Perpignan, une ville avant le Front national ?

Perpignan est la seule ville de plus de 100 000 habitants où le FN est arrivé en tête au premier tour des municipales de 2014, échouant pourtant au second. Comment expliquer la tentation frontiste de la ville, marquée par la paupérisation et de forts antagonismes ethniques ? Une étude locale à valeur nationale.

Jérôme Fourquet, Sylvain Manternach et Nicolas Lebourg livrent ici une étude qui éclaire les raisons et les fondements du vote frontiste à Perpignan lors des municipales 2014. Louis Aliot, vice-président du Front national, est arrivé en tête au premier tour avec 34,1% des suffrages face à l’UMP Jean-Marc Pujol (29,8%) et au candidat de la gauche Jacques Cresta (12%).

La ville de Perpignan fait face à des difficultés socioéconomiques nombreuses et très marquées dans l’espace urbain. Elle se trouve à la cinquième place des villes les plus pauvres de France, juste derrière Béziers où Robert Ménard a été élu maire. Quant à l’inégalité en termes de répartition de la richesse, elle se situe à la quatrième place (et devant Béziers) des villes les plus inégalitaires.

Plus concrètement, Perpignan a été en proie à une double déconstruction : sociale et politique. En effet, les émeutes interethniques de 2005 ont mis à jour la concurrence et les vives tensions entre populations maghrébines et gitanes. A l’été 2014, quinze quartiers prioritaires ont été désignés pour Perpignan, dont les deux quartiers emblématiques (anciennement ZUS) « le Vernet » et « Saint Jacques, Saint Matthieu, La Réal ».

La pratique clientéliste du pouvoir politique local a renforcé les effets communautaristes. En 2009, le scandale de la fraude à la chaussette a révélé les pratiques du système clientéliste dit « alduyste » (Jean-Paul Alduy maire UMP de 1993 à 2009, fils de Paul Alduy, lui-même maire de la ville de 1953 à 1993). En 2014, Louis Aliot s’est imposé au premier tour grâce une légitimité double : premièrement comme le candidat antisystème et du renouveau, ensuite comme un bon gestionnaire et un homme ancré à Perpignan par son long parcours politique local face à une affluence de ceux que les Perpignanais appellent les « gavatx » (non natifs de la ville en catalan). La campagne d’Aliot a été selon Abel Mestre, journaliste au Monde : « celle d’un candidat qui sait adapter la ligne nationale au terrain (…) il était le moins démagogique. Résultat, avec une gauche qui n’existe pas, un positionnement droite extrême plus qu’extrême droite, quelle différence de fond y avait-il avec Pujol ? ».

Les résultats électoraux des deux tours du vote à Perpignan sont mis en lumière à travers l’étude des listes électorales de chacun des bureaux de vote, comparées aux résultats obtenus par les différents candidats. Si la méthode est explicitée en amont de l’étude, les résultats sont décryptés au regard de nombreux critères sociologiques, économiques mais aussi culturels et politiques. De même, l’étude s’attache à comparer la mobilisation et les scores des candidats à la présidentielle de 2012 pour établir des corrélations ou des différences afin de mieux mettre en exergue les dynamiques locales.

Nous pouvons tirer quelques conclusions de cette étude :

– Le vote FN est un phénomène interclassiste qui ne se résume ni à une opposition de classes, ni à une opposition entre une France des « insiders » et des « outsiders » de la mondialisation. Les géographies urbaines et ethnoculturelles sont des produits économico-politiques qui induisent une réaction culturelle et politique, mais l’analyse n’est pas réductible à la seule géographie urbaine ;

– L’électorat d’origine arabo-musulmane s’est largement opposé à la candidature de Louis Aliot lors du vote, alors que ce dernier a réalisé ses meilleurs scores dans les zones plutôt bourgeoises, où Nicolas Sarkozy avait lui-même obtenu de très bons résultats en 2012 ;

– Le second tour a fait apparaître plus clairement l’influence du clivage ethnique sur la structuration du vote par une mobilisation plus forte qu’au premier tour de l’électorat d’origine arabo-musulmane pour faire barrage au FN.

Le cas perpignanais nous montre en outre un approfondissement du phénomène du vote interclassiste et sa relation au coefficient de Gini, chaque groupe social ayant un « vote plus élevé quand il réside dans un territoire plus inégalitaire ». Comme le souligne l’étude, « c’est donc moins la morphologie urbaine que les conditions matérielles de cette morphologie qui importent ». De plus, ce constat confirme la validité d’une campagne anti-clientélisme, le système ne satisfaisant plus une part suffisante de l’électorat. Enfin, les zones de populations les moins quadrillées par les forces militantes ou liées à un relai politique fort sont celles où l’on constate un score élevé du FN. Ce qui importe donc, c’est « l’approfondissement des difficultés économiques et sociales sur un territoire inégalitaire qui radicalise une demande sociale autoritaire (…) Parce que plus fragmentée que les autres, Perpignan a été plus frontiste que les autres ».

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