Petite histoire des Congrès

Alors que le président de la République convoque le Congrès le 9 juillet 2018 à Versailles, le directeur de l’Observatoire de la vie politique, Émeric Bréhier, revient sur cette tradition et les usages que les présidents précédents en ont faits. Il suggère aussi – malicieusement – aux parlementaires qui se plaignent de ne pouvoir y donner la réplique au président de profiter de la réforme institutionnelle en cours pour en prévoir la possibilité.

La convocation du Congrès, c’est-à-dire la réunion des parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat, n’est pas chose anodine. Elle ne l’a d’ailleurs jamais été. Elle est ancienne puisque sous les Républiques précédentes, le Congrès se réunissait pour élire le président de la République, mais aussi pour débattre des révisions constitutionnelles. Et si la dernière modification de la Constitution a ouvert la possibilité au président de la République de s’adresser aux parlementaires réunis, il est piquant de se replonger dans l’histoire pour en souligner l’aspect parfois saugrenu.

Car s’il est de tradition d’interdire au président de la République de pénétrer dans l’hémicycle, c’est bien suite à la loi de 1873 votée par la majorité monarchiste d’alors, afin d’éviter que Thiers ne puisse jouer de son influence sur les parlementaires. Pourtant cette règle, voulue donc par les monarchistes, s’est depuis lors mue en une tradition républicaine vivace. Bien sûr, dans la Constitution de la Ve République, le président de la République peut grâce à l’article 18-1 s’adresser aux Chambres : « le président de la République communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat ». Il est d’ailleurs usuel que ce message soit lu par le président de l’assemblée concernée. Et le fait que cette adresse ne puisse donner lieu à aucun débat constitue une interdiction ferme de toute mise en jeu d’une quelconque responsabilité présidentielle. Rappelons, pour mémoire, que c’est par cet article 18-1 que le président de la République peut faire valoir son droit de demander au Parlement une seconde délibération d’un texte de loi, conformément à l’article 10 de la Constitution. Depuis 1958, cette possibilité d’adresse était utilisée par le président de la République lors de son entrée en fonction, lors du renouvellement de l’Assemblée ou encore à l’occasion d’un événement considéré comme majeur à l’instar de la mise en œuvre de l’article 16 par le général de Gaulle en 1961, ou le conflit du Golfe en 1991 avec François Mitterrand.

Pendant les cinquante premières années de la Ve République, donc, le Congrès ne se réunit qu’à l’occasion des révisions constitutionnelles. Il s’agit ici de l’une des modalités d’adoption telle que prévues par l’article 89. Vingt et une révisions furent ainsi adoptées à l’occasion de seize réunions du Congrès. Deux le furent, on s’en souvient, par référendum : l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962, et l’instauration du quinquennat en 2000. Depuis 2008, c’est fréquemment oublié, le Congrès peut également être réuni pour autoriser l’adhésion d’un État à l’Union européenne dans le cadre de l’article 88-5. Il faut pour cela que le Parlement vote une motion, adoptée en termes identiques par les deux assemblées à une majorité des trois cinquièmes. Sinon, il est bien prévu que ce type d’enjeu soit tranché par voie référendaire.

Aujourd’hui, c’est bien évidemment la venue du président de la République devant le Congrès réuni qui retient l’attention. Ce sera donc la quatrième fois qu’un président de la République saisit cette opportunité permise par l’article 18-2 de la Constitution : « Il (le président de la République) peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote ». Nicolas Sarkozy et François Hollande n’en ont fait usage qu’à une seule reprise chacun. Emmanuel Macron l’avait quant à lui annoncé dès sa venue l’an passé : il allait se rendre chaque année devant le Congrès afin de rendre compte devant les députés et les sénateurs rassemblés. En 2009, le président Sarkozy centra son discours sur la crise économique qui secouait la France et l’Europe, touchées par celle des « subprimes » outre-Atlantique ; en 2015 le président Hollande appela à l’unité nationale au lendemain des attentats meurtriers du Bataclan. En 2017, le nouveau président Macron, devançant le discours de politique générale de son Premier ministre, inscrivait le cap de son quinquennat. Les réactions à cette initiative présidentielle, bien plus virulentes cette année que l’an passé – les parlementaires de La France insoumise boycotteront quand certains UMP ont déjà annoncé leur intention de ne pas s’y rendre –, renvoient aux débats vifs que provoqua cette modification voulue par le président de la République Sarkozy.

À l’origine, ce dernier, en mettant en place le Comité Balladur pour la révision de la Constitution, souhaitait que le président de la République puisse s’exprimer devant chacune des Chambres. C’est bien à l’initiative du rapporteur de la commission des lois, le député Warsmann, que l’article 18-2 dans sa formulation actuelle fut rédigée. Elle n’empêcha toutefois pas des échanges à l’Assemblée nationale, par exemple, houleux lors de la séance du 26 mai 2008. Pêle-mêle, l’inutilité d’une telle mesure, l’abaissement induit du rôle du Premier ministre, le renforcement inapproprié du président de la République furent évoqués par de nombreux députés d’alors. Bien évidemment sur les bancs de l’opposition – les socialistes avec notamment André Vallini et Jean-Jacques Urvoas, mais aussi les communistes avec Marie-George Buffet –mais également chez certains de la majorité – on pense ici aux propos de Bernard Debré et Hervé de Charrette. François Bayrou se montra l’un des moins virulents.

Citons-le longuement : « Ce débat me laisse à certains égards perplexe : je suis de ceux – naïfs peut-être – qui ne voient dans ce droit d’intervention ni un bouleversement de notre équilibre institutionnel, ni un progrès historique. Pourquoi une intervention dans le cadre quelque peu désuet du château de Versailles, dans le demi-brouhaha que vient d’évoquer Mme Billard, où les réparties sont ponctuées de rires inaudibles pour les téléspectateurs, devrait-elle émouvoir l’opinion publique ? Il ne s’agit pas davantage d’une redoutable régression : le droit de message est déjà prévu par l’article 18 ; ainsi que l’a rappelé M. Lellouche, la Constitution dispose que « le Président de la République communique avec les assemblées » – par un moyen quelque peu anachronique, comme le savent bien ceux d’entre nous qui ont eu l’occasion d’écouter, debout, un message du Président. M. Vallini a invoqué la séparation des pouvoirs ; mais les pouvoirs, si séparés fussent-ils, communiquent entre eux : ainsi le pouvoir judiciaire s’adresse-t-il au Président de la République lors de la rentrée solennelle ; ainsi le pouvoir législatif peut-il adresser un message à l’exécutif lorsqu’il vote une motion de censure et, d’une manière générale, lors des débats parlementaires. D’autres, craignant que le Président de la République n’exerce une pression sur les parlementaires, convoquent l’ombre redoutable de Thiers ; mais si un discours du Président de la République suffisait à nous ébranler, cela signifierait que notre conviction chancelait déjà… Je citerais plus volontiers Édouard Herriot : « Un bon discours m’a fait changer d’avis parfois, de vote jamais ! » Néanmoins, une chose est sûre : après s’être exprimé devant les assemblées réunies en Congrès, le Président ne saurait être dispensé d’entendre leur réponse. Car s’il reconnaît aux parlementaires, qui représentent la nation et incarnent une part de sa souveraineté, assez de légitimité pour souhaiter les réunir en Congrès, en grande pompe, afin de s’adresser à eux, il doit les écouter en retour. Voilà pourquoi j’ai déposé un sous-amendement visant à permettre un débat en présence du Président de la République : il serait illogique et humiliant que celui-ci puisse s’exprimer alors que les représentants du peuple seraient tenus de se taire ! ».

Mais comme on le sait, les sous-amendements portés par François Bayrou et Jean-Christophe Lagarde ne seront pas adoptés.

Il y a donc là quelque étonnement à entendre aujourd’hui des parlementaires se plaindre de leur impossibilité à porter la contradiction au président de la République. Après tout, les courants politiques qu’ils représentent auraient fort bien pu prévoir cette possibilité à l’occasion de l’examen de la réforme constitutionnelle ou même s’essayer à sa modification lors de la dernière législature. Ajoutons que les parlementaires d’aujourd’hui disposent d’une formidable opportunité pour rattraper ce « manquement » de leurs devanciers grâce au projet de réforme constitutionnelle en cours d’examen. Ils pourraient alors prévoir que les parlementaires ne soient pas placés par ordre alphabétique – comme c’est aujourd’hui le cas – mais par affinités politiques, que les députés européens en soient également considérés comme membres et qu’un temps de réplique en présence du président de la République soit prévu. Après tout, le débat qui suivit l’expression du président Macron au Parlement européen a montré que ce dernier pouvait se soumettre à cet exercice avec délice et que celui-ci pouvait être politiquement instructif. Chiche ?

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