Présidentielle : monopoles et concurrences au sein des intentions de vote

Quelles sont les forces et faiblesses, au sein des différents électorats, des candidats à l’élection présidentielle révélées par les intentions de vote ? Sylvain Brouard nous dresse un dernier état des lieux complet avant le premier tour de l’élection présidentielle du 23 avril 2017, en s’appuyant sur les résultats de l’Enquête électorale française (Ipsos-Cevipof-Fondation Jean-Jaurès).

Une typologie des électorats présidentiels

Répliquant un dispositif mis en place et validé pour l’élection présidentielle 2012 dans le cadre du projet TriÉlec, la question suivante a été posée pour chaque candidat à l’élection présidentielle dans l’Enquête électorale française (Ipsos-Cevipof-Fondation Jean-Jaurès) : « Quelles sont les chances que vous votiez pour les personnalités suivantes ? 0 signifie qu’il n’y a aucune chance que vous votiez pour lui/elle, 10 de très fortes chances que vous votiez pour lui/elle ». Le graphique 1 présente les fréquences de chacune des réponses pour chacun des candidats.

À chaque candidat est associée une distribution spécifique des probabilités de vote. Certaines régularités se dégagent. Jacques Cheminade et François Asselineau présentent ainsi des profils similaires, avec la proportion maximale de répondants excluant de voter pour eux (près de trois quarts de notre échantillon) et très peu de votes très probables. Ce rejet est moins marqué pour Jean Lassalle ainsi que les candidats du Nouveau Parti anticapitaliste et de Lutte ouvrière : autour de deux tiers des répondants considèrent qu’il n’y a aucune chance qu’ils votent pour eux. Bien que ce chiffre soit en hausse de six points en un mois, Emmanuel Macron se caractérise par la proportion la plus faible, dans notre échantillon, de personnes (35%) excluant de voter pour sa candidature. Marine Le Pen est la candidate pour laquelle la proportion de répondants ayant de très fortes chances de voter pour celle-ci (note 10) est la plus élevée et la plus stable (14%), devant Emmanuel Macron (11%), François Fillon (11%) et Jean-Luc Mélenchon (10%), qui connaît une progression de cinq points. Une proportion quasi-similaire et en progression de plus de trois points exclut de voter pour François Fillon (58%) et Marine Le Pen (56%), cette proportion étant un peu plus faible pour les deux candidats de gauche, 48% pour Benoît Hamon et, surtout, 42% seulement pour Jean-Luc Mélenchon, en baisse de sept points. Emmanuel Macron, à défaut d’être le candidat le plus intensément soutenu, est, toujours, et de manière classique pour un candidat centriste (ou en position centrale), celui qui est le moins intensément rejeté.
 

Graphique 1 : Probabilité de vote pour les différents candidats

Source : Enquête électorale française 2017, Ipsos, Cevipof, Fondation Jean-Jaurès, vague 13.

Pour instructifs que soient ces premiers résultats, l’analyse gagne à être approfondie pour comprendre comment s’articulent les différentes probabilités de vote. L’objectif est de cartographier les groupes selon les niveaux des probabilités de vote pour les différents candidats. Pour ce faire, nous avons répliqué une analyse en composantes principales des probabilités de vote pour les six candidats avec les intentions de vote les plus élevées (Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, Emmanuel Macron, François Fillon, Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen). Deux composantes se sont révélées significatives. La première composante rend compte de probabilités de vote différenciées selon l’axe gauche-droite quand la seconde dessine une logique opposant les probabilités de vote pour les candidats de protestation à celles pour les candidats de gouvernement avec, d’une part, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen et, d’autre part, François Fillon et Emmanuel Macron. Nous avons ensuite procédé à une analyse hiérarchique (Wards’ linkage) à partir des scores de chaque individu sur ces deux composantes. La solution optimale consiste en une classification en seize groupes décrivant un large éventail de situations.

Ces types d’électorats diffèrent par les niveaux moyens de probabilités de vote pour les différents candidats à la fois en termes absolus et relatifs. Les graphiques 2 et 3 présentent respectivement le poids de chacun des groupes et le niveau des probabilités de vote pour les différents candidats. Ainsi, par exemple, parmi les 12% des répondants appartenant au groupe « Macron exclusif », la probabilité moyenne de vote pour Emmanuel Macron est de 8,7 et celle pour les autres candidats ne dépasse pas 1,9. Dans le groupe « Hamon concurrencé par Mélenchon et Macron » (4% de l’échantillon), la probabilité moyenne de vote pour Benoît Hamon atteint 7,8, celle pour Jean-Luc Mélenchon 7,7 et celle pour Emmanuel Macron 7,1; aucune autre n’est supérieure à 0,2. Si dans le premier groupe, les électeurs apparaissent très sûrs de leur vote et n’hésitent pas entre différents candidats, dans le second, le vote pour un quelconque candidat est moins probable mais deux candidats n’ont pas des chances significativement différentes de recevoir ce vote et un troisième a également des chances très proches de le capter. Dernier exemple, le groupe des « indécis peu motivés à droite » (12% des répondants), les candidats centristes, de droite et d’extrême droite sont associés à des probabilités moyennes de vote comprises entre 2,8 et 3,5. Pour ces citoyens, la probabilité de voter pour un candidat est faible et l’écart de probabilité entre les candidats les plus à même de récolter leur vote est également faible.
 

Graphique 2 : Poids des différents types d’électorats (%)

Source : Enquête électorale française 2017, Ipsos, Cevipof, Fondation Jean-Jaurès, vague 13.
 

Graphique 3 : Probabilités moyennes de vote pour les 6 candidats selon les types d’électorats

Source : Enquête électorale française 2017, vague 12, Ipsos, Cevipof, Fondation Jean-Jaurès.

La typologie des électorats met en évidence que 42% des répondants appartiennent à des groupes exclusivement orientés vers un candidat, ce qui signifie qu’à l’inverse la majorité de l’électorat ne constitue pas le monopole d’un quelconque candidat. La situation est patente pour 21% de l’échantillon, réparti en quatre groupes, qui se caractérise par des probabilités moyennes faibles de voter pour un quelconque candidat (au maximum 5,1) et souvent par une indécision entre plusieurs candidats. Parmi ces citoyens, l’offre politique de l’élection présidentielle 2017 rencontre un faible écho. Pour les 37% de l’électorat restant, une concurrence existe entre différents candidats selon des modalités plus ou moins fortes. La concurrence se situe de manière prédominante entre candidats adjacents sur l’échelle gauche-droite. La majorité de la compétition concerne les choix au sein de la droite ainsi qu’au sein de la gauche ou entre la candidature centriste d’Emmanuel Macron d’une part et le candidat républicain ou les candidats de gauche d’autre part. Néanmoins, 7% des répondants (groupe « Mélenchon dominant Le Pen » et « Le Pen dominant Mélenchon ») hésitent entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, en progression de 4 points.

Intentions de vote et électorats présidentiels

L’analyse des électorats présidentiels permet de comprendre de manière renouvelée les intentions de vote pour l’élection présidentielle. Les intentions de vote publiées issues de l’Enquête électorale française 2017 sont calculées en prenant uniquement en compte les répondants certains de participer à l’élection présidentielle et exprimant une préférence pour un candidat. Pour rappel, les résultats de la vague 12 étaient les suivants : 19% pour Jean-Luc Mélenchon, 8% pour Benoît Hamon, 23% pour Emmanuel Macron, 19,5% pour François Fillon, 4% pour Nicolas Dupont-Aignan et 22,5% pour Marine Le Pen. Le graphique 4 présente de manière simplifiée la composition des intentions de vote pour chaque candidat en termes de types d’électorat.
 

Graphique 4 : Répartition des différents électorats parmi les intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle 2017 parmi les répondants certains de participer (%)

Source : Enquête électorale française 2017, Ipsos, Cevipof, Fondation Jean-Jaurès, vague 13.

La première dimension à considérer est la proportion de l’électorat ayant déclaré une intention de vote que l’on peut considérer comme captive. Lorsqu’un candidat a le monopole des votes probables, on peut considérer ce segment électoral comme constitutif du socle électoral sur lequel le candidat peut compter quelles que soient les circonstances au premier tour. De ce point de vue, Benoît Hamon présente la particularité d’avoir perdu la totalité du socle électoral (20%) dont il disposait il y a un mois. Tous ses électeurs hésitent, dans des proportions variées, avec un autre candidat : les trois quarts avec le candidat de La France insoumise et un cinquième avec Emmanuel Macron. Le candidat socialiste se trouve ainsi dans une situation extrêmement précaire à quelques jours du scrutin. Les intentions de vote en sa faveur sont susceptibles d’être substantiellement affectées par les différents types de vote utile dans un scrutin extrêmement serré. Marine Le Pen a, elle aussi, connu une érosion marquée de ce socle (-15 points). Un tiers seulement de ses électeurs n’hésitent avec aucun autre candidat. Ce phénomène interpelle. En effet, l’érosion du socle électoral s’accompagne d’un recul dans les intentions de vote. Par conséquent, à l’approche du premier tour, la candidate frontiste apparaît clairement fragilisée : tant le niveau que la structure de son électorat s’affaiblit. La concurrence des autres candidats de droite (+ 6 points) s’intensifie alors que celle, embryonnaire le mois dernier, de Jean-Luc Mélenchon prend de la consistance (+10 points). Jean-Luc Mélenchon possède un socle électoral stable et comparable à celui de Marine Le Pen (33%) bien que son électorat soit, aujourd’hui, près de deux tiers plus important qu’il y a un mois. Parmi les intentions de vote en faveur d’Emmanuel Macron, il constitue le seul candidat envisagé par environ la moitié des répondants. Le socle électoral sur lequel s’appuie l’ancien ministre de l’Économie apparaît donc particulièrement solide. Sa vulnérabilité aux performances relatives de ses concurrents est comparativement limitée. Toutefois, les répondants en sa faveur comportent une proportion non négligeable (14%) de votes incertains (les divers types d’indécis et hésitants), et donc susceptibles de s’abstenir.

La hausse modérée des intentions de vote en faveur de François Fillon ne s’accompagne pas d’un changement de leur structure : le socle reste stable. Parmi les intentions de vote en faveur de François Fillon, un quart des répondants hésite avec Emmanuel Macron et plus d’un tiers avec Marine Le Pen. Parmi ceux choisissant Emmanuel Macron, seulement 3% hésitent avec François Fillon. Si Emmanuel Macron semble pouvoir compter sur un réservoir de voix substantiel chez François Fillon, la réciproque n’est pas vraie… Parmi les intentions de vote pour le candidat d’En Marche !, 28% d’entre eux considèrent comme alternative l’un ou l’autre des candidats de gauche, voire les deux. C’est Jean-Luc Mélenchon qui est le plus sous la menace du candidat socialiste : 41% de ceux le choisissant considèrent aussi comme probable un vote pour Benoît Hamon. À noter enfin que parmi les intentions de vote pour Jean-Luc Mélenchon, un vote est également probable en faveur de Marine Le Pen pour une fraction non négligeable de celles-ci (14%).
 

Graphique 5 : Répartition des différents électorats parmi les intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle 2017 parmi les répondants incertains de participer (%)

Source : Enquête électorale française 2017, Ipsos, Cevipof, Fondation Jean-Jaurès, vague 13.

Qu’en est-il dans la partie substantielle de l’électorat (autour d’un quart) qui n’est pas certaine de participer au premier tour de l’élection présidentielle ? Si ceux-ci représentent un réservoir de voix en cas de mobilisation, quel est leur profil ? Dans ce groupe, la répartition des intentions de vote exprimées est la suivante : 21% pour Jean-Luc Mélenchon, 8% pour Benoît Hamon, 22,5% pour Emmanuel Macron, 14% pour François Fillon, 5,5% pour Nicolas Dupont-Aignan et 20% pour Marine Le Pen. En termes de structure, de manière logique, la part des votes incertains progresse chez tous les candidats : de 7 points pour les intentions de vote pour Benoît Hamon à 25 points pour celles en faveur de François Fillon. Ils représentent entre 24% et 28% des intentions en faveur d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen, un tiers de celle de François Fillon ainsi qu’entre 11% et 16% de celles en faveur des deux candidats de gauche. Pour le reste, les tendances présentées dans l’analyse des électeurs certains de voter se retrouvent peu ou prou. Les positions monopolistiques sont prévalentes pour Emmanuel Macron (42%) et inexistantes pour Benoît Hamon, représentent autour d’un tiers des électorats incertains de participer de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, et sont faibles pour François Fillon (14%). Il ne semble toujours pas y avoir dans le contingent des électeurs incertains de leur participation au premier tour de l’élection présidentielle des électorats dont la mobilisation affecterait significativement les structures mises à jour parmi les électeurs d’ores et déjà mobilisés.

Enfin, dernière composante analysée, quelles sont les caractéristiques de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ne choisissent aucun candidat aujourd’hui ? Les répondants aux votes incertains (les divers types d’indécis et hésitants) constituent, sans surprise, la proportion la plus importante (77%) au sein de ce groupe, le groupe « indécis peu motivés à droite » étant le plus représenté (55%). La part des divers groupes exclusivement orientés vers un candidat a été divisée par deux (13%), indiquant qu’à l’approche du premier tour les soutiens fermes des candidats confirment leur intention de participer au scrutin. Les partisans d’Emmanuel Macron sont les plus nombreux dans ce groupe (7%).

En conclusion, les situations actuelles des candidats des deux partis ayant dominé la vie politique française depuis 1981, et qui sont les incontestables perdants à ce stade de la campagne présidentielle, se rejoignent quant à leur vulnérabilité très importante face aux performances des concurrents positionnés à leur droite et à leur gauche. Elles apparaissent aussi singulièrement différentes quant à leur évolution potentielle au premier tour de l’élection présidentielle. Éviter l’effondrement sous la barre des 5% pour le candidat socialiste dépend de sa capacité à résister au double vote utile à sa droite et à sa gauche. La qualification du candidat républicain pour le second tour implique de mobiliser en sa faveur les électeurs de droite indécis et peu motivés et de mordre essentiellement dans l’électorat fragilisé de Marine Le Pen. Pour se qualifier au second tour, Jean-Luc Mélenchon doit fidéliser le capital électoral conquis aux dépens du candidat socialiste. Il a ensuite plusieurs possibilités : continuer de mordre sur l’électorat de Benoît Hamon ainsi que sur celui d’Emmanuel Macron et intensifier à son profit la concurrence avec Marine Le Pen. Pour cette dernière, sécuriser la qualification au second tour repose sur son aptitude à soutenir, en premier lieu, l’attraction accrue exercée de François Fillon et, en second lieu, celle de Jean-Luc Mélenchon. Emmanuel Macron est le candidat pour lequel la volatilité potentielle des intentions de vote actuelles apparaît la plus faible compte tenu de son monopole sur le vote probable de la moitié au moins des répondants lui accordant leur intention de vote : pour lui, le danger est essentiellement à sa gauche. Il faut enfin souligner que les analyses menées n’ont toujours pas mis à jour d’espace de concurrence mutuelle au sein des électorats d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen alors que la concurrence entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon s’amplifie. Le projet de Jean-Luc Mélenchon, depuis 2008, d’incarner, à gauche, la fonction tribunicienne, autrefois occupée par le Parti communiste, pour concurrencer le Front national semble pour la première fois prendre corps.

Bibliographie et références documentaires

  • Vincent Tiberj, Bernard Denni, Nonna Mayer, « Un choix, des logiques multiples. Préférences politiques, espace des possibles et votes en 2012 », Revue française de science politique, 63 (2), 2013.
  • Sylvain Brouard, « À la source des intentions de vote présidentiel : concurrences et monopoles, les différents segments électoraux », Note ENEF 34Sciences Po Cevipof, mars 2017, 11 pages. 

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