Quels investissements éducatifs?

Le financement de l’éducation est au coeur des politiques publiques contemporaines en Occident. Smaïn Tsouria nous présente ici les pistes pour rendre plus justes et plus efficaces en France les investissements éducatifs dans la décennie à venir.

Le financement de l’éducation – entendu comme le système éducatif en charge de la formation initiale – est au cœur des politiques publiques contemporaines en Occident. En effet, dans le cadre de la mondialisation, de la désindustrialisation et de la compétition entre économies, l’élévation du niveau de qualification de la population apparaît comme une nécessité. En France, le tournant a été pris il y a près de trente ans, avec la loi Chevènement du 25 janvier 1985, qui affirmait cet objectif. Il a été confirmé par le conseil européen de Lisbonne du 23 au 24 mars 2000, qui demandait l’adaptation des sociétés européennes à une « économie de la connaissance ». Celle-ci ne pouvait être atteinte, selon le document adopté à l’issue de ce conseil, par un effort financier qui vise à « accroître chaque année substantiellement l’investissement par habitant » en matière de formation. Deux objectifs étaient affirmés : réduire le nombre de décrocheurs scolaires (i.e. les sortants du système éducatif sans diplôme de niveau V), et atteindre 50 % d’une classe d’âge diplômée du premier cycle de l’enseignement supérieur.

A l’aune de ces objectifs, quelles peuvent-être les pistes pour rendre à la fois plus justes et efficaces les investissements éducatifs dans la décennie à venir ? Sera pris en compte uniquement ici la stratégie de financement de l’Etat. Celui-ci n’est cependant plus le seul acteur : les entreprises, et surtout les collectivités locales, constituent en effet des acteurs croissants du financement éducatif. La note se limitera donc aux enjeux directement liés aux administrations centrales, ce qui ne signifie pas que celles-ci soient les seuls agents des dépenses d’éducation.

Quelles évolutions du financement de l’éducation ?

La France fait partie des pays occidentaux qui tendent à fournir un effort réel pour l’éducation. Elle dépense en 2011 globalement plus pour les élèves du premier et second degré que la moyenne des pays de l’OCDE. En termes de pourcentage du PIB, l’effort dit de dépense intérieure d’éducation (DIE) paraît globalement assez constant sur les 35 dernières années.

DIE en pourcentage du PIB (Sources : MEN/DEPP)

 

1980

2000

2010

2014

Dépense intérieure en % du PIB

6,5

7,3

7,0

6,8

 

La dépense intérieure d’éducation, contrairement aux idées reçues, a eu tendance à légèrement régresser depuis les années 2000. La démographie du système éducatif n’explique que très partiellement cette évolution : les effectifs d’élèves et d’étudiants, après un léger reflux entre 2005 et 2007, sont repartis à la hausse depuis 2008, cette hausse touchant tous les secteurs du premier degré au supérieur. La fin de la démocratisation scolaire (actée en 1995 dans le second degré, puis suivie à partir de 2005 par une relative stagnation des effectifs étudiants) est une première explication. De même, les effectifs des personnels éducatifs ont eu tendance à régresser depuis les années 2000 : le nombre d’enseignants du second degré est ainsi passé d’à peu près 530 000 en 2002-2003 à 480 000 en 2014-2015 (Sources : MEN/DEPP). Dans le premier degré, en dépit d’une remontée continue depuis 2012, les effectifs n’ont pas retrouvé le pic de 2010-2011 (375 000 enseignants, sources : MEN/DEPP). Seul l’enseignement supérieur a connu une croissance notable de ses effectifs enseignants, avec une croissance de 4,9% entre 2004 et 2014. Cependant, la France continue à moins financer l’enseignement supérieur (1,5%) que la moyenne des pays de l’OCDE (1,6%), ce qui pèse en particulier sur le parent pauvre du secteur, à savoir les universités.

Un premier enjeu : lisser l’effort de financement le long du parcours éducatif

S’il n’est pris que la dépense totale pour l’éducation, la France ne semble pas s’éloigner substantiellement de la moyenne des pays de l’OCDE. Pourtant, notre nation a fait un double choix financier qui la caractérise fortement au sein de cet ensemble en matière éducative. Elle a choisi tout d’abord de moins financer le premier degré : sa dépense en 2011 est ainsi près de 20% inférieure à la moyenne de cette zone. Ceci se traduit notamment par un sous-encadrement des élèves : 18,1 élèves par enseignant dans le premier degré en France contre 15,1 dans la moyenne des pays de l’OCDE en 2011. En sens contraire, notre pays a fait le choix d’un sur-financement du second degré, avec une dépense par élève de 20 % supérieur à la moyenne de l’OCDE. 

Ce choix, contrairement à ce qui peut être affirmé parfois, a eu plusieurs effets positifs : la France se distingue par un taux de sortie scolaire précoce (8,5%) nettement inférieure à la moyenne de l’Union européenne (11,1%). Notre pays a d’ailleurs déjà dépassé les objectifs du conseil européen de Lisbonne sur ce point. De même, la France dépasse très largement la moyenne des pays de l’UE en matière de réussite des études secondaires (88% contre 82%). Elle constitue même de ce point de vue une exception parmi les grands pays d’Europe occidentale. Enfin, la France connaît un taux de diplômés de l’enseignement supérieur de 43 % parmi les 25-34 ans, près de 4 points au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. 

Cependant, ce choix financier a eu des conséquences plus négatives. Ainsi, la stratégie de dépense éducative de la France tend à « fixer » les inégalités socio-éducatives dans le premier degré, le second degré tendant à reproduire celles-ci. Ainsi, les 10% d’élèves les plus en difficulté en mathématiques à l’entrée en 6ème ont une probabilité ultérieure de décrochage scolaire de 48%.

Sur les dix prochaines années, il paraît donc nécessaire de procéder à une double affectation des moyens supplémentaires à l’éducation. Plutôt que de réduire le financement du second degré (qui conduirait à faire perdre à la France ses bons résultats en matière de sorties de ce niveau), il paraîtrait plus efficace d’allouer les marges de manœuvre au premier degré. D’autre part, dans l’objectif de 50% d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur, il est structurellement nécessaire de fournir à celui-ci les moyens d’absorber les flux croissants en premier cycle. Ce second point est d’autant plus urgent que l’enseignement supérieur voit d’ors et déjà ses effectifs croître nettement depuis 2011 à nouveau. Il convient donc de « lisser » sur tout le parcours éducatif, du pré-élémentaire au supérieur, la dépense de la collectivité.

Un deuxième enjeu : lier justice sociale et efficacité dans le financement de l’éducation

Autre enjeu fondamental des stratégies de financement éducatif, l’équité de celles-ci doit être affirmée. 

Depuis 1981, la France a rompu avec le principe d’un effort financier uniforme au travers de la mise en place des politiques d’éducation prioritaire. Cependant, les effets concrets de celle-ci restent sujets à débat. D’un point de vue budgétaire, la Cour des comptes a souligné les limites de la « priorité » affichée aux établissements relevant de cette politique. Ainsi, les élèves d’éducation prioritaire bénéficiaient d’un financement moindre que ceux d’établissements prestigieux. La loi dite « Peillon » du 8 juillet 2013 renforce certes la priorité financière aux REP et REP+. Cependant, celle-ci est contrainte par une série de limites. Par exemple, les incitations financières aux personnels restent limitées (moins de 200 euros par mois pour les REP+, un peu plus de 100 euros par mois pour les REP). Une différentiation accrue des rémunérations en faveur des personnels d’éducation prioritaire paraît  nécessaire. De même, l’affectation des ressources supplémentaires disponibles devraient favoriser le premier degré relevant des REP/REP+. Cette différentiation est d’autant plus cruciale que la loi fixe à 10 % l’écart scolaire recherché entre éducation prioritaire et non-éducation prioritaire.

Cet enjeu d’équité doit aussi apparaître dans l’enseignement supérieur. A l’heure actuelle, la répartition financière tend à favoriser les grandes écoles et les classes préparatoires qui y mènent (CPGE) au détriment de l’université, ce qui constitue une forme de prime budgétaire aux classes sociales les plus favorisées qui dominent ce secteur. Un étudiant de CPGE coûte ainsi plus de 14 800 euros par an à la collectivité, contre l0 800 euros pour un étudiant d’université. L’accueil des étudiants issus des classes populaires et – ce qui recoupe largement cette catégorie- issus des baccalauréats technologique et professionnel devrait recevoir une priorité financière. De ce point de vue, les secteurs où ceux-ci sont surreprésentés (STS, premier cycle universitaire généraliste, et plus relativement, IUT) devraient bénéficier prioritairement de l’effort financier. C’est en particulier le cas des STS, seule filière de l’enseignement supérieur réellement ouverte aux bacheliers professionnels (27 % des effectifs en 2013-2014). 

Cette exigence d’équité rejoint l’intérêt bien compris de la collectivité.  Favoriser les premiers cycles universitaires (ainsi que les STS) permettrait de fortement réduire les échecs dans l’enseignement supérieur, dont les premières victimes sont les bacheliers professionnels (55,8% d’échec). Des REP à l’enseignement supérieur, les moyens financiers supplémentaires doivent aller aux enfants des classes populaires, ce qui permettrait d’améliorer à la fois leur situation et de tirer l’école française vers le haut.

 

Du même auteur

Sur le même thème