Municipales sous épidémie

Dans le cadre du dossier que la Fondation consacre au décryptage du premier tour des élections municipales du 15 mars dernier – alors que le Premier ministre vient d’annoncer la tenue du second le 28 juin prochain –, Hervé Le Bras revient sur les liens entre abstention, participation et épidémie, et montre qu’il n’y pas, selon lui, de liens entre aggravation de l’épidémie et maintien du premier tour.

Épidémie et abstention

Au premier tour des élections communales de 2014, 36,4% des électeurs n’avaient pas voté. En 2020, ce pourcentage a fait un bond à 55,4%. Dans un sondage effectué le jour du vote, 40% des futurs abstentionnistes donnaient pour raison la peur d’attraper le Covid-19 en se déplaçant. De 1989 à 2014, le pourcentage d’abstentionnistes avait augmenté assez régulièrement, passant de 27% à 36,4%, soit 2,5% de plus d’une élection municipale à la suivante. Si l’évolution se poursuivait au même rythme, on pouvait s’attendre à un taux d’abstention de 39%. Les 16,4% supplémentaires sont donc en grande partie imputables à la menace épidémique. Dans ces conditions, examiner les résultats, commune par commune, livre d’importantes informations, non seulement sur l’évolution de l’attitude politique des Français, mais aussi sur leur crainte de la contagion.

La cartographie du taux d’abstention est cependant insuffisante car il existe d’importantes différences locales de participation qui se manifestent à chaque élection. D’une élection municipale à la suivante, ces différences qui tiennent à l’histoire, à la structure sociale, au passé politique varient assez peu. Pour saisir l’impact de l’épidémie sur le vote, il faut donc se pencher sur l’augmentation de l’abstention entre 2014 et 2020, commune par commune.

La carte de la figure 1 en donne la géographie (après un léger lissage pour atténuer les fluctuations locales).

 

Figure 1-1. Différence entre les pourcentages d’abstentionnistes en 2014 et en 2020 aux élections municipales

 

Entre éloignement et hôpital

Juste avant le scrutin, il existait quatre épicentres de l’épidémie, Mulhouse, Creil, Ajaccio et Auray. Clairement, l’abstention a été plus forte qu’ailleurs dans toute l’Alsace et dans les montagnes des Vosges, mais, au-delà, en Lorraine et en Champagne, l’augmentation devient l’une des plus faibles de toute la France. De même, en Corse, les alentours d’Ajaccio sont fortement touchés, mais, au-delà de trente kilomètres, l’abstention a moins progressé que la moyenne nationale. Quant à Auray et Creil, rien ne les distingue de l’ensemble de leur région. On ne peut donc pas conclure que le niveau d’abstention s’est élevé en fonction du risque couru. D’ailleurs, dans la plus grande partie de l’Ouest où la proportion de personnes contaminées était l’une des plus faibles, l’abstention a augmenté beaucoup plus que la moyenne.

Quelle est alors la raison des fortes différences régionales ? La géographie qui apparaît est bien connue. C’est celle des zones de plus faible densité, et celles où la population continue de diminuer, le résidu du fameux « désert français » dénoncé par Jean-François Gravier dans son ouvrage de 1947. Mécaniquement, une faible densité rend plus rares les rencontres donc les risques de contagion. Il faudrait imaginer que les électeurs en aient conscience. Mais les zones dépeuplées concentrent d’autres particularités qui peuvent aussi expliquer une moindre appréhension de l’épidémie. Outre les montagnes, on retrouve effectivement la célèbre « diagonale du vide » qui a déjà fait parler d’elle quelques mois auparavant car c’est là que se concentrait le mécontentement des « gilets jaunes ». Faible population et dépopulation vont, en effet, de pair avec la disparition des services locaux et donc la nécessité de parcourir des distances importantes pour en trouver qui se maintiennent. Une autre caractéristique plus mystérieuse de la « diagonale du vide » est la surmortalité, non pas la proportion de décès mais la plus faible espérance de vie qui est indépendante de la structure par âge.

La relation entre ces facteurs et la moindre augmentation de l’abstention n’est pas simple. L’individualisme qui a caractérisé les « gilets jaunes » peut les pousser à moins tenir compte des obligations comme celle du confinement. On peut aussi penser qu’ils ont voulu voter pour exprimer leur mécontentement. Les quelques résultats sur les préférences partisanes ne le montrent cependant pas. Une plus forte mortalité habituelle peut aussi, par comparaison, faire diminuer la crainte du coronavirus. Si cette épidémie était apparue au XVIIIe ou au XIXe siècle, il y a fort à parier qu’elle serait passée inaperçue par rapport aux ravages de la peste, de la variole, de la rougeole même, puis du choléra.

 

Figure 1-2. Différence des pourcentages d’abstentionnistes en 2014 et en 2020 selon la dimension de la commune

 

De toutes ces possibilités, il semble que la plus vraisemblable soit la faible densité. La variation de l’accroissement de l’abstention selon le nombre d’habitants des communes va dans la même direction (figure 2). Alors que dans les communes de moins de 250 habitants, l’abstention a crû de 11%, pour celles de plus de 2500 habitants, l’augmentation se situe autour de 20%, soit près du double, avec une légère diminution dans les plus grosses communes, au-dessus de 25 000 habitants. Plus que la probabilité de rencontre, c’est sans doute la connaissance assez précise de l’état de santé des proches qui en est la cause. Dans un village de moins de 250 habitants, non seulement on possède une vue d’ensemble de ses concitoyens, mais aussi de leurs relations à l’extérieur. Le bureau de vote n’est donc pas un espace anonyme, fréquenté par des inconnus. Si l’on a un doute sur la santé de l’un des habitants, on s’en écarte. La fréquentation est, en outre, beaucoup plus espacée du fait du faible nombre d’électeurs.

Dans les villes et dans les gros bourgs, la plupart des électeurs ne se connaissent pas personnellement et les électeurs inscrits sont nombreux par bureau. Or, l’épidémie est causée par un virus invisible. Plus on se trouve en territoire inconnu, plus on redoute cet ennemi. Dans la « diagonale du vide », l’écart est saisissant entre les petites communes et les villes de quelque importance : hausse de 24% de l’abstention à Chaumont, préfecture de la Haute-Marne, mais seulement de 8,6% dans les petites communes de ce département ; de 26,1% à Brive comparé à 8,7% pour les communes de la Corrèze comptant moins de 250 habitants. On voit sur la carte de la figure 1 de nombreux autres exemples de ce contraste.

Le surplus d’abstention en 2020 par rapport à 2014 n’est toutefois pas toujours plus élevé dans les villes. À l’Ouest, c’est assez souvent l’inverse. Augmentation de 13,9% à Rennes, de 10,7% à Vitré, mais de 14,7% dans les petites communes d’Ille-et-Vilaine. On verra plus loin que la structure du peuplement peut expliquer ces observations contradictoires. Cependant, en règle plus générale, la hausse de l’abstention est plus faible que la moyenne et que leur environnement dans une majorité de grande ville : 15,6% à Toulouse, 14,8% à Lille, 15,8% à Nantes, 17,7% à Strasbourg, 10,2% à Grenoble, 14% à Paris. Il est vraisemblable que la confiance dans les soins soit plus élevée dans ces villes qui disposent d’équipements hospitaliers de grande qualité. Par ailleurs, ces villes, en tant que capitales de région, ont plus de moyens et entretiennent aussi un rapport plus direct à la capitale donc aux décisions qui y sont prises. Effectivement, à l’exception de Dijon, le taux d’abstention a moins augmenté dans toutes les capitales régionales.

Politique locale

Jusqu’ici, aucun rapport n’est apparu entre la hausse de l’abstention et la structure démographique, sociale ou partisane. Par exemple, la géographie de la carte 1 n’a pas de rapport avec celle du vieillissement de la population alors que les personnes âgées semblent avoir été plus nombreuses à s’abstenir. Pas de rapport non plus avec le niveau de la pauvreté, ni avec le taux de chômage, ni avec le degré d’éducation de la population. À part une ressemblance avec la géographie des « gilets jaunes », aucune répartition des opinions politiques n’est perceptible de prime abord. Par exemple, les régions où le Rassemblement national (RN) engrange ses meilleurs résultats connaissent soit une forte progression de l’abstention (Alsace, Provence) soit une faible progression (Champagne, Bourgogne) tout comme les régions où le RN est le plus faible (forte progression à l’Ouest, faible progression dans le Massif central). Les géographies habituelles de la gauche et de la droite ne sont pas plus perceptibles que celle du RN.

Pour saisir l’influence de la politique, il faut descendre à un niveau local. Là où l’élection était très disputée et suivie sur le plan national, la progression de l’abstention a été plus faible. Avec 14%, Paris enregistre l’une des hausses les plus faibles parmi les grandes villes. Mais le cas le plus remarquable est celui du Havre où se présentait le Premier ministre. L’abstention n’y a augmenté que de 7,4% depuis les municipales de 2014, la plus faible valeur parmi les villes de plus de 25 000 habitants. En revanche, ni Lyon ni Marseille ne se sont distinguées, peut-être à cause d’une plus faible visibilité nationale ou d’une profusion de listes, assez difficile à déchiffrer.

On aperçoit à l’ouest des Côtes-d’Armor une autre trace d’un événement politique assez récent. L’abstention a moins augmenté dans le Huelgoat où le Parti communiste avait obtenu des scores importants jusqu’en 1981, puis où la révolte des « bonnets rouges » s’était développée. Ainsi, les zones de force de deux manifestations de rejet de la démocratie représentative, les « gilets jaunes » et les « bonnets rouges », s’avèrent paradoxalement avoir gardé plus de confiance que la moyenne dans l’élection des conseils municipaux, peut-être parce qu’ils y perçoivent un élément de démocratie directe ou plus directe que celle des corps nationaux.

Il ne faut pas s’étonner non plus de voir les contrastes territoriaux l’emporter sur les différences sociales, économiques et politiques puisqu’avec une carte, on chausse des lunettes géographiques. Dans un sondage où, au contraire, ce sont les lunettes socioéconomiques et politiques qui sont employées, les différences géographiques deviennent imperceptibles, sauf à utiliser d’énormes échantillons.

Les changements de répartition qui viennent d’être analysés ont-ils transformé la géographie de l’abstention, ce qui paraît plausible étant donné leur ampleur puisque la baisse de la participation varie de 12% dans le Cantal à 24% dans le Maine-et-Loire ? C’est ce qu’il faut chercher à voir maintenant. Au-delà de l’impact de l’épidémie, cela questionnera la stabilité géographique de la participation électorale sur le moyen terme et même sur le long terme.

Transformations politiques

La hausse importante de l’abstention a modifié sa répartition sur le territoire donc sa signification politique. On vient de voir que le changement a eu deux composantes dans l’espace, l’une selon la localisation géographique et l’autre selon la taille de la commune. Les deux variations ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. On peut le vérifier en cartographiant le niveau d’abstention selon la taille de la commune (figure 3).

 

Figure 1-3. Pourcentage d’abstentionnistes aux élections municipales de 2020 par département selon la dimension de la commune

 

La France est coupée en deux par une ligne qui part de Bordeaux, suit la limite du Massif central par le nord, redescend dans la vallée du Rhône et se termine au nord de la Provence. Au sud de cette ligne, l’abstention est plus faible que la moyenne quelle que soit la population des communes. Au Nord, les plus forts pourcentages d’abstention basculent de l’ouest à l’est à mesure que la taille des communes s’accroît (les communes de plus de 10 000 habitants n’ont pas été prises en compte car, trop peu nombreuses par département, l’abstention y dépend souvent des listes en présence).

Le niveau très élevé d’abstention à l’Ouest entre les vallées de la Seine et de la Loire ne correspond pas à une tendance politique connue ni à une particularité sociale ou anthropologique des populations. Il ne s’agit pas non plus d’un hasard car de larges zones homogènes apparaissent sur les cartes, particulièrement pour les plus petites communes. Comment et pourquoi les communes de cette zone ouest se sont-elles donné le mot pour ne pas se rendre aux urnes ? La seule géographie qui ait quelque ressemblance avec cette répartition est celle du vote en faveur de François Fillon au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. On ne saisit cependant pas en quoi ces électeurs seraient plus enclins à déserter les isoloirs. Au contraire, le virage à droite de La République en marche (LREM) devrait les conforter.

En revanche, la raison des plus fortes participations en Bretagne et dans tout le Massif central est plus simple : ce sont les régions où les agriculteurs se sont maintenus le plus tardivement. Elles restent imprégnées d’une culture rurale où traditionnellement la participation était élevée. Le renforcement de l’abstention sur toute la frontière à mesure que la population communale devient plus nombreuse correspond à une figure traditionnelle. Dès la IIIe République, la participation a été plus faible que la moyenne dans ces régions.

La question semble donc posée d’une transformation de la pratique électorale, au moins dans un large secteur du pays. La différence entre les cartes de l’abstention pour les petites communes et pour les petites villes (de 5000 à 10 000 habitants) n’est pour le moment pas explicable. Pour y voir plus clair, il faut se pencher sur l’évolution au cours du temps de l’abstention dans ces deux types de communes.

Dynamique historique de l’abstention

Les trois cartes de la figure 4 représentent le niveau de l’abstention par département aux élections municipales de 2014, de 2020 et au premier tour de l’élection présidentielle de 1995 dans les communes de 5000 à 20 000 habitants. Le choix de 1995 est un peu arbitraire, mais c’est la plus ancienne élection présidentielle pour laquelle on dispose des résultats communaux dans les bases de données du gouvernement et de Sciences Po. L’élection présidentielle est l’opposé politique de l’élection municipale, le chef de la nation contre les chefs des 36 000 communes, mais ce sont les deux élections auxquelles l’abstention est traditionnellement la plus faible, donc pour lesquelles les citoyens se sentent les plus concernés.

Commençons par suivre l’évolution de l’abstention dans les villes petites et moyennes (comptant de 5000 à 20 000 habitants) sur la gauche de la figure 4. L’évolution est graduelle et lente. En 1995, la France est coupée en deux : abstention assez forte au nord de la célèbre ligne Saint-Malo-Genève, en Bourgogne et dans le Sud-Est, abstention assez faible hors de cette zone. Dans la partie Nord-Est et Est, 44 départements sur 48 font partie de ceux qui s’abstiennent le plus. Dans l’autre partie, Sud-Ouest et Ouest, seulement 2 départements (les Charentes) sur 45 ne font pas partie de ceux qui s’abstiennent le moins. Cette géographie est surprenante. La France au nord de la ligne Saint-Malo-Genève avait été qualifiée de « France éclairée » car l’éducation s’y était développée bien plus tôt que sur le reste du territoire. Quant à la France de l’Est, elle est directement sous la menace des voisins contre lesquels elle s’est souvent battue. On aurait imaginé que ces deux raisons renforçaient le civisme et l’adhésion à la Nation.

 

Figure 1-4. Pourcentage d’abstentionnistes à trois élections (présidentielles de 1995, municipales de 2014 et 2020) selon la population de la commune

 

Une vingtaine d’années plus tard, aux élections municipales de 2014, la géographie de l’abstention dans les villes petites et moyennes n’a pas beaucoup changé, mais suffisamment pour faire apparaître un élément très intéressant. L’abstention a reflué relativement en Normandie et en Provence et a progressé tout au nord. La carte qui apparaît maintenant est celle de l’implantation de l’industrie durant les Trente Glorieuses ou, plutôt, de la déception qu’a causée la désindustrialisation. La masse citoyenne qui se rend aux urnes à l’occasion des élections municipales garde un fond rural et agricole, un attachement à la petite patrie. Les ouvriers et les techniciens sont moins enracinés. Leur famille a quitté la terre quelques décennies plus tôt. Ils ont acquis un comportement de classe plus qu’un comportement de lieu. Le maire est, en outre, souvent issu de la bourgeoisie et non de leurs rangs.

La troisième carte, celle de l’abstention au premier tour des récentes élections municipales ressemble à la précédente, mais en diffère un peu à l’ouest. Les départements de cet Ouest profond, Normandie, Maine, Anjou, Touraine, Poitou, Vendée historique ont glissé vers l’abstention plus que les autres. Ce n’est pas là que le coronavirus attaquait. L’orientation électorale de cette partie de la France se singularise de temps à autre. Elle a suivi Pierre Poujade en 1954 et en 1956, elle a voté pour Jean Royer à l’élection présidentielle de 1974, puis pour Philippe de Villiers à partir de 1995. Elle a plébiscité François Fillon lors de la primaire de la droite qui l’a intronisé en 2016. Dans son étude du mouvement poujadiste, Stanley Hoffmann l’avait décrite comme une France assez riche, mais en retard sur les mœurs de son époque. À une droite libérale et ouverte sur les questions morales s’oppose depuis longtemps une droite hostile aussi bien au libéralisme qu’au centralisme et encore plus à l’évolution des mœurs. Cette dernière n’est pas du tout séduite par Emmanuel Macron qui représente l’archétype de l’autre droite, celle qu’elle déteste ; elle ne va pas non plus voter à gauche, ni à l’extrême droite, elle s’abstient alors.

Passons à l’abstention dans les plus petites communes, celles qui comptent moins de 250 habitants. Elles sont intéressantes d’un point de vue statistique, car très nombreuses, ce qui réduit l’influence des particularités de telle ou telle d’entre elles. Leur évolution est radicalement différente de celle des villes petites et moyennes. En 1995, le Sud, particulièrement le Sud-Est, s’abstient plus que la moyenne. À l’opposé, on trouve les plus fortes participations au Nord-Ouest. En 2014, la répartition de l’abstention est presque inversée par rapport à 1995. Désormais, l’abstention est beaucoup plus importante dans la moitié nord de la France, à l’exception de la Bretagne, de la Lorraine et de la Franche-Comté. Six années plus tard, aux récentes élections municipales, la répartition est restée pratiquement la même. Sur les 21 départements qui se sont le plus abstenus, 18 se trouvent dans le quart nord-ouest dans un rectangle ayant pour sommet La Rochelle, Nevers, Laon et Cherbourg. On a reconnu plus haut que l’interprétation de cette répartition selon des critères politiques, sociaux ou historiques n’est pas évidente. Au contraire, les différences s’expliquent assez facilement dans la moitié sud de la France où l’abstention est nettement plus faible. Ce sont les départements les moins ruraux où les électeurs ont le plus participé au vote.

 

Figure 1-5. Différence entre le taux d’abstention dans les villes de 5000 à 20 000 habitants et les villages de moins de 250 habitants lors de trois élections

 

Un élément commun important se dégage de ces deux séries de géographies : la baisse de la participation causée par l’épidémie n’a pas ou peu modifié les évolutions à moyen terme. Pour les villes moyennes et petites, la répartition de l’abstention continue de changer lentement ; pour les très petites communes, la répartition, après un retournement complet entre 1995 et 2014, s’est à peine déformée ensuite. Ce qui vaut pour l’abstention vaut sans doute aussi pour les affiliations partisanes. Dans la seconde partie de cette note, on abordera cet aspect essentiel puisque la validité du premier tour dépend de lui : soit l’épidémie a bouleversé l’échiquier électoral, soit elle a eu la même incidence ou presque sur toutes les tendances politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche.

Évolution de longue durée

On peut être déçu de n’avoir pas percé les mystères de la géographie de l’abstention. Cependant, en comparant les deux séries de cartes, une différence de longue durée entre la géographie des villes et celle des villages se manifeste. La figure 5 cartographie, aux trois mêmes dates, l’écart entre le pourcentage d’abstention dans les villes petites et moyennes et dans les plus petites communes, celles qui comptent moins de 250 habitants. Non seulement les trois cartes se ressemblent beaucoup, ce qui témoigne de la persistance des écarts, mais ceux-ci se renforcent au cours du temps. Surtout, la géographie qui apparaît est bien connue et très ancienne. Elle oppose les campagnes en openfield du Nord-Est aux bocages de l’Ouest et du Sud. C’est une partition immémoriale, déjà répertoriée par Arthur Young dans ses voyages à la fin du XVIIIe siècle. Ce n’est pas tant la configuration du paysage qui importe que la répartition de la population. Dans les régions d’openfield, la population rurale vit groupée en petits villages compacts, dans les régions de bocage, elle s’éparpille en fermes isolées et en hameaux de quelques exploitations. En quoi cette différence d’habitat rejaillit-elle sur la pratique du vote ? Dans les petits villages d’habitat groupé (aggloméré, disent les géographes), les électeurs savent exactement qui s’est rendu aux urnes et qui les a boudées. La participation électorale est une contrainte sociale. Dans le bocage, il est plus difficile de savoir si votre voisin qui vit à plusieurs centaines de mètres derrière des haies et des taillis a fréquenté le bureau de vote. Dans les villes comme dans le bocage, un plus grand anonymat règne, donc une moindre pression sociale. Dès lors, la différence de participation, toutes choses égales par ailleurs, sera plus importante dans les pays d’habitat aggloméré que dans ceux où la population est éparse.

Une objection politique à ce raisonnement peut être soulevée. Les pays d’habitat aggloméré sont aussi ceux où le vote pour la famille Le Pen rencontre le plus de succès. Or, ce vote dépend fortement de la taille des communes. À la dernière élection présidentielle, dans celles de moins de 1000 habitants, il atteignait 30% et dans les grandes villes 13% (en moyenne). Ce qui est attribué à la différence de peuplement ne serait-il pas au contraire dû à une différence d’orientation politique ? Si cela était le cas, l’autre grande zone de prépondérance du vote RN, la bordure méditerranéenne, devrait apparaître, or, rien de tel. Pourtant, la population y vit aussi groupée. Mais l’historien Marc Bloch qui avait attiré l’attention sur les différences de sociabilité entre les pays de bocage et d’openfield avait aussi insisté sur l’écart de l’openfield du Nord-Est avec ses petits villages et celui du Sud méditerranéen aux gros villages. Au sein de ces derniers, les relations sociales se rapprochent de celles qu’on entretient dans une petite ville. Dans son étude sur les débuts de la République, Maurice Agulhon avait montré comment l’opinion s’était différenciée en cercles dans les gros villages de Provence, donc comment la pression du voisinage n’était pas aussi homogène et générale que dans les petits villages du Nord-Est.

Accroissement de l’écart d’abstention entre villes et villages

Dernière observation, l’écart entre le pourcentage d’abstention des villes et des villages s’est nettement accru. En 1995, il était seulement de 2% en moyenne, en 2014, il atteignait 12% et maintenant il s’élève à 17%. Cela est étrange dans un monde où l’on souligne la convergence des modes de vie en ville et à la campagne. Un lecteur de Tocqueville répondrait que c’est logique. La progression de l’égalité s’accompagne d’une insatisfaction grandissante et de la demande d’encore plus d’égalité. La récente révolte des « gilets jaunes » a souvent été interprétée dans ce sens. Maintenant que les ruraux vivent comme les urbains, qu’ils sont éduqués, qu’ils sont cadres, employés, ouvriers comme dans les agglomérations, le manque de service de proximité est plus durement ressenti qu’auparavant. S’il en est ainsi, l’augmentation de l’écart entre l’abstention urbaine et rurale devrait être plus prononcée là où le mouvement des « gilets jaunes » a été le plus suivi, donc dans les zones peu denses et en dépopulation. Pour le vérifier, on a cartographié la variation de l’écart d’abstention entre ville et campagne entre 2014 et 2020 (figure 6). La géographie qui apparaît n’est pas celle des « gilets jaunes », mais celle, bien connue et déjà observée plus haut, de la France de l’industrie ou, plus exactement, de son complémentaire : la différence entre abstention urbaine et rurale s’est beaucoup réduite dans les régions à l’écart de la grande industrie des Trente Glorieuses, schématiquement au sud-ouest d’une diagonale partant de Saint-Malo et aboutissant au département des Alpes-de-Haute-Provence.

 

Figure 1-6. Différence aux élections municipales de 2014 à 2020 de l’écart de la proportion d’abstentionnistes des villes (5 000 à 20 000 habitants) et des villages (moins de 1 000 habitants), comparé au niveau d’abstention des villes à l’élection présidentielle de 1995

 

Pour faciliter l’interprétation, on a remis à côté de cette carte celle de l’abstention dans les villes petites et moyennes en 2014 qui recoupe celle de l’industrie durant les Trente Glorieuses. À quelques exceptions près (la Haute-Savoie, la Dordogne), les deux cartes de la figure 6 sont l’inverse l’une de l’autre. Ce n’est pas pour autant que le mouvement des « gilets jaunes » n’a eu aucune influence sur l’abstention. Dans la moitié de la France où l’écart entre l’abstention rurale et urbaine était assez faible, il s’est accru ; les campagnes ayant accéléré la prise de conscience de leur éloignement des services urbains, sans doute à cause des revendications des « gilets jaunes ». Sur la carte 6, on voit que le resserrement de l’écart entre abstention urbaine et rurale a été le plus important dans les départements les plus ruraux de la moitié Sud-Ouest : Morbihan, Côtes-d’Armor, Mayenne, Vendée, Lot, Aveyron, Haute-Loire, Ardèche, Hautes-Pyrénées, Corrèze, Corse. Il est vraisemblable que sans la crise des « gilets jaunes », l’écart d’abstention entre villes et campagnes de la moitié sud-ouest de la France se serait accru pour se rapprocher de son niveau dans la moitié nord-est, mais, cela aurait sans doute été moins rapide.

On assiste ainsi à une unification de la France, mais une unification des différences. Les écarts entre le comportement électoral de la France urbaine et de la France rurale qui variaient selon les régions se rapprochent sur tout le territoire en même temps qu’ils s’accroissent. Peut-être est-ce une manifestation de l’opposition souvent soulignée récemment entre métropoles et « périphérie », sauf que ce ne sont pas les métropoles mais les villes petites et moyennes dont le comportement électoral, indépendamment des orientations partisanes, s’écarte de plus en plus de celui des zones les plus rurales, où foisonnent les petites communes comptant moins de 1000 habitants.

En conclusion, la montée de l’épidémie a eu, bien sûr, un effet global sur la participation à l’élection municipale, mais elle n’a pas affecté les dynamiques en cours, ni l’influence des événements antérieurs telle que la crise des « gilets jaunes ». Si l’on remettait à la même échelle, donc à la même valeur moyenne qu’en 2014 pour toute la France, l’abstention observée en 2020, tous les constats précédents seraient préservés. L’épidémie est un événement bizarre, hors politique qui ne peut pas trouver des points d’accroche avec les mécanismes et les structures politiques présentes, lesquelles continuent d’évoluer comme si de rien n’était, à part la montée globale du taux d’abstention. Les conséquences politiques de l’épidémie viendront après que celle-ci sera jugulée et elles seront vraisemblablement importantes. De la même manière, la crise des « gilets jaunes » s’est déroulée hors des structures politiques classiques malgré les tentatives de récupération par les partis d’extrême gauche et d’extrême droite et c’est seulement maintenant qu’elle est en train d’influencer le paysage politique.

Épidémie et intentions de vote

Pour juger de l’influence que l’épidémie a eue sur le résultat des élections municipales, le meilleur moyen serait de comparer le vote tel qu’il se profilait, juste avant le déclenchement de l’épidémie, au vote réellement observé le 15 mars 2020. C’est, bien sûr, impossible, mais on peut s’en rapprocher en confrontant les résultats du premier tour aux sondages effectués un ou deux mois avant l’élection par l’Ifop dans un certain nombre de villes moyennes et grandes. Les détails de ces sondages sont disponibles sur le site de l’Ifop pour 39 villes. Leur répartition n’est pas purement aléatoire (par exemple le Sud-Est et le Nord-Est sont mieux représentés que l’Ouest et le Sud-Ouest), mais ces villes constituent un échantillon suffisant pour mettre en évidence plusieurs phénomènes politiques et sociodémographiques car le profil des répondants aux enquêtes est détaillé par l’Ifop dans chacune d’entre elles.

Étant donné la complexité des associations politiques, à gauche comme à droite, les listes en concurrence présentent des combinaisons ou des coalitions très diverses dans chaque ville. Parfois les écologistes s’associent aux socialistes, parfois aux communistes, aux « insoumis » ou même aux animalistes, parfois deux listes écologiques, voire trois, sont en concurrence. Même pagaille au centre où tantôt La République en marche part seule au combat, tantôt elle s’associe à l’Union des démocrates et indépendants (UDI) ou à la droite, tantôt elle se retire pour faciliter l’élection d’une liste de droite, comme à Toulouse. On ne peut donc pas dresser un panorama homogène mais, cependant, plusieurs constats importants peuvent être faits, en particulier dans le cas des maires qui se représentent, dans l’évolution des votes RN et écologiste, et surtout dans des différences démographiques considérables entre les électorats de droite, écologistes et RN.

2014-2020 : les maires qui se représentent

Dans 27 des 38 villes étudiées, le maire sortant se représentait. En général, cela donne un avantage, d’abord celui d’avoir déjà bénéficié d’un socle de votants solide, ensuite celui de représenter la stabilité dans un pays secoué par trois crises successives, les « gilets jaunes », les grèves contre la réforme des retraites et l’épidémie de coronavirus. Effectivement, alors qu’aux municipales la moyenne des résultats des listes de ces maires atteignait 38% des suffrages exprimés, elle monte en 2012 à 44%. La corrélation entre les scores aux deux élections est relativement faible (r = 0,53). Les partis politiques de gauche et de droite ayant été fortement secoués au cours des six années qui se sont écoulées entre les deux consultations municipales, on peut s’attendre à des changements importants.

 

Figure 2-1. Scores en 2014 et en 2020 des maires qui se représentaient

 

Pour les montrer, on a reporté sur la figure 2-1 les scores en 2020 (en vertical) en fonction des scores en 2014 (en horizontal). La ligne oblique correspond à des scores égaux aux deux élections. Les villes sont représentées par des cercles de couleur rouge lorsque le maire était de gauche ou de centre gauche et en bleu quand il était de droite ou de centre droit (et en anthracite pour les deux villes tenues par l’extrême droite, Fréjus et Béziers). Les cercles ont un rayon proportionnel au logarithme du nombre de suffrages exprimés en 2020 (l’usage du logarithme donne une idée de l’importance de leur population sans que les différences soient trop importantes visuellement).

La gauche social-démocrate, essentiellement le Parti socialiste, recule mais assez modérément, d’environ cinq points, ce qui est un succès comparé à son effondrement aux élections présidentielle et européennes. Les personnalités de Martine Aubry, d’Anne Hidalgo ou de François Rebsamen y sont pour quelque chose, mais le recul n’est pas plus fort pour des têtes de liste moins connues comme Philippe Saurel à Montpellier ou Alain Claeys à Poitiers. Curieusement, dans trois villes moyennes, les scores de la gauche grimpent en flèche : Blois, Lens et Montreuil. On peut alléguer des réalisations locales, des implantations fortes. Globalement, donc, la gauche se maintient.

Logiquement, la droite profite un peu de l’affaiblissement de la gauche, mais assez modérément. Dans de grandes villes comme Toulouse, Le Havre ou Nîmes, elle recule un peu par rapport aux précédentes municipales. Ailleurs, elle progresse d’environ cinq points, à l’exception de Reims et de Charleville-Mézières où elle fait un bond de plus de vingt points. On pourrait penser que le comportement local de La République en marche explique les différences de progression ou de régression de la droite. Trois cas se présentent, soit une liste commune, soit une absence de liste LREM, soit une liste LREM en concurrence avec la liste LR.

En principe, là où il y avait concurrence, la droite aurait dû perdre des points, en gagner là où elle se présentait seule et, a fortiori, là où elle était associée à La République en marche. Les résultats contredisent ce raisonnement. Sur les sept villes où LR entrait en concurrence avec LREM, la droite a progressé et souvent nettement dans quatre (Reims, Saint-Étienne, Troyes, Hyères), a reculé un peu à Aix-en-Provence et nettement à Perpignan et Nîmes. Dans les quatre villes où LREM était absent, la droite a progressé (Grasse, Nice, Charleville, Maubeuge). Enfin, l’association de LREM et LR n’a guère été profitable puisque la droite a reculé dans deux grandes villes (Le Havre et Toulouse) et progressé modérément dans 3 autres (Menton, Calais, Beauvais). En conclusion, le rôle de LREM a été insignifiant, ni capable de s’opposer à la droite, ni capable de la propulser vers des scores élevés.

L’épidémie perturbe les résultats ?

L’intérêt de l’échantillon des 27 villes où le maire se représentait tient, comme on l’a dit, à l’existence d’un sondage avant les municipales dans chacune d’entre elles. On peut donc comparer les résultats de ces sondages aux scores observés réellement le jour de l’élection. En adoptant les mêmes conventions que pour la figure précédente, on a représenté sur la figure 2-2 les scores des listes des maires sortants au premier tour de l’élection en fonction du score qu’annonçait un ou deux mois auparavant l’Ifop, donc avant que l’épidémie prenne de l’ampleur. Si des écarts significatifs apparaissent, on peut parler d’une influence de l’épidémie et mettre en doute la validité des résultats. Cette comparaison des sondages aux résultats réels est donc cruciale.

Puisque les cercles représentant les villes se groupent autour de la diagonale de la figure, les estimations ont été, en général, assez exactes, parfois même tout à fait exactes (Perpignan, Montpellier, Dijon, Nice, Fréjus). La moyenne des scores des maires sortants des 27 villes où un sondage avait été organisé est de 42,7%, légèrement inférieure à celle qui a été observée (44,1%). Le pourcentage obtenu par les maires de gauche avait été un peu plus sous-estimé (2,1%) que celui des maires de droite (0,7%). Ces différences sont minimes et ne remettent pas en cause les résultats. Tous les maires dont l’élection était prévue dès le premier tour l’ont été, trois à gauche, six à droite et deux au RN.

 

Figure 2-2. Comparaison entre le score prévu par les sondages aux listes des maires sortants et leur résultat au premier tour de l’élection municipale de 2020

Certains sondages ayant été effectués plus d’un mois avant l’élection, les écarts peuvent s’expliquer par la campagne électorale des candidats car aucune régularité n’apparaît dans la répartition des différences entre les sondages et le vote. En définitive, le déclenchement de l’épidémie ne semble guère avoir eu d’influence sur la composition politique du vote. Le léger surplus de vote en faveur des maires sortants par rapport au sondage peut toutefois s’expliquer par un phénomène classique en cas de crise : les populations ayant tendance à préférer le pouvoir en place et à se méfier d’ajouter un changement aux troubles en cours. L’écart un peu plus important à gauche pourrait aussi s’expliquer par un biais des sondages : la gauche étant ringardisée par le gouvernement et les médias et ayant réalisé de piètres performances aux élections présidentielle et européennes, ses électeurs auraient hésité à avouer aux sondeurs qu’ils faisaient partie du « monde d’avant ».

Si l’épidémie n’a pas eu d’effet marqué sur les suffrages en faveur des maires sortants, elle a pu affecter la répartition des voix entre les autres listes et, plus généralement, entre toutes les listes au cas où le maire ne se représentait pas.

Stabilité partisane

La diversité des listes qui se présentaient dans les 39 villes pour lesquelles on dispose de sondages pré-électoraux est importante, particulièrement à gauche où pas moins de seize coalitions différentes peuvent être recensées : trois avec l’extrême gauche, des divers gauche et onze mélanges différents de La France insoumise (LFI), Parti communiste, Parti socialiste et écologistes. On peut en déduire d’ailleurs que l’union de toute la gauche n’est pas si chimérique que l’on veut le croire au vu des querelles des états-majors nationaux, car pratiquement tous les cas de figure se rencontrent au niveau local.

Dans ces conditions, il est difficile de regrouper les résultats des 39 villes sous des rubriques politiques communes à part des cas assez généraux. On a donc retenu les combinaisons les plus fréquentes : Parti communiste + Parti socialiste, écologistes seuls, LREM, LR et RN. La comparaison de leur score moyen (pondéré par le nombre de suffrages exprimés) dans les sondages et le jour de l’élection est indiquée sur le tableau 1.

 

Tableau 2-1. Comparaison entre le score prévu par les sondages à différentes tendances politiques et leur résultat à l’élection municipale de 2020

Partis

Sondages

Vote 2020

PS + PC

21,3%

25,4%

Écologistes

14,6%

13,6%

LREM

16,5%

16%

LR+LREM

37,3%

34,6%

LR

29,3%

28,4%

RN

11,1%

9,2%

 

Les scores ne s’additionnent pas car les listes de chaque couleur ne sont pas présentes dans toutes les circonscriptions et même s’excluent comme celles de LREM et LR dans le cas d’une liste commune comme à Toulouse.

Ce sont les listes Parti communiste + Parti socialiste pour lesquels le sondage a donné le moins bon résultat, surtout à cause du score plus important que prévu d’Anne Hidalgo à Paris et du nombre relativement élevé de suffrages exprimés dans la capitale par rapport aux autres villes de l’échantillon. À l’inverse, l’association du centre et de la droite avec les listes communes LREM et LR a moins bien tenu ses promesses que prévu comme on l’avait constaté à propos des maires qui se représentaient. Les autres décalages sont minimes. Les moins bonnes performances du RN (-2%) et des écologistes (-1%) peuvent venir des pronostics flatteurs qui avaient accompagné leurs campagnes : l’écologie avait le vent en poupe dans les sondages, devenant la première préoccupation des Français et l’on prédisait que le FN allait emporter nombre de villes moyennes.

Si l’on regroupe toutes les listes allant des divers gauche à l’extrême gauche, d’une part, et toutes les listes de LREM à LR et Debout la France, d’autre part, on obtient une estimation du rapport gauche-droite et surtout de son évolution entre les sondages et le jour de l’élection. L’ensemble de la gauche passe de 41,6% à 43,7%, soit une augmentation de 2 points comme dans le cas des maires de gauche qui se représentaient. La droite, quant à elle, diminue légèrement de 48,4% à 47,2%. Si l’on isole un centre en comptant les suffrages de LREM, de LREM+LR et des divers centre, là où une liste au moins portait cette couleur politique, le score dans les sondages était de 15,7% en moyenne et, dans les urnes, il a été de 16,8%. Comme on le prévoyait, le centre, donc La République en marche, n’a pas pris racine dans le paysage municipal. Le partage entre la gauche et la droite reste ancré dans l’opinion.

Ces quelques résultats concernent pour chaque tendance les communes qui présentaient des listes de cette tendance, donc souvent nettement moins de communes que les 39 qui ont été sondées. Ce sont cependant des moyennes. On peut imaginer que les écarts entre les sondages et les votes soient plus importants ville par ville. En fait, comme dans le cas des maires qui se représentaient, les scores estimés des différentes listes sont très proches des pourcentages réalisés à l’élection, parfois même de manière surprenante. Par exemple, à Millau où la composition des listes avait de quoi intriguer, les résultats collent presque parfaitement à ceux du sondage pré-électoral (tableau 2).

 

Tableau 2-2. Comparaison entre le sondage passé à Millau et le résultat de l’élection municipale de 2020

Listes

Sondage

Élections 2020

Camille Valabrègue (LFI+écolo)

8%

8,1%

Emmanuelle Gazel (PC+PS+écolo)

32%

33,8%

Philippe Ramondenc (divers centre)

16%

16,9%

Christophe Saint-Pierre (LR)

35%

34,6%

Jérôme Rouve (divers droite)

7%

6,6%

 

Même constance à Aix-en-Provence malgré un contexte troublé par la présence de la volcanique Maryse Joissains (tableau 3) (les totaux ne font pas 100% en raison de la présence d’autres listes ayant obtenu très peu de suffrages).

 

Tableau 2-3. Comparaison entre le sondage passé à Aix-en-Provence et le résultat de l’élection municipale de 2020

Listes

Sondage

Élections 2020

Marc Pena (LFI+PC+PS)

16%

15,9%

Stéphane Salord (écolo)

5%

4,7%

Dominique Sassoon (écolo)

8%

9,3%

Anne-Laurence Petel (LREM)

18%

20,5%

Maryse Joissains (LR)

33%

30,3%

Jean-Marc Perrin (divers droite)

9%

9,1%

Nathalie Chevillard (RN)

8%

5,6%

Valérie Michon (animaliste)

2%

1,9%

 

Les quelques écarts sont assez logiques : à Aix-en-Provence, la liste LREM récupère à 0,2% près ce que la liste LR a perdu. Dans la plupart des villes où des écarts relativement importants apparaissent entre le sondage et le vote, ils sont dus à des transferts entre listes aux positions politiques voisines. Ainsi, plusieurs va-et-vient se produisent entre les suffrages en faveur des listes RN et de droite. À Épinal, le RN dégringole de 16% dans le sondage à 4,7% dans les urnes tandis que la liste divers droite de Benoît Jourdain monte de 14% à 25,8%. Clairement, une querelle locale est en jeu entre deux sortants du conseil municipal, le premier adjoint Patrick Nardin qui reste stable de 36% à 37,9% et le conseiller Benoît Jourdain dont le score passe de 14% à 25,8%. Les électeurs ont donné la priorité au conflit local sur les étiquettes partisanes. Autre exemple, à Saint-Étienne, la liste FN baisse de 16% à 9,2% au profit vraisemblablement du sortant LR qui gagne cinq points entre le sondage et le vote. Même chose à Maubeuge où la liste RN descend de 18% à 12,6% tandis que celle de LR monte de 37% à 42%. Parfois, le transfert inverse se produit, à Calais par exemple : la liste de la maire sortante, Natacha Bouchart, patronnée par LR et LREM, était annoncée à 56% par le sondage et la liste RN conduite par Marc de Fleurian à 12%. Le jour du vote, la première ne récolte que 50% tandis que le RN remonte à 18%. Est-ce la situation particulière de la ville qui est la cause de ce transfert ? Ou l’alliance avec LREM qui a déplu à une partie de l’électorat de droite qui s’est reporté sur le RN ?

Des compensations analogues se produisent à gauche. À Nîmes, la liste PC était créditée de 8% des voix et la liste Parti socialiste + écologistes de 20%. Le jour du scrutin, le rapport de force s’inverse : 15,7% pour la première, 12,2% pour la seconde, mais le total des deux listes reste le même (%). Même cas de figure à Lens où le Parti socialiste était crédité de 51% et les écologistes de 10%. À l’arrivée, le Parti socialiste obtient 55,5% des voix tandis que les écologistes baissent à 5,5%. La peur de voir le maire sortant mis en ballottage a poussé les écologistes à un vote utile selon toute probabilité. Du fait de ces compensations internes à la gauche et à la droite, dans un grand nombre de villes, le rapport global entre les deux (en comprenant LREM dans la droite) reste inchangé du sondage à l’élection. Outre Nîmes, Lens, Lille, Maubeuge déjà citées, c’est aussi le cas à Saint-Étienne, Amiens, Nice ou à Marseille.

Globalement, quand on compare le total des voix de gauche prédit par les sondages et observé lors du scrutin (figure 3-3), l’écart entre les deux présente des régularités politiques et spatiales. On voit que la gauche a fait moins que prévu là où elle était déjà faible comme si son déclin n’avait de cesse : dans le Nord et sur les rives de la Méditerranée de Nice à Perpignan. Inversement, là où la gauche s’est maintenue jusqu’à présent, en région parisienne, en région lyonnaise et dans l’Ouest, elle dépasse légèrement la prévision des sondages. À Béziers, Fréjus et Perpignan, trois des quatre villes où le RN fait mieux que prévu, trois villes emblématiques qui ont concentré l’attention, la gauche, malgré sa portion déjà congrue, continue de perdre des points.

 

Figure 2-3. Comparaison entre le total des voix de gauche prévu par les sondages et leur résultat à l’élection municipale de 2020

Il est peu vraisemblable que l’épidémie survenant entre les sondages et le scrutin puisse expliquer ces déplacements de voix. Des raisons politiques paraissent plus vraisemblables. Au Sud-Est et au Nord, le RN continue d’attirer l’ancienne clientèle populaire des partis de gauche. À l’Ouest, dans les régions parisienne et lyonnaise, les classes moyennes qui avaient déserté la gauche pour Emmanuel Macron, mais un Emmanuel Macron moitié à gauche, moitié à droite, reviennent au centre gauche maintenant que La République en marche s’est droitisée. Le vote pour les coalitions comprenant un parti ou une association écologiste leur fournit une passerelle vers la gauche sans trop renier leur foucade récente. Ils reviennent vers la social-démocratie, mais une social-démocratie qui est passée du rose au vert.

En donnant des indications sociales et démographiques sur les électeurs, les sondages offrent une autre clé d’analyse qui, comme on va maintenant le voir, accentue encore le sentiment que l’épidémie n’a pas interféré avec l’opinion politique ni pour des raisons pratiques – la crainte de la contagion dans l’isoloir –, ni pour des raisons théoriques – les premières réactions du gouvernement, par exemple le fait qu’il ait accédé à la demande de la droite de maintenir la consultation électorale.

Contrastes démographiques

On considère souvent que les élections municipales sont en retard sur l’évolution politique du pays. Elles accuseraient un décalage par rapport aux élections régionales et surtout présidentielles à cause d’intérêts locaux qui évoluent lentement et du poids des notables qui vieillissent sur place. Le succès des maires qui se représentaient l’a illustré dans la partie précédente. Cependant, certaines différences dans le profil des électeurs des diverses tendances apparaissent dans les 39 sondages étudiés, qui laissent penser, au contraire, que des signaux peuvent être détectés annonçant de futures tendances de fond. Dans le passé, les élections de Dreux et d’Aulnay-sous-bois en 1983 ont, par exemple, précédé l’apparition du FN sur la scène nationale aux élections européennes de 1984. De même, en mars dernier, des caractères démographiques du vote écologiste et frontiste prennent plus d’ampleur que d’habitude alors que les intentions de vote s’homogénéisent pour les critères sociaux habituels tels que catégorie sociale, niveau d’éducation ou nature de l’activité.

Machisme et féminisme

La différence de comportement des électeurs selon leur sexe prend une allure spectaculaire dans les intentions de vote en faveur des écologistes et du RN. En moyenne, là où les écologistes se présentaient seuls, 14,8% des hommes des villes de l’échantillon et 20,3% des femmes déclaraient qu’ils voteraient pour leurs listes. Donc les effectifs prévus de votantes féminines dépassent de 37% leur contrepartie masculine. Sur la figure 3-1 où l’on a comparé le pourcentage d’intentions de vote des hommes (en horizontal) à celui des femmes (en vertical), on constate que, sur les 27 villes où des listes écologistes se présentaient sans alliance avec un parti de gauche, dans cinq seulement les hommes dépassaient les femmes et de peu (la ligne diagonale indique l’égalité entre les intentions de vote des hommes et des femmes). Dans chacune de ces cinq villes – Lens, Montreuil, Menton, Saint-Étienne, Toulouse –, le maire se représentait, mais ce n’est sans doute pas l’explication car c’était aussi le cas à Lille où l’écart entre les intentions de vote des hommes et des femmes pour la liste écologiste est le plus important (un contre deux).

Il ne s’agit toutefois pas d’un engouement passager des femmes qui serait retombé une fois entré dans l’isoloir car les écarts entre les intentions de vote et les résultats des écologistes n’ont pas de rapport avec la prédominance plus ou moins grande des électrices sur les électeurs.

 

Figure 3-1. Votes pour les listes écologistes des hommes et des femmes prévus par les sondages aux élections municipales de 2020

Existerait-il un effet Greta Thunberg ? Les villes où la tête de la liste écologiste était féminine auraient-elles plus attiré les votes féminins ? On n’observe rien de semblable. Les femmes étant moins politisées que les hommes, elles ont pu être attirées par un courant qui semblait plus proche de leurs préoccupations quotidiennes : bio, circuits courts, associations, car, en vertu du slogan « concilier vie professionnelle et vie familiale », elles continuent d’assurer la seconde vie bien plus que les hommes.

De l’autre côté de l’échiquier, le RN présente la configuration opposée. Les intentions de vote des hommes en sa faveur dépassent largement celles des femmes (19% contre 13,7%, soit 39% d’électeurs potentiels de plus que d’électrices). Sur la figure 3-2, analogue à 3-1, on a placé les villes en fonction des pourcentages masculins (en horizontal) et féminins (en vertical) d’intentions de vote en faveur du RN là où une liste patronnée par ce mouvement se présentait (37 villes). Les deux villes dont les points sont à l’extrémité haute de la figure ont un caractère particulier : Béziers et Fréjus, dont les maires sortants d’extrême droite se représentaient et l’ont emporté au premier tour. En dehors de ces deux cas particuliers où les votants masculins et féminins en faveur du RN sont équilibrés, la tendance à la supériorité des effectifs de votants masculins se voit clairement quel que soit le niveau du vote. Par rapport aux enquêtes par sondage qui précédaient le premier tour de l’élection présidentielle, il y a trois ans, l’écart entre hommes et femmes s’est beaucoup accru. À l’époque, en mars 2017, les intentions de vote des hommes pour Marine Le Pen étaient de 23% et celles des femmes de 20%, soit seulement 15% d’avance des hommes sur les femmes (cercle bleu sur la figure).

 

Figure 3-2. Votes pour les listes RN des hommes et des femmes prévus par les sondages aux élections municipales de 2020

Dans quelques villes, les femmes sont toutefois un peu plus nombreuses à vouloir voter pour le RN, mais, comme on le voit sur la figure, c’est de peu, sauf pour Beauvais (pour une raison que j’ignore). La liste de ces villes, de même que celle des villes où l’écart est le plus important entre les intentions des deux sexes dessinent une géographie bien connue de la France. Les femmes envisagent de voter en plus forte proportion que les hommes pour le RN à Beauvais, Montpellier, Maubeuge, Nîmes, Amiens, Fréjus, et sont à égalité avec les hommes au Havre. Toutes ces villes sont situées dans les régions où le RN engrange ses meilleurs résultats habituellement. Inversement, les villes où l’écart entre hommes et femmes est le plus important sont situées dans des régions où le RN est relativement faible : Bordeaux, Blois, Tours, Toulouse.

Là où le RN est banalisé, là où il a déjà conquis quelques mairies dans le voisinage, la différence des sexes importe assez peu. Le Nord-Est et la région méditerranéenne sont aussi celles où les inégalités et les problèmes sociaux sont les plus graves. En revanche, à l’Ouest et au Sud-Ouest, dire qu’on va voter pour le RN est encore un peu une bravade, le fait d’hommes qui se reconnaissent dans l’arrogance gouailleuse des petits chefs de l’extrême droite et dans leur aspect physique de « gros bras ».

Tout ceci est de l’ordre des suppositions, non de la statistique. On peut proposer une explication différente, reposant sur la différence de situation des femmes selon les régions. Traditionnellement, l’activité féminine était plus faible dans le Nord-Est, en Provence et dans le Languedoc. Les femmes y étaient plus confinées dans leur rôle au foyer, elles accédaient moins à l’espace public. La montée de l’activité y est plus récente que dans le Sud-Ouest et surtout dans l’Ouest où les femmes participent, de longue date, à l’espace public, donc peuvent affirmer des positions politiques. Dans cet esprit, les femmes du Nord-Est et de la zone méditerranéenne adopteraient plus facilement l’opinion de leur famille, donc de leur conjoint. À vérifier évidemment.

Jeunes et vieux électeurs

Les sondages fournissent les intentions de vote par grande classe d’âge. On a comparé celles des jeunes (moins de trente-cinq ans) à celles des âgés (plus de soixante-cinq ans). L’écart est énorme parmi ceux qui ont manifesté l’intention de voter pour une liste écologiste : 23,3% des jeunes en moyenne contre 12% des âgés, soit un rapport qui va presque du simple au double. Comme dans le cas des différences entre hommes et femmes, on a construit un graphique où les villes sont représentées par des points variant comme leur taille et ont été placées en horizontal selon la proportion de jeunes souhaitant voter écologiste et, en vertical, celle des âgés.

 

Figure 3-3. Votes pour les listes écologistes des jeunes (moins de trente-cinq ans) et des âgés (plus de soixante-cinq ans) prévus par les sondages aux élections municipales de 2020

Dans trois cas seulement, les âgés penchent plus que les jeunes pour l’écologie : Millau, Marseille et Bruay-la-Buissière, deux petites villes pauvres où l’écologie passe derrière les besoins sociaux et une métropole, elle aussi la plus pauvre de sa catégorie. En outre, la configuration électorale était particulière dans chacune des trois. À Bruay-la-Buissière, le maire sortant socialiste, Olivier Switaj, était contesté. Plutôt que de voter pour le RN, l’électorat de gauche s’est massivement reporté sur la liste écologique. À Millau, comme on l’a vu, trois listes se disputaient le centre et la droite, chacune avec des prétentions à l’écologie. Enfin, à Marseille, les enjeux à l’intérieur de la gauche comme de la droite, sans compter les espoirs de la liste RN emmenée par le sénateur et maire d’arrondissement Stéphane Ravier, éclipsaient la liste écologiste qui a d’ailleurs terminé avec un score assez faible de 9%. En revanche, les quatre villes où l’écart est le plus grand entre les jeunes et les âgés qui sont trois fois moins nombreux à annoncer qu’ils voteront pour une liste écologiste sont prospères : Toulouse, Dijon, Paris et Tours.

La figure 3-3 suggère que le rapport entre les souhaits des électeurs jeunes et âgés n’est pas le meilleur indice. On voit que plus le vote des jeunes en faveur d’une liste écologiste est important, moins le vote des âgés progresse comme s’il venait buter contre un plafond de verre aux environs de 20% qui est seulement dépassé par Bruay-la-Buissière, pour les raisons qui viennent d’être évoquées plus haut, et par Strasbourg, haut lieu de l’écologie, sensible aux scores de son homologue outre-Rhin. Les villes où les jeunes projetaient de voter pour l’écologie en plus forte proportion sont caractéristiques de l’attrait de la jeunesse pour ce courant politique – dans l’ordre des plus forts pourcentages : Tours, Dijon, Bordeaux, Toulouse et Lyon. Si l’on disposait de sondages pour Rennes ou Nantes, sans doute ces deux villes figureraient aussi dans le palmarès.

L’influence de l’âge sur les intentions de vote est très différente au RN. Même si l’écart est nettement moins important que pour les écologistes, les plus âgés déclarent vouloir voter pour l’extrême droite un peu plus que les jeunes : 14,7% contre 12%. Ces pourcentages peuvent paraître modestes par rapport aux scores récents du RN, mais ils concernent des villes importantes où ce vote est nettement plus faible (au premier tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen n’a obtenu que 5% des voix à Paris).

 

Figure 3-4. Votes pour les listes RN des jeunes (moins de trente-cinq ans) et des âgés (plus de soixante-cinq ans) prévus par les sondages aux élections municipales de 2020

Lorsqu’on reporte sur la figure 3-4 les scores en faveur du RN des jeunes et des âgés comme on l’a fait pour les intentions de vote en faveur de l’écologie, la situation apparaît assez confuse. Cependant, comme dans le cas de la différence entre hommes et femmes, la répartition des villes au-dessus ou au-dessous de la diagonale, soit en faveur des âgés ou des jeunes, est pertinente géographiquement. Les sept villes où l’intention de vote des jeunes pour le RN est 75% plus élevée que celle des âgés sont toutes situées au Nord-Est, dans l’une des deux zones de force de ce parti : Le Havre, Lens, Épinal, Bruay-la-Buissière, Calais, Metz, Strasbourg. Dans ces villes, l’importance du chômage des jeunes et de la proportion d’entre eux qui sont sans diplôme les pousse, vraisemblablement plus que les âgés, à souhaiter un renversement de l’ordre établi. Inversement, parmi les 10 villes (sur 37 où une liste RN ou patronné par le RN se présentait), on trouve Dijon, Toulouse, Tours, Blois, Bordeaux, Montpellier, Lille et Paris, des villes universitaires et dynamiques où chômage et manque de diplôme des jeunes sont moins importants.

 

Figure 3-5. Votes pour les listes RN des personnes âgées de cinquante à soixante-quatre ans et vote RN de l’ensemble des électeurs, prévus par les sondages aux élections municipales de 2020

En réalité, ce ne sont ni les jeunes, encore moins les âgés, qui choisissent le plus de voter pour le RN, mais les actifs mûrs, que l’on peut assimiler à la classe d’âge 50-64 ans dans les sondages. On voit sur la figure 3-5, toujours construite sur le même principe que les quatre précédentes, que sauf 3 villes, Épinal, Montpellier et Avignon, partout ailleurs, la proportion d’électeurs âgés de cinquante à soixante-quatre ans qui pensent voter pour le RN est supérieure au score global du RN. En moyenne, ce groupe d’âge compte voter à 20% pour le RN alors que le pourcentage pour l’ensemble de l’électorat est 16,4%.

La forme du nuage de points suggère que la relation entre la proportion de votes des adultes mûrs ne varie pas linéairement avec le niveau général du vote RN. Pour les valeurs assez faibles de celui-ci, les intentions de vote de ces adultes augmentent très vite comme s’ils tiraient vers le haut l’ensemble de l’électorat. Mais, quand le pourcentage général atteint et dépasse 20%, les adultes mûrs semblent buter contre un plafond autour de 35%, à l’exception des deux villes tenues par l’extrême droite, Béziers et Fréjus. En dehors d’elles, les villes où les électeurs de cinquante à soixante-quatre ans comptent donner leurs suffrages au RN sont : Bruay-la-Buissière, Avignon, Perpignan, Lens, Marseille et Menton. À part Bruay-la-Buissière et Lens, elles appartiennent toutes à la zone méditerranéenne. Une différence se dessine ainsi entre un RN du Nord-Est qui reçoit le renfort de jeunes et un RN méditerranéen poussé par les actifs les plus âgés. On présente souvent sous un autre angle la différence entre ces deux régions où le RN obtient ses meilleurs scores. Au Nord, les causes du vote seraient le malaise social et au Sud la crise identitaire. Cela n’est pas incompatible avec les régularités qui viennent d’être mises en évidence. Le malaise social est entretenu par l’absence de perspectives des jeunes au Nord et, au Sud, par l’insatisfaction d’une carrière qui n’a pas répondu aux attentes des plus âgés. Au Nord, c’est le futur qui semble bouché, au Sud, le passé qui paraît raté.

À droite : les jeunes seraient-ils conformistes ?

Si les électeurs âgés de moins de trente-cinq ans ont une préférence pour les listes écologistes et ceux de cinquante à soixante-quatre ans pour le RN, au-dessus de soixante-cinq ans, c’est la droite, donc LR, qui court en tête. Le contraste entre les âgés et les jeunes y est bien plus important qu’au RN. Les intentions de vote en faveur de LR, des personnes âgées de plus de soixante-cinq ans atteignent 40% contre 27% chez les moins de trente-cinq ans. Ce n’est pas une nouveauté. Déjà, avant le premier tour de la présidentielle, François Fillon était crédité de 29% des votes chez les âgés et de 15% chez les jeunes.

 

Figure 3-6. Votes pour les listes LR des jeunes (moins de trente-cinq ans) et des âgés (plus de soixante-cinq ans) prévus par les sondages aux élections municipales de 2020

La dispersion des pourcentages de jeunes qui votent à droite est très importante. Ils varient de 3% à Villeurbanne à 79% à Charleville-Mézières. La relation entre le vote à droite des jeunes et des âgés rappelle celle qu’on a observée pour le RN : croissance rapide du vote des âgés lorsque le vote des jeunes est faible, inférieur à 20% pour fixer les idées. On le voit sur la figure 3-5 construite sur le même principe que les précédentes. Au-delà de 30% de vote des jeunes, le vote déjà élevé des âgés progresse assez lentement. Pour comprendre la figure et la relation entre les deux populations de votants, jeunes et âgés, il faut inverser le graphique. On a, en effet, l’habitude de considérer que la quantité portée en ordonnée est « expliquée » par la quantité portée en abscisse. Ici, c’est l’inverse qui est sans doute vrai. La probabilité de vote à droite des jeunes dépend de celle des âgés. Sur la figure 3-6 de gauche, on a donc échangé les catégories portées en vertical et en horizontal de telle manière que c’est maintenant la proportion de jeunes voulant voter à droite qui paraît dépendre de celle des âgés. On voit que lorsque ces derniers sont peu nombreux à se prononcer pour Les Républicains, leur opinion n’a guère d’impact sur les jeunes générations. Il faut qu’ils atteignent une masse critique pour déclencher le vote à droite des jeunes. Mais un autre facteur exerce une influence prépondérante, la présence d’une liste conduite par le maire sortant. On a colorié en bleu foncé les villes où cela se produisait. La distribution des villes est littéralement coupée en deux. Au-dessous de 30% de vote des jeunes pour la droite, il n’y a aucune ville dont un maire de droite se représentait. Au-dessus de 30%, on retrouve toutes les villes où le maire de droite se représentait. On accuse souvent les personnes âgées de conservatisme, ce qui expliquerait leur propension à voter à droite. Au vu des résultats précédents, on peut accuser les jeunes de conformisme. Loin de contester le pouvoir local, ils le plébiscitent : quand un maire sortant de droite se représente, le vote des jeunes en sa faveur est de 20 points plus élevé que lorsque la compétition est plus ouverte.

Les municipales ont-elles aggravé l’épidémie ?

Jusqu’ici, l’on s’est demandé si la crainte de l’épidémie avait faussé le résultat du vote. On a montré que cela n’a vraisemblablement pas été le cas. Le phénomène politique et le phénomène biologique ont chacun suivi sa logique propre sans interférer. Mais, avec l’aggravation de l’épidémie dans les semaines qui ont suivi l’élection municipale, la question a été retournée : la participation au scrutin n’avait-elle pas accentué l’épidémie à cause des contacts lors du vote et surtout lors de son dépouillement et des congratulations qui l’ont souvent suivi ?

Faute d’un repérage de tous les participants à ces opérations et de la variété des situations, il n’est pas possible de le savoir directement. Des personnes dont la contamination est apparue après le vote pourraient en outre avoir été infectées avant lui. Maintenant que l’on dispose de statistiques sur les décès à l’hôpital qui sont sûres et surtout homogènes, il est possible de comparer le niveau de participation et la gravité de l’épidémie pour voir si un lien existe entre les deux.

Les décès pourraient avoir été plus fréquents là où la participation avait été la plus importante. En toute rigueur, si l’élection était la cause la plus importante de l’amplification de l’épidémie, les départements où l’on a le plus voté devraient être ceux qui ont été les plus atteints par la Covid-19. Comme les décès surviennent en moyenne près d’un mois après la contamination, pour savoir si elle s’est produite, on compare sur la figure 1 le nombre de décès pour mille habitants un mois après l’élection, le 14 avril, et le niveau de la participation. Force est de constater que les cartes de ces deux distributions n’ont presque rien en commun. Bizarrement, la relation semble même en sens inverse de ce qu’on attendrait : les départements où l’on a le plus voté ont souvent une plus faible mortalité par Covid-19, en particulier ceux d’un grand Sud-Ouest de la France (à l’exception légèrement de Bordeaux, de Toulouse et des Charentes). Le coefficient de corrélation entre les deux distributions confirme cette impression puisqu’il est assez nettement négatif (il vaut -0,408), ce qui indique une relation en partie inverse entre les deux phénomènes.

 

Figure 4-1. Comparaison entre le nombre de décès total par covid-19 pour 1000 habitants, le 14 avril, depuis le début de l’épidémie et le taux de participation à l’élection municipale du 15 mars 2020

Une objection peut être immédiatement soulevée. L’épidémie avait commencé avant l’élection. Comme sa croissance était exponentielle au début, les premiers départements touchés avaient pris de l’avance. La distribution des taux de mortalité le 14 avril dernier reflète cette avance. Si le déroulement des opérations électorales a eu un impact, on devrait constater un plus fort développement de l’épidémie durant la période où les décès que l’on pourrait leur imputer se sont produits, soit grosso modo dans les deux semaines autour du 14 avril 2020.

La carte du taux de mortalité durant cette période (figure 2) n’indique rien de tel. Elle ressemble à s’y méprendre à la carte de la gravité de l’épidémie le 14 avril. Là où les décès causés par la Covid-19 étaient nombreux, ils ont encore augmenté, là où ils étaient rares et même parfois absents, ils le sont restés. D’ailleurs, la corrélation entre le niveau de la participation électorale et le taux de mortalité entre le 7 et le 21 avril derniers est encore plus négative que la précédente (r=-0,434).

 

Figure 4-2. Nombre total de décès par million d’habitants entre le 7 et le 21 avril 2020

En fait, ce n’est pas le nombre de décès supplémentaires qui devrait refléter l’influence éventuelle de la participation aux opérations de vote, mais le taux de croissance du nombre de décès, donc le rapport des décès entre le 7 et le 21 avril 2020 aux décès cumulés du début de l’épidémie jusqu’au 7 avril. En supposant qu’indépendamment du vote, la croissance du nombre de décès ait été partout la même (mais pas leur nombre, qui dépend de l’importance des premiers clusters), l’arrivé de nouveaux cas causés par les opérations électorales augmenterait la croissance du nombre de décès en proportion du nombre de votants. Le taux de croissance du nombre de décès au cours de cette quinzaine est de 89%. L’écart entre le nombre observé dans chaque département et celui qu’on aurait observé si la croissance moyenne avait été de 89% dans chaque département mesure l’effet des autres facteurs, dont la participation à l’élection municipale est l’un d’eux. Comme l’effet de cette participation doit être proportionnel au nombre de votants en première approximation, on divise l’écart par le nombre des votants. La carte de la figure 3 représente cet écart en nombre de cas pour 100 000 votants. L’amplitude est considérable : de +33 décès pour 100 000 votants dans les Ardennes à -140 décès dans le Bas Rhin.

 

Figure 4-3. Écart entre le nombre de décès observés pour 100 000 habitants entre le 7 et le 21 avril 2020 et l’estimation de ce nombre par progression constante (89% de décès en plus que ceux cumulés du début de l’épidémie jusqu’au 7 avril)

La distribution qui apparaît n’a pas de rapport avec la géographie politique. Elle est une expression fidèle de la progression de l’épidémie. La croissance du nombre de décès a été plus faible là où les premiers clusters sont apparus car les mesures de contrôle ont été appliquées plus tôt : Bas-Rhin et les départements voisins, Oise et la Picardie, Morbihan, Corse du sud. Seul manque de peu le cluster savoyard. Dans tous les autres clusters, l’écart entre le nombre de décès observé et ce qu’il devrait être en cas de croissance homogène sur tout le territoire est négatif. Inversement, là où l’épidémie s’est déclarée plus tard, l’écart est nettement positif, en particulier dans l’est de l’Île-de-France et dans les départements voisins ainsi qu’en Champagne, en Bourgogne et dans le Sud-Est. Enfin là où l’épidémie n’avait pas encore vraiment pris pied, dans un grand Sud-Ouest, l’écart est légèrement négatif sauf au voisinage de l’Espagne où des clusters sont sans doute apparus précocement.

Le cas de l’Île-de-France est intéressant. L’écart le plus négatif est celui du Val-d’Oise, limitrophe de l’Oise où l’un des premiers clusters s’était développé, puis on trouve les Yvelines, ensuite les Hauts-de-Seine, Paris, puis avec des écarts positifs, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, l’Essone, et finalement la Seine-et-Marne où l’écart positif est le plus fort dans ce département le plus éloigné du cluster du sud de l’Oise.

Si les bureaux de vote avaient favorisé la contamination, une telle géographie serait difficilement compréhensible. L’écart devrait être plus important là où la participation a été plus élevée puisque s’ajouteraient, à la croissance proprement épidémique de 89% de l’effectif au 7 avril dernier, les décès causés par la fréquentation du bureau de vote. Or aucune influence de ce type n’est perceptible, la corrélation entre le taux de participation à l’élection municipale et le surplus de décès par rapport à ceux dus au développement endogène de la contamination étant pratiquement nulle (r=0,093). Pour être certain du fait, il faut passer par un modèle, d’ailleurs très simple. En fonction de ce qui précède, l’hypothèse d’une influence de l’élection municipale s’écrit en effet :

Décès entre le 7 et le 21 avril = K. décès cumulés jusqu’au 7 avril + K1. nombre de votants

Les paramètres K et K1 sont déterminés en minimisant l’écart entre les deux membres de la formule. Le meilleur ajustement est obtenu pour K=0,85 et K1 = 6/100 000. Par exemple, le nombre de décès depuis le début de l’épidémie étant de 83 dans la Côte d’Or et le nombre de votants, 187 000, le nombre de décès estimé par la formule est de :

0,85 . 83 + 0,00006 . 187 000 = 82 décès

Or on a observé 95 décès. L’écart est donc de +13 décès. On peut constater sur la carte de la figure 3 que la Côte d’Or figure bien parmi les départements ayant un écart nettement positif.

Ce calcul ne doit pas faire illusion pour deux raisons. D’abord, la variabilité liée au nombre de votants ne s’élève qu’à 2% de la variabilité totale, tandis que la variabilité liée à l’effectif de décès atteint le 7 avril dernier capture 86,5% de la variabilité totale. Dit autrement, avec 2% de la variabilité totale, le nombre de votants ne représente que le septième de la variabilité restante et le quarantième de la variabilité imputable au développement endogène de l’épidémie La seconde raison est déterminante. Ce n’est pas le nombre de votants qui compte, mais l’effectif total de la population. Si on remplace, dans la formule, les votants par la population totale, l’ajustement est un tout petit peu meilleur (2,2% de la variabilité totale au lieu de 2% avec les votants). Ce qu’on tendait à attribuer d’abord au pourcentage de votants est en réalité causé par l’effectif de la population totale. Le fait que la population des départements ait une influence (légère) sur la croissance du nombre de décès n’est pas étonnant. On sait en effet que la densité accroît légèrement la circulation de l’épidémie car les contacts sont plus fréquents et plus serrés dans les grandes agglomérations que dans l’espace rural. Or, la population des départements qui contiennent tout ou partie d’une grande agglomération est inévitablement plus importante que celle des départements ruraux. L’influence du nombre de votants est donc entièrement imputable à celle de la population totale et non pas au taux de participation à l’élection municipale.

La seule manière de défendre l’idée d’une contamination au sein des bureaux de vote est de supposer qu’elle varierait en proportion directe de la progression de l’épidémie, donc posséderait la même géographie. Cela n’est pas exclu, la contamination n’a pas de raison d’être au même niveau dans tous les bureaux de vote. Au  contraire, elle doit dépendre du risque de présence de contaminés parmi les votants ou les assesseurs, donc du niveau de l’épidémie dans le département considéré : risque élevé dans le Bas-Rhin ou à Paris, risque faible dans la Haute-Garonne ou les Côtes d’Armor. En ce cas, il est impossible de mettre en évidence un impact local de la tenue de l’élection puisque son effet ne serait pas séparable de la dynamique générale de l’épidémie, c’est-à-dire, dans le cas présent, du nombre cumulé de décès au 14 avril 2020 dans chaque département. Le seul moyen qui reste pour accuser l’élection municipale d’un surcroît de contagion est une accélération du nombre des décès un mois plus tard. Or, au contraire, dès la mi-avril 2020, ce nombre décélère.

Comme souvent en matière humaine, la vérité n’est pas aussi tranchée. Des cas de contamination se sont sans doute produits dans certains bureaux de vote mais, d’une part, ils ne doivent pas avoir été très nombreux, étant donné la durée d’exposition au risque et les précautions prises, d’autre part, et c’est l’essentiel, ces cas n’ont pas donné naissance à des clusters car le confinement a été mis en place deux jours plus tard. Or c’est l’existence de clusters se développant pendant un temps relativement long sans qu’ils soient détectés qui explique les énormes différences d’incidence de l’épidémie, donc de la mortalité par la Covid-19 selon le département. En conclusion, peut-être quelques cas, mais pas d’influence sur le déroulement de l’épidémie.

Conclusion

En conclusion, il faut d’abord rappeler que les 39 villes étudiées ici ne constituent pas un échantillon représentatif de la population française, ni même de la population urbaine. Les grandes villes y sont surreprésentées avec huit capitales de région sur douze (sans la Corse) et plusieurs villes moyennes dont trois capitales d’anciennes régions. Les petites villes et les communes rurales sont hors champ. Malgré ce défaut qui empêche de tirer des conclusions sur l’audience des partis à l’échelle nationale, des faits nouveaux ont pu être mis en évidence. D’abord, en dehors d’une baisse générale de la participation, l’absence d’interférence de l’épidémie avec les équilibres politiques actuels et leurs lents déplacements. La France est apparue relativement figée, incapable encore d’intégrer l’accident à ses mécanismes politiques, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de la surprise causée par l’événement.

Du coup, les évolutions de l’électorat se sont poursuivies et plusieurs traits saillants sont apparus. Alors que la polarité traditionnelle qui oppose la droite à la gauche reste très active, une autre polarité se profile, non pas indépendamment, mais plutôt décalée ou clivée, celle des écologistes et des frontistes dont les clientèles tendent à se dissocier, les hommes au front, les femmes chez les Verts, les jeunes aux côtés de l’écologie, les adultes mûrs du côté du FN, les uns et les autres entraînant le reste de l’électorat lorsque leur emprise est devenue suffisante. De l’opposition des trois dernières années entre l’ancien monde des partis et le nouveau monde animé par Emmanuel Macron, on ne trouve guère de trace. On pourrait dire qu’il est encore trop tôt pour que le jeune mouvement des marcheurs s’implante localement et que le score moyen de 12,5% des listes qu’il a présentées en son seul nom n’est pas négligeable. Mais on peut aussi penser que ses alliances systématiques avec la droite l’ont rejeté de ce côté du spectre politique et l’ont fait rentrer dans un jeu qu’il prétendait clore.

Annexe : liste des villes dont les sondages ont été utilisés dans la note

Aix-en-Provence : mars 2020

Amiens : janvier 2020

Avignon : février 2020 

Beauvais : janvier 2020

Béziers : février 2020

Blois : février 2020

Bordeaux : février 2020

Bruay-la-Bussière : février 2020

Calais : février 2020

Charleville : février 2020

Dijon : février 2020

Épinal : janvier 2020

Fréjus : février 2020

Grasse : février 2020

Hyères : mars 2020

La Seyne-sur-Mer : février 2020

Le Havre : mars 2020

Lens : février 2020

Lille : février 2020

Lyon : janvier 2020

Marseille : mars 2020

Maubeuge : février 2020

Menton : mars 2020

Metz : février 2020

Millau : février 2020

Montpellier : février 2020

Montreuil : février 2020

Nice : février 2020

Nîmes : février 2020

Paris : février 2020

Perpignan : 7 janvier 2020

Poitiers : février 2020

Reims : février 2020

Saint-Étienne : février 2020

Strasbourg : janvier 2020

Toulouse : février 2020

Tours : février 2020

Troyes : février 2020

Villeurbanne : février 2020

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