Tyrannie ! Pourquoi les Washingtoniens sont-ils encore privés de représentants au Congrès ?

Comment appréhender l’histoire, jusqu’à nos jours, du particularisme politique et électoral de la capitale des États-Unis, celui de n’avoir aucun élu au Congrès – Sénat et Chambre des représentants – mais aussi d’avoir longtemps été privée du droit de vote pour ses habitants ? Ludivine Gilli rappelle les combats menés pas les Washingtoniens, encore aujourd’hui, pour devenir un État et ainsi obtenir le droit de désigner leurs représentants au Congrès.

Le 3 janvier 2021, le 117e Congrès des États-Unis entrera en session. Comme ses prédécesseurs, il ne comptera parmi ses membres aucun élu de la capitale américaine. Les résidents de Washington ne sont pas représentés au Congrès, ils ne l’ont jamais été. Pourtant, ils paient plus d’impôts que leurs concitoyens, sont enrôlés sous les drapeaux en temps de guerre et sont plus nombreux que les habitants des deux États les moins peuplés du pays.

Leur situation a déjà été pire. Il fut un temps pas si éloigné où ils ne disposaient d’aucun droit de vote : pas d’élections municipales, ni législatives, ni présidentielles. Des décennies de lutte leur ont permis de corriger, au moins en partie, deux de ces aberrations. La troisième demeure. La devise des militants reste donc plus que jamais « Taxation without representation is tyranny« , qui était le mot d’ordre de leurs aînés révolutionnaires pendant la guerre d’Indépendance.

Les causes de la déchéance des Washingtoniens de leurs droits civiques

À la source de tous les maux, se trouve la Constitution des États-Unis. Plus précisément son article premier, qui prévoit les modalités de représentation des citoyens au Congrès et établit le statut de la future capitale : « La Chambre des représentants sera composée de membres choisis tous les deux ans par le peuple des divers États. […] Le Sénat sera composé de deux sénateurs pour chaque État. » Oui mais voilà, la capitale n’appartient à aucun État. L’article premier de la Constitution, toujours lui, en fait un « district » fédéral, pas un État. Comme aucun mécanisme spécifique au district ne prévoit le vote de ses résidents, ils en sont privés.

Le statut particulier de la capitale, qui dénie aux Washingtoniens le droit de vote, existe pour trois raisons principales.

La première est une anecdote historique qui remonte à 1783. La capitale des jeunes États-Unis, fraîchement sortis de la guerre d’Indépendance, est alors itinérante. En juin 1783, elle se trouve à Philadelphie lorsque quelques centaines d’anciens combattants marchent sur la ville pour exiger le versement d’arriérés de solde qui leur sont dus. Les délégués en session au Congrès, inquiets, sollicitent la protection des autorités locales, qui refusent. Ils parviennent finalement à quitter le bâtiment assiégé, la session est ajournée, les soldats rejoignent leurs baraquements et le Congrès quitte Philadelphie pour Princeton. L’épisode se termine sans dommage, si ce n’est pour les droits des futurs Washingtoniens. Il laisse en effet des traces dans les esprits de certains des pères fondateurs, qui s’apprêtent à rédiger la Constitution.

En 1787, deux décisions majeures sont prises par la Convention constitutionnelle concernant le futur siège de l’État fédéral. Premièrement, la capitale sera établie en un lieu permanent et non itinérant. Deuxièmement, elle sera placée sous le contrôle exclusif du Congrès, de façon à ce que les institutions fédérales aient les moyens de se défendre le cas échéant. Tirant les enseignements de la mutinerie de 1783, les pères fondateurs estiment que les institutions ne peuvent compter avec certitude sur les États pour les défendre. En donnant un pouvoir absolu au Congrès sur la future capitale, ils s’assurent qu’elles seront défendues au mieux en cas de crise.

La deuxième raison est la volonté de ne pas avantager l’un des États de l’Union. Lors de la convention virginienne de ratification de la Constitution, James Madison met en garde contre les risques de sécurité et de corruption : « Si l’un des États exerçait le pouvoir législatif sur le lieu où le Congrès détermine la politique nationale, cela entraverait la dignité du Congrès et mettrait en danger sa sécurité. Si la sécurité de l’Union était placée sous le contrôle d’un État en particulier, la corruption ne prévaudrait-elle pas, dans cet État, pour l’inciter à peser sur les membres du gouvernement fédéral ? ».

La troisième raison, corollaire à la deuxième, est le souci d’éviter que les États fondateurs se déchirent pour accueillir la capitale et les bénéfices associés à l’obtention du siège du gouvernement. En cette période déterminante pour la construction de l’Union, l’heure n’est pas aux luttes d’influence mais à l’unification.

La décision d’implanter le siège du gouvernement à l’extérieur de tout État est validée en 1787 par la Convention constitutionnelle. L’article 1, section 8, clause 17 de la Constitution place le siège du gouvernement sous la juridiction exclusive du Congrès. La clause 17 ne prévoit ni les détails de la gouvernance de la capitale, ni la possibilité pour les résidents de voter aux élections législatives et présidentielles. Cette omission est responsable de la perte des droits de vote des Washingtoniens.

La localisation et les limites du siège de la capitale américaine sont annoncées en 1791 par le président George Washington dans deux proclamations. Par compromis, le district sera implanté dans le Sud et constitué de terres cédées par le Maryland et la Virginie. Washington, District of Columbia, passe officiellement sous l’autorité du Congrès le 27 février 1801. Cette date marque pour ses résidents le début d’une longue période de privation de leurs droits civiques. Ils sont alors peu nombreux, moins de 15 000, mais leur nombre s’accroît rapidement pour atteindre 132 000 en 1870 et près de 940 000 en 1945. Ils sont aujourd’hui environ 705 000, plus que les 578 000 habitants du Wyoming et les 623 000 habitants du Vermont, qui disposent l’un comme l’autre d’un député et de deux sénateurs.

Deux siècles de lutte pour le droit de vote : d’échecs en victoires

Au cours des premières décennies d’existence de la capitale, les Washingtoniens parviennent à récupérer une partie de leurs droits. Leur gouvernement local change plusieurs fois de structure mais leur confère toujours, dès 1802, une forme de représentation directe. En tout cas aux hommes blancs dotés du droit de vote. Les femmes et les Noirs, libres ou esclaves, n’en bénéficient pas. À la suite de problèmes de gestion budgétaire, une administration par trois commissaires nommés par le président des États-Unis est mise en place en 1874. S’ouvre alors une ère sombre de près d’un siècle au cours de laquelle les Washingtoniens sont privés de toute prise sur leur sort et sur celui de la nation : ils n’ont pas leur mot à dire sur la gestion de leur cité, ne sont pas représentés au Congrès et ne votent pas aux élections présidentielles.

La riposte s’organise mais prend du temps. Trois fronts de lutte sont ouverts : pour un gouvernement local issu des urnes (« home rule »), une représentation pleine et entière au Congrès (« national representation ») et une participation aux élections présidentielles. Certains Washingtoniens, minoritaires, poursuivent une lutte tous azimuts sur ces trois fronts. D’autres préfèrent, stratégiquement, mettre tous leurs efforts au service de l’un de ces combats, même si cela doit être au détriment des autres, pour augmenter leurs chances de succès. D’autres enfin sont partisans d’un ou deux des combats seulement et opposés à un ou aux deux autres.

Pour résumer les positions locales, la gauche du spectre politique milite en faveur des trois droits de vote, pour rétablir une égalité de droits sur tous les plans avec les autres Américains, tandis que la droite tend à œuvrer pour la représentation nationale mais contre l’autonomie municipale, principalement par crainte de dérive des finances de la ville et d’une prise de pouvoir de l’électorat noir croissant. Parmi les partisans des trois votes se trouvent le Washington Post et la DC League of Women’s Voters. Parmi les partisans des deux votes nationaux mais opposants à l’autonomie municipale se trouvent le très puissant Board of Trade, qui rassemble l’élite économique et conservatrice de la ville, ainsi que le Washington Evening Star. Au niveau national, le Congrès et tous les présidents de 1874 à 1945 sont dans l’opposition. La plupart des Américains n’ont pas conscience du sort des Washingtoniens.

Les actions se succèdent année après année, de référendum populaire en projets de loi, pour se heurter encore et toujours à l’apathie ou l’opposition du Congrès et en particulier de ses sous-commissions en charge du district, dominées par des élus démocrates ségrégationnistes du vieux Sud. Les Theodore Bilbo et autres John McMillan ne souhaitent pas doter du droit de vote cette capitale à forte population noire. La proportion d’Africains-Américains dans le district est de 28% en 1940 et augmente fortement au cours des trois décennies suivantes pour atteindre 71% en 1970. À titre d’exemple, Chicago en compte moins de 8% en 1940, La Nouvelle-Orléans 30%.

La première victoire est obtenue le 16 juin 1960, lorsque le Congrès approuve le 23e amendement à la Constitution. Ratifié le 29 mars 1961, il donne aux Washingtoniens le droit de vote le plus consensuel : la participation aux élections présidentielles. Il accorde à la capitale trois grands électeurs, l’équivalent du nombre auquel le district aurait droit s’il était un État. Le 3 novembre 1964, les Washingtoniens votent pour la première fois à l’élection présidentielle, avec un taux de participation remarquable de 89,2% et un penchant tout aussi remarquable pour Lyndon Johnson, qui recueille 85% des voix.

Les tentatives suivantes pour obtenir l’autonomie municipale et une représentation au Congrès se soldent par des échecs répétés, malgré le soutien désormais affiché des présidents successifs à partir d’Harry Truman en 1945.

En 1970, les Washingtoniens obtiennent une concession du Congrès : le droit d’élire à nouveau un délégué de la Chambre des représentants, comme cela avait été brièvement le cas entre 1871 et 1874. Le délégué, à la différence d’un représentant, ne dispose pas du droit de vote.

La deuxième victoire vient en 1973. Le Home Rule Act, adopté par le Congrès et signé par le président Nixon, accorde aux Washingtoniens le droit d’élire un maire et un conseil municipal. C’est une victoire en demi-teinte car le Congrès conserve un droit de veto sur toute mesure et l’exclusivité sur de nombreux sujets. Le 5 novembre 1974, les Washingtoniens élisent Walter Washington, leur premier maire depuis plus de cent ans et le premier édile noir d’une grande ville étatsunienne.

L’autonomie de la capitale est loin d’être absolue mais le Home Rule Act constitue un grand progrès pour les Washingtoniens. Ils se concentrent désormais vers le dernier droit dont ils sont totalement dépourvus : une pleine représentation au Congrès.

À la conquête d’une pleine représentation au Congrès (1974-2020)

Il n’existe que trois options pour doter le district d’une représentation au Congrès : un amendement constitutionnel permettant à la ville d’être traitée comme si elle était un État, le changement du statut de Washington en État, ou la rétrocession du territoire de la capitale au Maryland.

La rétrocession n’a jamais séduit grand monde et est peu crédible à ce stade. Elle est théoriquement possible car cela a déjà été fait : la partie du district issue de Virginie lui a été rétrocédée en 1846. Mais elle impliquerait que les Washingtoniens renoncent à leur identité en étant absorbés par un autre État. Elle impliquerait aussi que le district n’ait pas « ses » sénateurs mais qu’il vote pour ceux du Maryland. La rétrocession nécessiterait enfin que le Maryland soit d’accord, ce qui n’est pas acquis. En effet, l’absorption du district dans le Maryland en ferait le nouveau centre de gravité de l’État au détriment de Baltimore.

La première piste explorée dans les années 1970 est l’amendement constitutionnel. Elle est semée d’embûches car la procédure est extrêmement contraignante. Pour être approuvé, un amendement doit être adopté dans les mêmes termes par les deux tiers de la Chambre et les deux tiers du Sénat, puis ratifié par trois quarts des États (38 sur 50). Un amendement qui ne bénéficie pas d’un consensus politique a donc peu de chances d’être adopté car il faudrait que le parti qui le soutient dispose d’une majorité qualifiée dans les deux chambres du Congrès et dans les législatures d’au moins 38 États. Et c’est là le problème pour le district : cet amendement n’est pas consensuel. De nombreux républicains et certains démocrates y sont opposés. Certains avancent des arguments « légitimistes » de fidélité à l’esprit des pères fondateurs. Beaucoup avancent des arguments plus ou moins fantaisistes dont la bonne foi est discutable, comme l’irresponsabilité supposée des habitants de la capitale. La véritable raison est politique et raciale, voire raciste : Washington compte plus de 70% d’habitants noirs et vote très largement démocrate. Les sièges qui lui seraient octroyés au Congrès seraient des votes démocrates supplémentaires et vraisemblablement des élus noirs, ce que les républicains et certains démocrates sudistes n’acceptent pas.

En 1978, après des échecs en 1967, 1972 et 1976, le tour de force semble un instant réalisable. Les démocrates disposent de majorités à la Chambre et au Sénat, le positionnement des démocrates du vieux Sud commence à évoluer sous la pression de l’électorat noir local, et le droit de vote des Washingtoniens bénéficie d’un (fragile) consensus national. Il a été inscrit dans le programme des deux partis lors de l’élection présidentielle de 1976. Le 22 août 1978, le Congrès adopte le Voting Rights Amendment, qui accorde au district une pleine représentation au Congrès. Pour entrer en vigueur il doit être ratifié par 38 des 50 États dans un délai de sept ans. C’est là que l’absence de consensus le rattrape. Lorsque le délai expire, seuls 16 États ont approuvé le texte (un seul dans le Sud : la Louisiane), il en manque 22.

À la suite de cet échec, une partie des efforts se reporte vers la seule voie qui semble désormais possible : devenir un État. Cette piste, qui semble la plus éloignée de la vision des pères fondateurs, n’a – pour cette raison – jamais attiré beaucoup de soutien avant les années 1970. Elle était vue comme trop ambitieuse et donc peu réaliste. Face à l’opposition devenue systématique des républicains, elle apparaît à beaucoup comme le seul recours. En effet, la procédure d’adoption est plus simple que pour un amendement constitutionnel : elle nécessite « seulement » l’adoption du texte dans les mêmes termes par une majorité à la Chambre et au Sénat, puis une signature par le président, mais pas la ratification par les États. Les premières tentatives pour mettre le sujet au vote se soldent par des échecs. Les projets de loi déposés au Congrès sont enterrés l’un après l’autre en commission.

Le premier vote en séance plénière à la Chambre intervient en novembre 1993. C’est un cuisant revers pour ses partisans : le texte est rejeté par 277 voix contre 153. Un seul républicain a voté pour et 40% des démocrates ont voté contre. Au cours des décennies qui suivent, les Washingtoniens ne parviennent à obtenir aucune avancée, jusqu’à l’été 2020.

Le 26 juin 2020, lors d’un vote historique, la Chambre à majorité démocrate approuve par 232 voix contre 180 la résolution au nom symbolique « HR51 » destinée à faire de Washington le 51e État et à lui octroyer deux sénateurs et un député. La proposition est simple : le district fédéral continuerait à exister comme siège du gouvernement et à être sous la juridiction exclusive du Congrès, comme exigé par la Constitution, mais sa superficie serait drastiquement réduite : une version élargie du National Mall comprenant le Capitole et la Maison-Blanche. Le reste de la capitale, résidentiel, deviendrait le 51e État des États-Unis.

Cette solution élégante a l’avantage d’accorder une représentation au Congrès aux habitants de la capitale sans nécessiter le vote d’un amendement constitutionnel. Sa réussite est toutefois loin d’être acquise, pour la même raison qui a fait échouer le projet d’amendement en 1978 : l’opposition des républicains, plus farouche encore aujourd’hui qu’à l’époque. Alors qu’un certain consensus existait au niveau national en 1978, la fracture partisane entre démocrates et républicains s’est creusée. Tant que ces derniers disposeront d’une majorité au Sénat, la mesure ne passera pas, car ils tenteront jusqu’au bout d’empêcher le gain de deux sénateurs par les démocrates.

En mai 2020, le président Trump a déclaré au New York Post sur le sujet : « Un État ? Pourquoi ? Pour qu’on ait deux sénateurs démocrates et cinq députés de plus ? Non merci. Ça n’arrivera jamais ». Plus récemment, le sénateur Tom Cotton est allé plus loin encore dans un discours riche en préjugés en accusant la capitale de ne pas présenter assez de diversité d’intérêts, pas assez d’industries pour devenir un État, en accusant ses élus, « politiciens de gauche comme Muriel Bowser », de ne pas être capables d’assurer la sécurité de la ville, et en accusant ses habitants de ne pas avoir le bon type d’emplois, opposant les supposés bureaucrates et employés washingtoniens aux mineurs et ouvriers du Wyoming.

Quelles sont les perspectives ?

Aujourd’hui, les chances des Washingtoniens de retrouver le droit de vote dépendent du résultat de deux élections sénatoriales à l’issue incertaine et de changements dans les procédures d’adoption des lois au Sénat.

Pour que Washington devienne un État, le projet adopté en juin dernier par la Chambre doit être adopté au Sénat, puis signé par le président. L’élection de Joe Biden le 3 novembre 2020 rend possible la signature présidentielle, qui aurait été inenvisageable sous une seconde présidence Trump. L’adoption par le Sénat sera plus délicate à obtenir. À la suite de l’élection de novembre 2020, les républicains disposent de 50 sièges et les démocrates de 48. Deux sièges restent en jeu. Ils seront attribués à l’issue de deux seconds tours disputés le 5 janvier 2021, qui décideront de la possibilité ou non pour Joe Biden de disposer d’une majorité. Si les républicains emportent au moins l’un des deux sièges, ils conserveront leur majorité, réduisant à néant ou presque les chances des Washingtoniens. Si les démocrates parviennent à remporter les deux sièges, ce qui est peu probable mais reste possible tant les deux élections sont incertaines, ils disposeront comme les républicains de 50 sièges, et donc de la majorité car en cas d’égalité parfaite les votes sont départagés par le vote du vice-président, qui sera dès le 21 janvier 2021 la démocrate Kamala Harris. Dans ce cas de figure, les obstacles ne seraient pas pour autant terminés pour les Washingtoniens, car les sénateurs de l’opposition disposent dans leur arsenal de l’outil d’obstruction, le fameux filibuster, qui consiste à empêcher de procéder au vote sur un projet de loi et ne peut être interrompu que par un vote à la majorité qualifiée de 60 voix, dont les démocrates ne disposeraient pas pour un vote aussi partisan que celui sur le changement de statut de la ville de Washington. L’espoir des Washingtoniens reposerait alors sur la possibilité suggérée par certains sénateurs démocrates, dont le chef de file actuel de la minorité Chuck Schumer, de mettre un terme à la possibilité d’obstruction, ce qui est possible par un vote à la majorité simple mais établirait un précédent historique.

En résumé, il existe pour les Washingtoniens un chemin à court terme vers la représentation au Congrès, mais il est étroit et tortueux.

Si la tentative en cours échoue, les résidents de la capitale en seront réduits à attendre une configuration plus favorable au Congrès… ou à déménager dans l’un des 50 États. Le député (démocrate) John Dingell remarquait avec légèreté en 1993 que « aucun citoyen de Washington n’est enchaîné aux colonnes du Capitole. Ils peuvent partir quand bon leur semble ». Mais imposer aux citoyens un choix entre leur ville et leur droit de vote n’est-il pas indigne d’une démocratie ?

L’obstination du Congrès à dénier aux Washingtoniens l’égalité de droit avec les autres citoyens américains est une illustration supplémentaire des problèmes de démocratie et de représentation qui se posent aujourd’hui aux États-Unis. Le déni de deux sénateurs aux Washingtoniens, parce qu’ils seraient démocrates, renforce la sous-représentation actuelle des démocrates au Sénat. La règle de répartition de deux sénateurs par État quelle que soit sa population aboutit aujourd’hui à surreprésenter les zones rurales conservatrices aux dépens des zones urbaines plus progressistes. C’est ainsi que la majorité sénatoriale se trouve disputée dans un pays à majorité démocrate. Ce mode de représentation se répercute sur le collège électoral présidentiel, qui reproduit le même biais. C’est ainsi que l’élection présidentielle de 2020 devient extrêmement serrée et se joue à quelques dizaines de milliers de voix dans une poignée d’États clés alors que Joe Biden dispose de sept millions de voix d’avance au suffrage populaire. C’est ainsi qu’Hillary Clinton s’incline face à Donald Trump en 2016 alors qu’elle dispose de plus de trois millions de voix supplémentaires à l’échelle nationale. C’est ainsi qu’un pays majoritairement démocrate voit aujourd’hui ses lois arbitrées par une Cour suprême très conservatrice, dotée de six juges conservateurs face à trois progressistes, confirmés par un Sénat qui surreprésente les républicains. Cette situation trouve ses fondements dans l’histoire étatsunienne et celle de ses institutions. Sa traduction politique actuelle autorise néanmoins à se poser la question suivante : faut-il craindre avec Tocqueville la tyrannie de la majorité, ou se prémunir aujourd’hui contre une tyrannie de la minorité ?

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