PS et LR : des étiquettes politiques dévitalisées

Afin de mieux comprendre les ressorts de ce qui tient encore le Parti socialiste et Les Républicains, de leur attractivité, et d’évaluer leur capacité de rebond, Chloé Morin, Jean-Daniel Lévy et Adrien Abecassis ont scruté, pour l’Observatoire de l’opinon, les données qualitatives recueillies par Harris Interactive lors du premier tour des élections législatives auprès de près de 5 000 personnes inscrites sur les listes électorales.

Le premier tour de ces élections législatives a marqué une nouvelle étape du processus de décomposition-recomposition politique engagé lors de l’élection présidentielle. Le Parti socialiste n’est pas assuré d’obtenir un groupe (15 députés au minimum) à l’Assemblée nationale. Quant aux Républicains qui, hier encore, rêvaient de cohabitation, ils pourraient voir leur nombre divisé par deux, trois, ou quatre… Il est rare d’assister en direct à l’effondrement de deux formations qui, il y a quelques mois encore, constituaient deux des principales forces de gouvernement du pays.

Afin de mieux comprendre les ressorts de ce qui tient encore ces formations, de leur attractivité, et d’évaluer leur capacité de rebond, nous avons analysé les données qualitatives recueillies par Harris Interactive lors du premier tour des élections législatives auprès de près de 5 000 personnes inscrites sur les listes électorales.

Pourquoi voter PS ? Les raisons avancées par ces derniers électeurs socialistes paraissent bien fragiles. « Par attachement au PS », « j’ai toujours voté socialiste »… C’est la routine qui semble tenir ce vote. Une « fidélité » partisane ou militante – « je reste fidèle ! » – qui conduit une poignée d’électeurs à refuser de voir ce vieux parti totalement disparaître : « pour donner une chance au PS d’être présent », « j’en veux au PS de n’avoir pas fait ce qu’il fallait, mais de là à le renier! »…

On observe également un « effet sortant » qui semble avoir profité à quelques candidats socialistes : « je la connais », « a fait ses preuves », « satisfait de son action dans le mandat écoulé ». Mais ce point de vue reste trop marginal pour avoir permis aux candidats de ces formations politiques d’engranger suffisamment de voix et de dépasser l’étiquette qui leur était accolée ou qu’ils portaient. Tout se passe comme s’ils avaient perdu sur les deux tableaux : en misant sur le renouvellement de leur offre, ils se sont installés sur un créneau sur lequel ils ont été nettement moins identifiés par les Français que La République en marche, et leur implantation locale n’a pas été suffisante pour leur offrir ne serait-ce qu’un maigre avantage. Ou en tout cas suffisant.

Au-delà de ces raisons (une sorte de vote d’habitude ainsi qu’un vote au regard de la notoriété locale), les électeurs socialistes n’évoquent que très peu les valeurs, les idées, le contenu programmatique de ce parti. Il paraît une coquille vide… La conséquence est que l’on trouve parmi les électeurs socialistes eux-mêmes le reflet des divisions stratégiques profondes du PS : certains déclarent avoir voté PS afin de constituer une opposition à Emmanuel Macron (dont quelques-uns revenus de leur fascination pour Jean-Luc Mélenchon, déçus par son comportement depuis le soir du premier tour de la présidentielle), alors que d’autres ont voté pour des candidats de cette formation… pour des raisons strictement inverses. À savoir pour que leur député soit « constructif », « pas dans une opposition aveugle et stérile », qu’il « participe positivement ». Cette divergence fondamentale porte en germe le risque de constituer un handicap de long terme pour le PS : peut-on reconstruire quelque chose alors même que les fondations apparaissent aussi fracturées ?

Impossible, d’ailleurs, d’évoquer le vote pour le Parti socialiste sans mentionner les électeurs qui se sont portés, dès le premier tour de la présidentielle, sur l’étiquette France insoumise : c’est en effet là que l’on retrouve, en ce premier tour des élections législatives, la plupart des électeurs de gauche souhaitant « une vraie opposition de gauche » à la politique d’Emmanuel Macron. Le sceptre de l’opposition, comme celui de « la gauche », est en train d’échapper au Parti socialiste.

L’étiquette, l’habitude, et un attachement à quelques sortants: voilà ce qu’il reste d’un vote PS dont le contenu idéologique ne transparaît pas, et alors même que les propositions ne sont pas clairement identifiées, qui ne parvient plus à capter le souhait d’une « opposition de gauche » au gouvernement, pas plus qu’il n’a su retenir les « constructifs » qui se sont portés pour l’essentiel directement sur les candidats LREM. Au final, rien de fondamental ne justifie donc que la plupart de ces électeurs n’aient pas voté soit LREM, soit France insoumise. On remarquera qui plus est que, si le score des candidats socialistes se rapproche de celui de Benoît Hamon, il n’est quasiment nullement fait mention de Benoît Hamon.

S’agissant des électeurs Les Républicains, constatons, avec un brin de surprise, que, en dépit d’un score meilleur que celui du Parti socialiste, les motivations profondes des électeurs ne paraissent guère plus solides.

On constate d’abord que l’effet sortant et l’ancrage local jouent également : « parce qu’il a fait du bon travail à l’Assemblée », « c’est une députée qui connaît bien son territoire », « une ancienne députée qui me convient » constituent des motivations fréquentes.

La fidélité à l’étiquette joue aussi : «  je vote traditionnellement à droite », « je reste fidèle à mes convictions », « c’est tout simplement la candidate de droite traditionnelle »… Elle joue même plus qu’à droite, pas nécessairement parce qu’elle serait plus substantielle, mais parce que les électeurs de droite paraissent plus légitimistes et moins aventureux que ceux de gauche. On en identifie ainsi qui déclarent être restés à LR poussés par des doutes qu’ils avaient sur le renouvellement : « le candidat LREM est trop jeune », « pour avoir quelqu’un de sérieux aux commandes »…

Comme pour le Parti socialiste, on trouve très peu de mesures de fond ou de valeurs structurantes dans les raisons avancées, qui témoigneraient d’une adhésion réelle au parti Les Républicains. Seule la crainte de la mise en place de la hausse de la CSG semble avoir « percé le mur de l’opinion » : « eux ne baissent pas les retraites », « je ne veux pas d’une augmentation de la CSG ».

Et, comme pour les électeurs socialistes, l’électorat Les Républicains paraît en réalité très divisé sur la stratégie que le parti devrait adopter. Certains ont apporté leurs suffrages à LR avec la volonté de constituer une opposition, mais presque par pur principe davantage que pour contrer des idées, « pour éviter le monopole En Marche à l’assemblée », « pour ne pas donner toutes les clefs à un seul parti mais avoir des représentants constructifs », « pour équilibrer »… À ce titre, les sondages promettant une majorité écrasante à Emmanuel Macron avant le premier tour ont pu contribuer à mobiliser ce vote de droite. Et beaucoup d’autres ont voté Les Républicains pour des raisons exactement inverses : amener à l’Assemblée des députés « constructifs », « pour soutenir le Premier ministre », parce que tel candidat « ne veut pas s’opposer systématiquement à Emmanuel Macron, et ‘en même temps’ il peut s’y opposer s’il considère que la loi n’est pas bonne », « soutenir l’action de Macron par un appui et une vision de droite », parce que tel autre paraît « prêt à travailler avec la majorité présidentielle »…

La division stratégique qui traverse cette formation ne semble donc pas prête de s’éteindre, car il ne s’agit pas que d’une discussion d’état-major mais bien le reflet d’une fracture profonde de son propre électorat. Cette indécision quant à l’attitude à adopter vis-à-vis du président, ajoutée au vide idéologique qui se cache derrière la « marque » Les Républicains, sont sans doute – sauf échec de LREM, ou travail conséquent sur le fond comme sur la forme au cours des mois à venir – les signes précurseurs de l’explosion à venir du parti.

Ces deux « marques » – LR et PS – subissent une dévitalisation extrêmement forte et rapide ces derniers mois. Mais le grand paradoxe est que leur « espace politique » n’a pas, pour sa part, vraiment disparu, comme en témoignent les données d’autopositionnement politique telles que mesurées par Harris Interactive depuis plusieurs mois. Tous les électeurs (loin s’en faut) n’ont pas pas basculé subitement dans le « ni gauche, ni droite » : il existe bien toujours des électeurs se positionnant à gauche, au centre gauche, à droite… Mais ces espaces politiques sont simplement occupés par des forces nouvelles. Toute la question est de savoir si ces forces, notamment La France insoumise et La République en marche, parviendront à fidéliser les électeurs occupant ces créneaux politiques, ou si Les Républicains et le Parti socialiste sauront les reconquérir à moyen ou long terme. Dans l’immédiat, positionnés chacun pile sur les failles sismiques, leur situation n’est pas idéale. 

 

Tribune parue dans Paris Match (15 juin 2017)

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