Vie à crédit. Prévenir le surendettement

Vivre à crédit, c’est aussi vivre dans la crainte de la déchéance sociale. Aujourd’hui, des dispositifs existent pour sortir de la spirale du surendettement mais ils restent limités. Comment aller plus loin ? Michel Debout et Chaynesse Khirouni avancent des propositions concrètes pour donner une nouvelle chance aux citoyens menacés de surendettement et souvent de détresse psychologique.

La dette constitue une nécessité économique, facilitant la réalisation de projets, mais elle peut également se révéler un piège mortifère asphyxiant financièrement le débiteur. Si elle est un sujet central des débats macroéconomiques, elle reste peu étudiée au niveau de ses effets sur les ménages. Pourtant, les phénomènes de surendettement peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur les familles et les individus.

Le principe de la dette existe structurellement au sein des sociétés : les sentiments de reconnaissance, de loyauté et de confiance qu’elle suppose sont au fondement de toute société humaine, chaque enfant a symboliquement une dette envers ses parents. En termes économiques, la dette permet de réaliser un objectif inatteignable par les seuls moyens financiers d’un acteur économique, elle doit être un échange gagnant-gagnant : le projet du débiteur est réalisé et le créancier obtient un bénéfice grâce aux intérêts versés. Cependant, la dette est porteuse d’un conflit intrinsèque : le financeur a tout intérêt à récupérer son investissement le plus vite possible, alors que l’emprunteur a besoin d’un remboursement étalé dans le temps. Cette tension structurelle est exacerbée par le système financier actuel où le gain à court terme prime. Ce fut la cause principale de la crise des subprimes, causant la ruine des emprunteurs aux finances fragiles, la faillite des établissements bancaires et poussant les Etats à renflouer les banques dans l’urgence.

La mondialisation économique a provoqué une séparation entre les pays producteurs, peu consommateurs et à forte démographie et les pays consommateurs et à faible démographie. Au sein de ces derniers, les rôles économiques des citoyens comme producteurs et consommateurs sont progressivement entrés en conflit : ils profitent de prix élevés pour leurs salaires et de prix cassés pour leurs achats. La crise provoque la baisse des revenus, la dégradation et la précarisation des conditions de travail et la hausse de la fiscalité. La solution trouvée par le système économique est le recours au crédit pour permettre la consommation en compensant la perte de revenus. Les biens durables, signes de réussite sociale, sont inatteignables sans endettement. Mais celui-ci entraîne un risque de fragilisation en cas d’accidents de la vie.

Une étude Ipsos pour la Banque de France a dressé les profils des ménages et des comportements conduisant au surendettement, en insistant sur les situations de séparation ou de chômage. En plus des conséquences économiques désastreuses, la surdette a aussi des effets sociaux et sanitaires potentiellement dévastateurs. Elle crée des sentiments de honte, d’échec et de colère qui peuvent conduire à un usage accru de substances psychotropes jusqu’à l’addiction, à des phénomènes de dépressions, de violences ou de suicides, brisent les familles, désocialisent les individus et altèrent gravement leur santé.

Face au défi que constitue le surendettement des ménages, des réponses ont été apportées dès la loi Neiertz adoptée le 31 décembre 1989, loi ensuite améliorée à plusieurs reprises. Cette loi permet d’imposer un plan de redressement aux organismes financiers qui suspend les créances et empêche toute poursuite judiciaire. En échange de cette protection, le débiteur perd son autonomie financière. Près d’un million de dossiers a ainsi été traité depuis 2011 ; le nombre de ménages en procédure de désendettement a augmenté de près de 22,5 % depuis 2001. De même, le volume de la dette financière des ménages a augmenté de 15 % alors que les arriérés de paiement des charges courantes ont augmenté de près de 32,5 %, démontrant à nouveau l’impact de la crise sur les ménages. C’est dans ce contexte qu’est intervenue la loi Hamon, en 2013, pour renforcer le dispositif au profit des emprunteurs.

Cependant, beaucoup reste à faire et les auteurs font plusieurs propositions pour redresser le rapport de force qui lie l’emprunteur à l’organisme financier. Une année blanche pourrait être ainsi instaurée pour le remboursement des mensualités, sur simple demande du débiteur, pour donner aux ménages une nouvelle possibilité de reprendre le contrôle de leurs finances.

Si les tentatives de réformes du système financier par le haut (les Etats) ont montré leurs limites, les auteurs proposent d’agir sur ce système à sa base pour prévenir les drames personnels et collectifs que représente le surendettement.

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