nouveau modèle d’égalité défini dans la Convention d’Istanbul. Fondée sur un modèle d’égalité réelle, l’égalité inclusive élargit la notion d’égalité en reconnaissant la nécessité de lutter contre la stigmatisation, les stéréotypes, les préjugés et la violence, ainsi que de consacrer la dignité des êtres humains et leurs points communs.

Le rapport de la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits des personnes handicapées sur la santé et les droits des filles et des jeunes femmes handicapées en matière de sexualité et de procréation met en évidence les risques accrus auxquels ces femmes sont exposées. Les enfants handicapés ont presque quatre fois plus de risques d’être victimes de violences que les enfants non handicapés. Cependant, ces risques sont beaucoup plus importants pour les filles sourdes, aveugles et autistes et celles qui sont atteintes de déficiences intellectuelles, de handicaps psychosociaux ou de déficiences multiples. Les violences sexuelles ne sont pas toujours signalées, encore moins lorsque la victime est handicapée, comme le dénonce le paragraphe 36 du rapport :

« lorsque celles qui survivent à la violence sexuelle signalent ces faits et sollicitent l’assistance ou la protection des autorités judiciaires ou de police, leur témoignage, en particulier celui des filles et femmes présentant une déficience intellectuelle, n’est généralement pas reconnu comme crédible et il est rejeté, ce qui permet aux auteurs d’échapper à la justice ». 

De plus, le manque d’accessibilité et d’équipements d’accueil et d’aménagements de la procédure (par exemple, la traduction en langage des signes, des formes alternatives de communication et des services d’appui adaptés à l’âge et au sexe de ces personnes) crée souvent des obstacles physiques et de communication dans le système judiciaire, qui, à leur tour, entravent l’accès des filles et des jeunes femmes handicapées à la justice et compromettent leur capacité de demander et d’obtenir réparation. Comme le souligne le rapport de l’ONU (paragraphe 37) : « […] compte tenu des préjugés et stéréotypes précités, les tribunaux ne tiennent souvent pas compte des témoignages des filles et des jeunes femmes handicapées dans les affaires de violences sexuelles et remettent en cause le fait que les personnes atteintes de déficiences intellectuelles puissent comprendre le sens du témoignage sous serment ou rejettent les témoignages des aveugles qui ne seraient pas « capables » de comprendre ou de percevoir la séquence des événements. »

Trouver des solutions : que faut-il changer pour lutter efficacement contre la discrimination ? 

Pour progresser, nous avons besoin d’un nouveau modèle d’égalité visant à l’établissement d’une égalité transformatrice ou inclusive. Il s’agit d’un modèle qui reconnaît que les individus, de manière générale, subissent des discriminations en tant que membres d’un ou plusieurs groupes sociaux et que ces groupes ne sont pas homogènes.

L’égalité inclusive est un nouveau modèle d’égalité défini dans la Convention d’Istanbul. Fondée sur un modèle d’égalité réelle, l’égalité inclusive élargit la notion d’égalité en reconnaissant la nécessité de lutter contre la stigmatisation, les stéréotypes, les préjugés et la violence, ainsi que de consacrer la dignité des êtres humains et leurs points communs. Un problème aussi complexe requiert des solutions à différents niveaux.

  1. Changer les lois. Le premier niveau concerne la législation. Nous pouvons lutter contre la discrimination multiple en abrogeant les lois, les politiques et les pratiques discriminatoires qui empêchent les femmes handicapées d’exercer la totalité de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales, ce qui constituerait une première étape importante. Nous devons également adopter les lois, les politiques et les mesures appropriées pour garantir que toutes les politiques tiennent compte des droits des femmes handicapées.
  2. Lever les obstacles qui empêchent la participation et l’inclusion des femmes handicapées. Les changements législatifs sont nécessaires pour faire évoluer la situation, mais cela ne suffit pas. Nous devons lever tous les obstacles qui empêchent ou limitent la participation des femmes handicapées, en faisant en sorte que celles-ci participent, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent, à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi de tous les programmes qui ont une incidence sur leur vie.
  3. Repenser la manière d’élaborer les politiques et les budgets. Appliquer une perspective de genre ne se limite pas à cocher une case quelque part. Cela nécessite de changer les procédures, notamment en ce qui concerne l’affectation des budgets et des ressources. 
  4. Former les professionnels à la question du genre pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et les discriminations. La sensibilisation et la formation des professionnels sont des éléments qui figurent dans la plupart des boîtes à outils pour la promotion de l’égalité. Dès lors qu’il est question de violences perpétrées à l’encontre de femmes handicapées, la principale difficulté consiste à briser le mur de silence et les tabous qui entourent la sexualité des femmes en situation de handicap. Cette étape est particulièrement importante pour que les victimes de violence puissent recevoir un soutien efficace. Par ailleurs, il reste beaucoup à faire en ce qui concerne la formation des professionnels du droit et de la justice.

Expériences pendant la pandémie de Covid-19: une pandémie concomitante de violences

Les années 2020 et 2021 devaient être l’occasion de célébrer les anniversaires de plusieurs moments importants dans la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes : la déclaration de Pékin et la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF). Malheureusement, on s’en souviendra comme les années durant lesquelles la pandémie a frappé le monde, causant beaucoup de pertes et de douleur. Les effets de la pandémie de Covid-19 ont été dévastateurs à de nombreux égards. La montée en flèche de cas de violence domestique et conjugale a mis en lumière la nécessité de mettre en place des mécanismes de soutien, des établissements d’accueil, des permanences téléphoniques spécialisées et d’autres services pour aider les femmes prises au piège dans leur propre foyer à cause des mesures de confinement ou du fait de la perte de leur emploi. Cette réalité effroyable a été reconnue par les instances internationales.

Cependant, il reste à voir le montant, sur les milliards d’euros, de dollars et d’autres devises qui sont aujourd’hui débloqués pour tenter de relancer les économies dévastées, qui sera effectivement consacré à la mise en place de services communautaires d’aide pour les victimes de violences sexistes et sexuelles. Il incombe aux mouvements féministes à travers le monde de faire front pour veiller à ce que la relance profite aussi aux femmes.

Le Forum européen des personnes handicapées attire l’attention sur le fait que les conséquences les plus dévastatrices de la pandémie ont été observées dans les institutions résidentielles spécialisées, qui se sont transformées en foyers d’infection et que, malgré cela, les personnes vivant dans ces institutions ont, dans de nombreux cas, été négligées ou considérées comme moins importantes par les autorités publiques, laissées sans protection ou même sans soins, en conséquence de quoi la moitié des décès liés à la pandémie ont eu lieu dans ces institutions.

Il convient de souligner, de plus, les effets néfastes sur la santé mentale provoqués par l’isolement extrême dans lequel de nombreuses personnes handicapées ont été placées dans le but d’endiguer l’infection.

Il est important de comprendre que les mesures de prévention telles que la distanciation sociale compliquent l’accès des personnes handicapées aux services d’aide dont ils ont besoin dans leurs activités quotidiennes (assistance personnelle, soins, interprétation tactile pour les personnes sourdes-aveugles, etc.) et que la pandémie a provoqué l’interruption de services publics et privés essentiels pour les personnes en situation de handicap.

La pandémie a aggravé les formes croisées de discrimination contre les groupes marginalisés, comme les femmes et les filles handicapées, les personnes âgées présentant des déficiences, les personnes handicapées vivant dans la pauvreté et sans logement, les demandeurs d’asile et les réfugiés souffrant d’un handicap, les personnes handicapées racisées, les personnes LGBTIQ+ en situation de handicap et les personnes handicapées en prison ou dans tout autre établissement fermé.

Une relance inclusive et transparente

La facilité pour la reprise et la résilience (FRR) est le principal mécanisme de financement mis en place par l’Union européenne pour atténuer les effets sociaux et économiques de la pandémie de Covid-19. Elle apportera jusqu’à 672,5 milliards d’euros pour soutenir les investissements et les réformes entrepris par les États membres dans le but de rendre leurs économies plus résilientes et mieux préparées à l’avenir. La manière dont cet argent sera dépensé est en grande partie décidée par les États membres eux-mêmes et doit être exposée dans les plans nationaux pour la reprise et la résilience (PRR) soumis à la Commission pour approbation. 

La pandémie a eu un effet disproportionné sur les personnes en situation de handicap, et ce dans tous les aspects de leur vie. Les risques d’infection et les taux de mortalité sont plus élevés au sein de cette population et certaines personnes se sont vu refuser l’accès à des soins d’urgence en raison de leur handicap. De nombreuses personnes handicapées ont perdu leur emploi, subi l’interruption de services de soutien indispensables à leur bien-être, rencontré des obstacles supplémentaires en matière d’accessibilité et n’ont pas suffisamment été prises en considération dans les efforts visant à assurer une éducation en ligne accessible à tous.

Aujourd’hui plus que jamais, il est urgent d’aider les personnes handicapées en facilitant leur accès à l’emploi, à une éducation accessible et inclusive, ainsi qu’à une protection sociale qui puisse les prémunir du risque de pauvreté, en particulier les femmes en situation de handicap. 

Les fonds de la FRR devraient permettre de : 

  • investir dans des domaines tels que l’accessibilité des transports et des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour faciliter l’inclusion sociale et économique pour tous et le développement durable en Europe et dans le monde ; 
  • investir dans la fourniture de services publics permettant aux personnes handicapées de trouver des alternatives aux soins en institution ;
  • réformer la manière dont l’aide est apportée aux personnes handicapées pour faciliter l’inclusion dans la société et offrir plus d’options d’aide personnelle ;
  • veiller à ce que les réformes, surtout dans le domaine de la numérisation, comme la généralisation des services en ligne, soient pleinement conformes aux exigences de l’acte européen sur l’accessibilité ;
  • faire de l’apprentissage en ligne une priorité claire, en veillant néanmoins à ce que tous les types de formats et de matériel pédagogique puissent être utilisés par les apprenants, enseignants et parents en situation de handicap ;
  • favoriser la relance économique post-pandémie en investissant dans la formation et l’emploi pour les personnes les plus exclues du marché du travail ; 
  • créer des possibilités d’emploi pour les personnes en situation de handicap, et en particulier les femmes ; 
  • entreprendre des réformes de façon à ce que le travail rémunéré puisse être compatible avec les indemnités d’invalidité, ceci afin de réduire le risque de pauvreté auquel sont confrontées les personnes handicapées.     

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