Ohio : « Swing State » décisif pour 2020

Malgré le contexte sanitaire très critique aux États-Unis, la campagne électorale se poursuit et le retrait des primaires démocrates de Bernie Sanders a fait de Joe Biden l’adversaire de Donald Trump en novembre prochain. À l’approche du scrutin, Renan-Abhinav Moog propose une analyse électorale historique de différents États, afin de saisir les rapports de force politiques locaux, décisifs quant à l’issue du scrutin fédéral. Après le Vermont, l’Alaska, la Floride, le Texas, la Californie, le Wyoming et l’Illinois, huitième volet : l’Ohio.

Septième État le plus peuplé du pays et Swing State par excellence, l’Ohio est situé au cœur de la Rust Belt et, même si son industrie n’est plus aussi florissante que par le passé, demeure le troisième plus grand État industriel du pays. L’Ohio a également la réputation – bien méritée – d’être un Bellwether (pionnier, modèle). Et pour cause : depuis 1896, il a voté pour le vainqueur de chaque scrutin présidentiel, excepté ceux de 1944 et 1960. Il est également un des neuf derniers États à avoir une délégation partagée au Sénat, en l’occurrence un sénateur démocrate et un républicain, et ce, depuis 2006.

Au XVIIIe siècle, les premiers colons français s’installent sur le territoire correspondant à l’actuel Ohio, attirés par le commerce des fourrures des loups, castors et lynx abondants dans la région. Mais les Britanniques, implantés non loin de là, au niveau des actuelles Pennsylvanie et Virginie occidentale, convoitent la même zone. Des premières tensions éclatent dans la vallée de l’Ohio en 1754 : c’est la Guerre de la conquête, qui oppose les Britanniques aux Français et leurs alliés amérindiens. Cette guerre se termine en 1763 par la signature du Traité de Paris : l’Ohio, tout comme l’Est de la Nouvelle-France, passent sous contrôle britannique. Cette immense zone, qui s’étend du nord de l’actuel Wisconsin à la Floride, cédée par les Espagnols, est transformée en réserve indienne.

En 1783, le second Traité de Paris donne leur indépendance aux Treize colonies, qui forment les États-Unis d’Amérique. L’Indian Reserve passe sous contrôle américain et en 1787, le territoire – qui comprend les actuels Ohio, Indiana, Illinois, Michigan, Wisconsin et une petite partie du Minnesota – est administré sous le nom de Territory Northwest of the River Ohio. En 1803, l’Ohio devient le 17e État de l’Union ; il ne compte alors qu’un peu plus de 45 000 habitants.

Cleveland, fondée en 1796 sur la rivière Cuyahoga et au bord du lac Erie, et très proche de la Pennsylvanie voisine, devient très vite un centre industriel, notamment dans l’exploitation pétrolière, la construction automobile et la métallurgie.

À l’heure actuelle, l’Ohio est le deuxième État le plus producteur d’automobiles, derrière le Michigan. Y sont notamment implantés General Motors, Honda, Daimler-Chrysler et Ford. Depuis 1941, la NASA est installée à Cleveland, via le Glenn Research Center, nommé ainsi en l’honneur de John Glenn, astronaute et sénateur. Enfin, l’agriculture occupe toujours une part importante dans l’économie de l’État. 

Les principales agglomérations sont Cincinnati, située au sud de l’État, à la frontière avec le Kentucky (où se situent les banlieues sud de la ville), Columbus – la capitale, au centre de l’État, ainsi que Toledo et Cleveland, au bord du lac Erie, la première, à quelques encablures du Michigan voisin, la seconde proche de la Pennsylvanie.

Les Afro-Américains représentent 16,4% de la population de l’État mais ils sont concentrés dans les grandes villes. Ainsi, ils représentent 31,5% de la population d’Akron, 24,2% de celle de Canton, 27,2% à Toledo, 28% à Columbus, 42,9% à Dayton, 44,8% à Cincinnati et jusqu’à 50,4% à Cleveland.

En 1944, si Franklin Delano Roosevelt ne remporte que 14 des 88 comtés, il s’impose notamment à Cuyahoga (Cleveland, où il dépasse les 60%), Summit (Akron), Montgomery (Dayton) et Stark (Canton), qui font partie des sept comtés les plus peuplés, ce qui lui permet de s’incliner avec un écart très faible, face à Thomas Dewey. Celui-ci, de son côté, s’impose à Lucas (Toledo), Franklin (Columbus, qui avait voté pour Roosevelt en 1936 et 1940) et Hamilton (Cincinnati), avec des scores assez serrés : 50,4%, 52,6% et 51,8%. Sur plus de trois millions de votes, seules 11 530 voix séparent les deux candidats, Thomas Dewey l’emportant avec 50,2% des suffrages et empochant les 25 grands électeurs de l’État.

En 1948, la partie est encore plus serrée mais elle tourne cette fois-ci à l’avantage du démocrate Harry Truman. Il remporte 49,5% des voix contre 49,2% à son adversaire, qu’il bat avec 7107 voix d’avance sur 2,9 millions de bulletins. Harry Truman remporte 22 comtés dont Montgomery (55,7%), Summit (55,4%), Cuyahoga (52,6%) et Lucas (51,9%) mais ne parvient à faire basculer ni Franklin ni Hamilton.

En 1952, l’Ohio vote plus franchement pour Dwight Eisenhower, lequel remporte 56,8% des voix contre 43,2% à Adlai Stevenson, lequel ne conserve que six comtés, parmi lesquels Jefferson et Summit. Dwight Eisenhower remporte notamment 50,3% à Cuhahoga, un comté qui n’avait pas voté pour le GOP (Grand Old Party, Parti républicain) depuis 1928.

Candidat à sa réélection en 1956 et retrouvant Adlai Stevenson sur sa route, Dwight Eisenhower balaye son adversaire. Il remporte 61,1% des voix contre 38,9% au démocrate, qui ne l’emporte que dans un seul comté. Pourtant, le même jour, les démocrates gagnent le siège de sénateur mis en jeu : Frank Lausche – gouverneur de l’État entre 1945 et 1947 puis depuis 1949 – bat le sortant George Bender, avec 52,9% contre 47,1%.

Deux ans plus tard, les démocrates mettent la main sur le second siège de sénateur, lorsque Stephen Young bat le sortant John Bricker, avec 52,5% contre 47,5%. En deux ans, l’Ohio passe d’une délégation comprenant deux sénateurs GOP à deux sénateurs démocrates. Le même jour, les démocrates remporte le siège de gouverneur, grâce à la large victoire de Michael DiSalle sur le sortant C. William O’Neill (56,9% contre 43,1%). À noter qu’un amendement à la Constitution de l’Ohio a fait passer la durée du mandat de gouverneur de deux à quatre ans en 1957.

En 1960, l’Ohio ne renoue pas avec les scrutins serrés. Vice-président sortant, Richard Nixon recule légèrement, mais remporte tout de même 53,3% des voix face à John F. Kennedy, qui obtient 46,7%. Ce dernier remporte huit comtés, parmi lesquels Cuyahoga (59,8%), Lucas (52,1%) et Summit (50,4%).

Après le recensement de 1960, l’Ohio a gagné un grand électeur supplémentaire, retrouvant ainsi ses 26 grands électeurs qu’il avait jusqu’en 1940.

En 1962, le démocrate Frank Lausche est largement réélu au Sénat, avec 61,6%. Pourtant, le gouverneur, lui aussi démocrate, Michael DiSalle, est sèchement battu par le républicain Jim Rhodes, lequel remporte 58,9% des voix. 

En 1964, l’État vote très largement pour Lyndon B. Johnson, qui obtient un score sans appel : 62,9% et s’impose dans tous les comtés sauf cinq. À Cleveland, Johnson obtient 71,5% des voix. Il fait basculer Columbus, où il remporte 54,1%, ainsi que Cincinnati (55,3%). Il obtient plus d’un million de voix d’avance sur Barry Goldwater. Pourtant, Stephen Young, candidat à sa réélection au Sénat, connaît une soirée électorale plus difficile. Il ne remporte finalement un deuxième mandat qu’avec 16 827 voix de majorité, obtenant 50,2% contre 49,8% à son adversaire GOP, Robert Taft Jr., fils de l’ancien sénateur, en poste de 1939 à 1953, Robert Taft, et petit-fils du 27e président des États-Unis, William Taft.

Deux ans plus tard, le gouverneur Jim Rhodes retrouve facilement son siège, en remportant 62,2% des voix et 87 des 88 comtés.

Le retour de balancier présidentiel se produit dès 1968 : Richard Nixon dépasse de 90 000 voix son rival démocrate, Hubert Humphrey, tandis que George Wallace – démocrate mais candidat indépendant cette année-là – obtient de son côté 11,8%. Humphrey évite le décrochage, en remportant Cleveland, Toledo, Akron et Dayton, tandis que Ricahrd Nixon s’impose à Columbus, Cincinnati et Canton. Traditionnellement, la rivière Ohio, qui délimite la frontière méridionale entre l’Ohio et le Kentucky, a marqué plus largement la limite entre nord et sud. Cette influence sudiste sur le sud de l’État permet à Wallace d’y remporter son meilleur succès du Midwest. Il obtient d’ailleurs ses meilleurs scores dans trois comtés du sud, dont deux frontaliers du Kentucky.

Les démocrates font également les frais de ce retour de balancier au Sénat : alors qu’il était candidat à sa réélection, Frank Lausche est battu lors de la primaire démocrate par John Gilligan (dont la fille, Kathleen Sibelius, deviendra gouverneure du Kansas en 2002). Lâché par Frank Lausche, John Gilligan s’incline lors de l’élection générale, en ne remportant que 48,5% contre 51,5% au républicain William Saxbe.

Robert Taft Jr. prend sa revanche deux ans plus tard, alors que Stephen Young n’était pas candidat – par prudence – à un troisième mandat. Il s’impose de peu face au démocrate Howard Metzenbaum, qu’il bat avec 49,7% contre 47,5%. Metzenbaum s’était lui-même imposé avec une faible marge lors de la primaire démocrate face à John Glenn, l’ancien astronaute. De son côté, John Gilligan devient gouverneur, en remportant 54,2% des voix, contre 43,4% au candidat GOP.

Richard Nixon est triomphalement réélu en 1972, tandis que l’Ohio est repassé à 25 grands électeurs suite au recensement de 1970. Il remporte 59,6%, loin devenant George McGovern qui culmine à 38,1% et ne remporte que deux comtés. Richard Nixon l’emporte avec près de 883 000 voix d’avance.

Howard Metzenbaum devient sénateur en janvier 1974, après la démission de William Saxbe, qui devient procureur général des États-Unis. Il est nommé à ce poste par le gouverneur élu en 1970, le démocrate John Gilligan. William Saxbe ayant été élu en 1968, son mandat se termine en janvier 1975 et l’élection de son successeur doit avoir lieu en novembre 1974. Candidat à sa réélection, Howard Metzenbaum est battu par John Glenn, qui remporte 54,4% des voix lors de la primaire démocrate. John Glenn a ensuite facilement raison de son adversaire GOP, le maire de Cleveland Ralph Perk, qu’il bat avec 64,6% et en remportant l’intégralité des 88 comtés de l’État.

Lors des midterms de 1974, le GOP récupère le siège de gouverneur, grâce à l’élection de Jim Rhodes face au sortant, John Gilligan. L’élection est particulièrement serrée : Rhodes remporte 48,6% contre 48,3% au sortant, soit moins de 11 500 voix d’avance sur plus de 3 millions de bulletins.

En 1976, les démocrates parviennent – sur le fil – à remettre la main sur l’Ohio et ses précieux 25 grands électeurs. Sur 4,1 millions de suffrages, l’avance de Jimmy Carter sur Gerald Ford n’est que de 11 116 voix. Le candidat démocrate s’impose largement à Summit (59,1%), Lucas (56,4%), Cuyahoga (56%) et plus timidement à Montgomery (50,4%). Gerald Ford, de son côté, conserve aisément Franklin (55,7%) et Hamilton (59,8%). Howard Metzenbaum, de son côté, profite du scrutin sénatorial du même jour pour battre le sortant Robert Taft Jr. et ainsi récupérer un siège au Sénat. Il remporte 49,5% contre 46,5% au sortant, qui démissionne dès le 28 décembre, permettant ainsi au nouveau sénateur d’entrer en fonction dès le 29 décembre 1976 et de gagner quelques jours de séniorité sur ses collègues élus en novembre.

Le scrutin pour l’élection du gouverneur de novembre 1978 est également serré mais tourne à l’avantage du sortant GOP Jim Rhodes, qui est réélu avec 49,3% contre 47,6% au démocrate Dick Celeste.

La concurrence de l’indépendant John B. Anderson ne handicape nullement Ronald Reagan en 1980. Avec 51,5% des voix, il s’impose nettement face au président sortant, qui ne recueille que 40,9%. Jimmy Carter ne remporte que dix comtés et laisse échapper Lucas, où Ronald Reagan s’impose avec 45,3%, tandis que John Anderson y obtient son deuxième meilleur score avec 8,7%. La partie est également serrée à Montgomery, mais Jimmy Carter l’emporte avec 47,1% contre 45,5% à Ronald Reagan.

Howard Metzenbaum est réélu pour un deuxième mandat sénatorial en 1982, en remportant 56,7% des voix contre 41,1% au républicain Paul Pfeifer. Les démocrates remettent la main sur le poste de gouveneur, grâce à la nette victoire par 59% de Dick Celeste, face au républicain Bud Brown.

Ronald Reagan obtient 58,9% en 1984, tandis que l’Ohio ne conserve plus que 23 grands électeurs. Il remporte 82 des 88 comtés, ne laissant à son opposant que Cleveland et cinq comtés frontaliers de la Pennsylvanie et de la Virginie occidentale. Cette contre-performance de Jimmy Carter ne gêne nullement John Glenn. Candidat à un deuxième mandat au Sénat, il obtient 68,8%, remporte 87 des 88 comtés et gagne avec une marge impressionnante de 1,6 million de voix.

En 1986, malgré le raz-de-marée GOP deux ans plus tôt et le retour sur la scène politique de l’ancien titulaire du poste, Jim Rhodes, le démocrate Dick Celeste se maintient au poste de gouverneur, en remportant 60,6% des suffrages.

L’écart se resserre légèrement en 1988, sans toutefois permettre un renversement de tendance. Vice-président sortant, George H. Bush remporte 55% des voix contre 44,2% à Michael Dukakis. Celui-ci remporte Toledo et Cleveland, ainsi que qu’une bande de huit comtés frontaliers à l’Est de l’État. Le même jour, Howard Metzenbaum remporte assez facilement son troisième mandat sénatorial, obtenant 57% des voix contre 42,3% à George Voinovich, maire républicain de Cleveland.

George Voinovich retente sa chance en 1990, cette fois lors de l’élection du gouverneur. Profitant du retrait du sortant démocrate, il s’impose avec 55,7% contre 44,3% seulement à son adversaire.

En 1992, les démocrates profitent du combat à trois, imposé par l’indépendant Ross Perot, pour regagner un État qu’ils n’avaient pas remporté depuis 1976. Toutefois, l’Ohio ne dispose plus que de 21 grands électeurs. Bill Clinton remporte 40,2% des voix, devançant d’un peu plus de 90 000 voix le président sortant, à 38,4%. De son côté, Ross Perot obtient 21%. Bill Clinton remporte Cuyahoga avec 52,7% et s’impose à Lucas (49,3%), Summit (44,7%), Montgomery (41,3%) et Stark (40%). À Franklin, il obtient 39,7% et est distancé de près de 10 000 voix par George Bush, qui remporte Hamilton avec 47,7%.

De son côté, John Glenn, candidat à un quatrième mandat, est opposé au républicain Mike DeWine ainsi qu’à une candidate du mouvement marxiste-léniniste Workers World. Glenn retrouve son mandat mais n’obtient que 51% des voix, contre 42,3% à Mike DeWine et 6,7% à Martha Grevatt, un score élevé pour un parti marxiste-léniniste. Mike DeWine, lieutenant-gouverneur, profite du retrait d’Howard Metzenbaum en 1994 et de la Republican Revolution pour se faire élire au Sénat. Il remporte 53,4% des voix contre 39,2% au démocrate Joel Hyatt – par ailleurs gendre du sénateur sortant – et 7,3% à l’indépendant Joe Slovenec. Le même jour, George Voinovich retrouve facilement son siège de gouverneur, avec 71,8% des voix, tandis que le démocrate Rob Burch n’en réunit que 25%.

Candidat à sa réélection en 1996, Bill Clinton creuse l’écart avec son concurrent républicain, Bob Dole. Il obtient 47,4% contre 41% à Robert Dole, tandis que Ross Perot, à nouveau candidat, ne remporte plus que 10,7% des voix. Cuyahoga lui procure près de 178 000 voix d’avance. Il remporte également Lucas (57,7%), Summit (52,1%), Montgomery (50%) et Stark (6,4%) et, surtout, il réussit à faire basculer Franklin, où il remporte 48,1% des voix contre 44,6% à Bob Dole. Sur les sept comtés les plus peuplés, Dole ne remporte que Hamilton (Cincinnati) où il s’impose avec 50,1%, soit sept points d’avance sur Bill Clinton.

En 1998, c’est au tour de John Glenn de se retirer, après cinq mandats au Sénat. Son retrait profite au républicain George Voinovich, qui est facilement élu avec 56,5% contre 43,5% à la démocrate Mary Boyle. George Voinovich parti au Sénat, c’est un républicain au patronyme célèbre, Bob Taft III, qui lui succède en devenant le 67e gouverneur de l’Ohio. Il obtient 50% des voix contre 44,6% au démocrate Lee Fisher.

En 2000, George W. Bush réussit à faire basculer l’Ohio. Grâce à d’excellents scores dans la moitié ouest de l’État, il distance Al Gore d’un peu plus de 165 000 voix, remportant ainsi 50% contre 46,5% à Al Gore. Celui-ci remporte 16 comtés sur 82 et obtient son meilleur score – 62,6% – à Cuyahoga. George Bush, de son côté, s’impose dans 11 des 19 districts. Il obtient 56% dans le 6e, représenté par le démocrate Ted Strickland et 50% dans le 13e, dont le représentant est Sherrod Brown, lui aussi démocrate. Toutefois, Al Gore réussit à distancer George Bush dans les 1er et 19e districts, dont les représentants sont GOP. Le même jour, le sénateur Mike DeWine remporte un deuxième mandat, devenant ainsi le premier républicain à avoir été réélu depuis 1952. Il s’impose nettement, obtenant 59,9%, soit 24 points d’avance sur son opposant démocrate.

En 2002, Bob Taft est largement réélu gouverneur, en remportant 57,8% des voix contre 38,3% au démocrate Tim Hagan.

Si le scrutin de 2000 avait mis le projecteur sur la Floride, celui de 2004 met en lumière l’Ohio. En effet, George Bush ne s’y impose qu’avec 118 775 voix d’avance sur John Kerry, sur 5,6 millions de bulletins. Or, si John Kerry avait remporté l’Ohio et ses 20 grands électeurs, il aurait distancé George Bush au sein du Collège électoral en remportant 272 grands électeurs contre 266 à George Bush. John Kerry obtient 66,6% des voix à Cleveland et remporte facilement Lucas, Summit et Franklin – signe de la montée en puissance des démocrates en zone urbaine. La partie est plus serrée à Montgomery et Stark que John Kerry remporte avec 50,6%. Enfin, George Bush devance son adversaire à Hamilton, où il obtient 52,5%. De son côté, George Voinovich est triomphalement réélu sénateur : il obtient 63,9% des voix et remporte les 88 comtés de l’État.

Pourtant, deux ans plus tard, son collègue Mike DeWine mord la poussière face au démocrate Sherrod Brown, lequel remporte 56,2% des voix contre seulement 43,8% au sortant. Mike DeWine signe une piètre performance à Cincinnati (Hamilton county) où il n’obtient que 2000 voix d’avance. Le même jour, les démocrates triomphent encore plus largement lors de l’élection du gouverneur, alors que Bob Taft était inéligible à un troisième mandat. Ted Strickland obtient 60,5% des voix contre 36,6% au candidat GOP. Là encore, le candidat GOP ne remporte Hamilton qu’avec environ 2000 voix d’avance.

C’est d’ailleurs grâce à Hamilton que Barack Obama parvient à remporter l’Ohio en 2008. Alors que le comté, dont le siège est Cincinnati, avait voté à 52,5% pour George Bush en 2004, Barack Obama y obtient 53% quatre ans plus tard. Ce renversement – depuis 1940, Hamilton n’avait voté démocrate qu’à une seule reprise, en 1964 – lui permet de s’imposer au niveau de l’État avec 51,5% contre 46,9% à John McCain. Il confirme la percée démocrate à Columbus, entamée dès 1996, où il obtient 59,7%. Barack Obama remporte facilement les zones traditionnellement démocrates : Cleveland et les comtés voisins de la Pennsylvanie. Il remporte également tous les comtés côtiers du lac Erie.

Le retrait de George Voinovich en 2010 ne profite nullement aux démocrates, alors que le contexte national leur est fortement défavorable. Rob Portman, ancien représentant, a facilement raison du lieutenant-gouverneur démocrate Lee Fisher : il est élu avec 56,8% contre 39,4% à son adversaire. De son côté, le gouverneur Ted Strickland affronte un candidat de poids, en la personne de John Kasich, alors que l’Ohio a été frappé de plein fouet par la crise financière de 2008. Après une nuit électorale ayant vu une remontée de Ted Strickland, grâce aux résultats de Cleveland, c’est finalement John Kasich qui l’emporte avec deux points d’avance, remportant 49% contre 47% au sortant.

L’écart entre Barack Obama et Mitt Romney se resserre légèrement en 2012, mais Barack Obama, avec 50,7%, demeure au-dessus des 50%, tandis que Mitt Romney n’obtient que 47,7%. L’Ohio ne pèse plus que 18 grands électeurs. Barack Obama ne remporte que 17 des 88 comtés, mais il s’impose dans les plus peuplés. Dans les Appalaches – sud-est de l’État – Mitt Romney remporte tous les comtés, exceptés Athens, où se situe l’Université de l’Ohio, par ailleurs premier employeur du comté. Il s’impose dans trois comtés – Belmont, Jefferson et Monroe – qui n’avaient pas voté GOP depuis 1972, signe de changements de comportement électoral majeurs en zone rurale, changements qui coûteront quatre ans plus tard la victoire à Hillary Clinton.

Barack Obama signe une belle performance dans les comtés urbains : 69,5% à Cuyahoga, 65,2% à Lucas, 60,8% à Franklin, 57,3% à Summit, 52,6% à Hamilton et 51,7% à Montgomery. À Stark (Canton), il obtient 49,5% contre 49,1% à Mitt Romney. Cleveland lui apporte plus de 256 000 voix d’avance, soit largement plus que ses 166 220 voix d’avance au niveau de l’État, sur plus de 5,5 millions de bulletins. Alors que les républicains espéraient battre le sénateur démocrate Sherrod Brown, jugé trop à gauche pour un État comme l’Ohio, le démocrate remporte un deuxième mandat, avec un score légèrement en retrait de 50,7%. Il distance toutefois de six points son adversaire républicain, Josh Mandel.

En 2014, John Kasich est facilement réélu face au démocrate Ed FitzGerald, lequel ne remporte que deux comtés, Athens et Monroe, bastion historique des démocrates dans l’État. John Kasich est réélu avec 63,6% contre 33% à Ed FitzGerald.

Le retour de balancier est violent en 2016, faisant de l’Ohio le deuxième État où la différence entre la marge de victoire de Barack Obama en 2012 et celle de Donald Trump en 2016 est la plus forte, après l’Iowa. Tandis que Donald Trump remporte 51,7%, Hillary Clinton plonge et n’obtient que 43,6%.

Si l’ex-Première dame obtient de bons scores dans les centres urbains (66% à Cuyahoga, 60,4% à Franklin, 56,1% à Lucas, 52,7% à Hamilton, 52% à Summit) et universitaire (55,6% à Athens), elle recule dans les villes de moindre importance, perdant ainsi Dayton (47,2% contre 48%) et Canton où elle ne remporte que 38,9%. Son recul est extrêmement fort en zone rurale, ainsi en témoignent les trois comtés traditionnellement démocrates des Appalaches, qui avaient voté Mitt Romney en 2012, après quarante ans de victoires consécutives des démocrates. À Belmont, où Mitt Romney avait obtenu 52,9% contre 44,7% à Barack Obama, Hillary Clinton plonge à 28% contre 67,4% à Donald Trump. À Jefferson (51,3% pour Mitt Romney, 46,4% pour Barack Obama), Donald Trump obtient 65,2%, Hillary Clinton seulement 29,9%. Enfin, à Monroe, Donald Trump améliore le score de Mitt Romney (52,3%) en remportant 71% des voix tandis que Hillary Clinton dégringole de 44,8% à 24,3%. Ce dernier comté était pourtant l’un des deux seuls à avoir voté pour l’opposant démocrate à John Kasich, lors de l’élection du gouverneur organisée deux ans plus tôt. Au total, Donald Trump fait basculer neuf comtés qui avaient voté pour Barack Obama en 2012, ce qui lui permet de remporter 80 des 88 comtés. Il s’impose dans 12 des 16 districts, les 12 ayant un représentant GOP.

Les démocrates, soucieux de reconquérir le Sénat en 2016 (et sûrs de la victoire de Hillary Clinton), ont misé sur l’ancien gouverneur Ted Strickland pour détrôner le sénateur sortant Rob Portman. Toutefois, la popularité de Ted Strickland s’avère insuffisante pour contrer un candidat républicain galvanisé par la victoire de Donald Trump. Rob Portman est réélu avec 58% contre seulement 37,2% à son adversaire.

En 2018, Sherrod Brown est à son tour réélu pour un troisième mandat avec 53,4% contre 46,6% au représentant GOP Jim Renacci. Alors que les démocrates espéraient profiter du retrait de John Kasich pour s’emparer du poste de gouverneur – dans un État où le découpage des districts congressionnels leur est défavorable –, c’est finalement Mike DeWine qui réussit son retour en obtenant 50,4% des voix, face au démocrate Richard Cordray (46,7%). Cette victoire illustre parfaitement bien le problème majeur des démocrates pour novembre prochain : ils ont perdu le vote des zones rurales. Ainsi, Ricahrd Cordray ne s’est imposé que dans neuf comtés, dont les très urbains Cuyahoga, Lucas, Hamilton, Franklin, Summit et Athens.

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