Du quinquennat et des institutions

De la crise démocratique qui a émergé suite à la réforme des retraites se pose aujourd’hui la question de la réforme des institutions. Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, revient sur le rapport de la gauche et de la droite aux questions institutionnelles, et notamment sur leur position au moment de la réforme instaurant le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Il propose d’opter clairement pour un régime présidentiel qui revaloriserait, contrairement à l’idée reçue, le rôle du Parlement.

Introduction

Alors même que nous approchons du 65e anniversaire de la Constitution, l’équilibre politique qu’elle avait institué en son temps est sous le feu roulant de critiques de plus en plus acerbes. Certes, nombre de celles-ci ne sont pas nouvelles. Sans remonter aussi loin que la dénonciation d’un coup d’État permanent, son aspect hybride, sa rationalisation très poussée du travail parlementaire, la montée en puissance du Conseil constitutionnel, le fait majoritaire sont autant d’éléments, de temps à autre distingués, fréquemment mélangés, ayant donné lieu à une multitude de réflexions. Souvent de la part de constitutionalistes ou de politistes, parfois de la part de femmes et d’hommes politiques. Et si nous vivons toujours sous la Ve République, il n’est pas inutile de rappeler qu’au fil des nombreuses révisions que le texte originel a subies, la réalité institutionnelle et politique d’aujourd’hui est bien différente de celles des origines. Ne serait-ce d’ailleurs car nous avons connu onze élections présidentielles au suffrage universel direct qui ont toutes contribué à progressivement structurer la vie politique nationale. Aujourd’hui, les critiques se focalisent pour l’essentiel d’une part sur la durée du mandat présidentiel qui depuis l’instauration du quinquennat aurait accru non pas seulement une personnalisation du pouvoir, mais bien sa présidentialisation ; d’autre part le constat sans cesse renouvelé, en dépit d’avancées incontestables, d’un Parlement qui serait impuissant et empêché notamment par les dispositifs de rationalisation dont le 49-3 est à la fois le symbole et l’arbre cachant la forêt1Nous renvoyons ici, parmi une littérature nombreuse, au dernier article de Bastien François dans La Grande Conversation..

La gauche et la droite face aux questions institutionnelles

Le moins que l’on puisse dire est que la réflexion sur les institutions depuis 1958 n’a pas occupé la même position au sein des familles politiques. Affirmer que la droite, évidemment plus encore celle issue du gaullisme, a accordé moins d’importance que la gauche, y compris dans sa vie interne, aux débats institutionnels est certes un peu caricatural mais n’en demeure moins porter un fond de réalité2Le fait que la gauche demeurât vingt-trois ans dans l’opposition, si l’on admet que la participation éphémère de la SFIO aux débuts du régime ne rentre pas en ligne de compte, l’explique pour beaucoup.. D’autant que des présidents issus de la droite n’ont pas manqué d’être à l’initiative de réformes constitutionnelles non négligeables ou aux conséquences évidentes, au fil du temps : Valéry Giscard d’Estaing avec l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel ou Nicolas Sarkozy à l’occasion de la réforme de 2007-2008. Paradoxalement, le bilan de la gauche sur le plan constitutionnel est plus conséquent du temps de la « gauche plurielle » que lors des deux septennats de François Mitterrand. Non pas qu’il n’y ait pas eu de réformes dont le contenu n’ait pas profondément modifié la vie politique française (on pense ici à la décentralisation ou à la première limitation du cumul de mandats)3Ce qui est somme toute logique puisque pour qu’une réforme constitutionnelle soit adoptée, il convient, si l’on respecte à la lettre la procédure de révision prévue dans la Constitution, de passer par l’article 89 qui dispose que le texte doit être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et par le Sénat avant d’être soumis au peuple par voie référendaire ou au Congrès. Or, sauf de 2011 à 2014, jamais la gauche ne parvint à obtenir une majorité au sein de la Chambre haute. Cette réalité politique empêcha à l’évidence François Mitterrand lors de ses vaines tentatives, notamment la dernière à l’issue du rapport du Comité dit Vedel en 1993.. Si l’on doit au gouvernement de Lionel Jospin nombre de dispositions non constitutionnelles, mais aux réelles conséquences politiques, qui font aujourd’hui l’objet d’une acceptation quasiment unanime, seul le souvenir de l’instauration du quinquennat et de « l’inversion » du calendrier électoral surnage dans notre souvenir, preuves supplémentaires d’une dérive présidentialiste insupportable des socialistes au pire, d’une absence de réflexion sur le système institutionnel au mieux.

Depuis, nombreux furent d’ailleurs les membres du Parti socialiste, notamment mais pas seulement loin de là, et parmi les plus éminents, à critiquer vertement l’instauration du mandat de cinq ans pour le président de la République et le décalage dans le temps de l’élection des députés, y voyant pour beaucoup la cause essentielle d’un effacement du Parlement au profit de la présidence de la République. Voire, pour les socialistes, la raison de la défaite cruelle au soir du 21 avril 2002. Bien évidemment, toutes ces critiques n’ont pris cours que bien après le référendum de 2000 instaurant le quinquennat et le texte législatif prolongeant le mandat des députés de quelques semaines. Pour autant, l’instauration de ce quinquennat et la manière dont le Parti qui en fut le promoteur le critiquât par la suite apportent une nouvelle fois une illustration de la difficulté, de la part de ce qui fut le principal parti de la gauche française durant près de cinq décennies, de disposer d’une pensée institutionnelle assumée, opératoire et effective. Pour autant, croire que ce débat ne traversât que les forces rassemblées au sein de la coalition de la gauche plurielle serait faire fausse route. Entre les considérations tactiques, les haines personnelles recuites et les hésitations institutionnelles des uns et des autres, la droite parlementaire d’alors est tout autant percluse de divisions. Et c’est sans évoquer même le mythe d’une Ve République à ce point parfaite puisque gaullienne dont rien ne saurait déranger l’équilibre né du texte de 1958 et de sa réforme de 1962 instaurant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Les débats à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 2007-2008 initiée par le lointain successeur du fondateur de la Ve République, Nicolas Sarkozy, en portèrent d’ailleurs la trace. Il suffit pour s’en convaincre de relire les interventions en séance alors de l’un des fils de Michel Debré, Bernard Debré.

Le quinquennat : une réforme mise en œuvre par la gauche

L’idée du quinquennat ne tombait pas du ciel. Sans effectuer dans un voyage temporel de mauvais aloi, rappelons pour mémoire que cette question de la durée du mandat du président de la République n’était pas nouvelle. Ainsi, dès le début des années 1970, sous l’impulsion du président de la République d’alors, Georges Pompidou, un projet de réforme constitutionnelle avait été adopté par les deux Chambres prévoyant de raccourcir le mandat de deux ans4Il convient ici de lire le petit billet publié par Édouard Balladur, alors secrétaire général de l’Élysée sur cette tentative avortée.. Et s’il ne vit finalement pas le jour, le président de la République craignant de ne pas recueillir la majorité requise des trois cinquièmes au Congrès (quand bien même il a été voté dans les mêmes termes par les deux Chambres comme le prévoit l’article 89), et probablement échaudé par le relatif échec du référendum l’année précédente sur l’intégration du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, tel un serpent de mer, périodiquement il refaisait surface. Il figurait d’ailleurs dans les 110 propositions du candidat François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1981, à la 45e place. C’est bien la vie politique, et non pas une vision institutionnelle elle-même, qui le fit resurgir des limbes parlementaires.

En effet, à la différence de 1973, la France connaissait en 2000 sa troisième période de cohabitation. De 1986 à 1988, de 1993 à 1995 et depuis 1997, la France expérimentait ce moment politique détonnant où à un président de la République élu auparavant s’opposait une majorité parlementaire5À l’Assemblée nationale et au Sénat pour les deux premières, seulement à l’Assemblée nationale depuis 1997. aux orientations politiques distinctes. Et c’est bien cette accumulation d’expériences qui explique en grande partie les termes des débats autour du quinquennat et du « rétablissement » du calendrier électoral, y compris à l’occasion des débats parlementaires. L’éventualité d’une cohabitation avait fait couler beaucoup d’encre en 1978 à l’occasion des élections législatives. Et si finalement la gauche, désunie suite à la rupture de l’union de la gauche entre le PCF et le PS (et également le MRG), avait été défaite permettant à la majorité présidentielle (elle-même profondément divisée entre l’UDF de Valéry Giscard d’Estaing et le RPR de Jacques Chirac) de demeurer majoritaire à l’Assemblée nationale, le débat avait ressurgi à l’occasion des élections législatives de 1986. Si François Mitterrand décide de ne pas se démettre, ce n’est pas pour autant qu’il se soumet politiquement, faisant de l’Élysée – aidé par un Parti socialiste fort sur ses bases parlementaires après l’instauration de la proportionnelle départementale pour l’élection des députés – l’assise de sa reconquête électorale victorieuse de 1988. Au final, les deux cohabitations, très différentes, de 1986-1988 puis de 1993-1995 pouvaient apparaître comme des parenthèses institutionnelles ne remettant pas en cause la logique, telle que pratiquée, des institutions de la Ve République. Tel ne pouvait pas être le cas de celle de 1997, provoquée par la dissolution décidée par le président de la République Jacques Chirac puisque, à quelques semaines près (d’où la loi de 2001 prolongeant le mandat des députés), elle faisait coïncider les mandats parlementaire et présidentiel. C’est cette disjonction des légitimités populaires et l’acceptation de la prééminence de l’élection présidentielle dans notre système institutionnel qui remît au goût du jour l’hypothèse d’une homogénéisation de la durée des mandats du président de la République et des députés de la Nation. L’idée était alors bien pour ses promoteurs d’éviter la coexistence de deux légitimités opposées pouvant provoquer au sommet de l’État des freins à la mise en place des engagements politiques pris par chacun des camps auprès de leurs électeurs. En quelque sorte, la dyarchie institutionnelle devenait alors un élément de blocage politique pouvant conduire à une incapacité d’agir et donc à une rupture de l’efficience démocratique. Le « en même temps » comme facteur d’immobilisme ! C’est bien cet ensemble d’arguments (prééminence de l’élection présidentielle, respect du suffrage populaire) qui pour certains de ses promoteurs milite en faveur du passage du septennat au quinquennat.

Mais il en est un autre qui est régulièrement avancé par celui qui siège à Matignon depuis juin 1997 : la démocratisation des institutions. Ainsi, dans son ouvrage publié en 19956Lionel Jospin, Propositions pour la France, Paris, Stock, 1995, p. 104 et suivantes. à l’occasion de sa candidature à l’élection présidentielle, Lionel Jospin a « défini (sa) conception : celle d’un « Président-citoyen ». Le président de la République est, et demeure, un citoyen. Il doit être accessible. Il doit accepter le débat. Il doit être au sens fort du mot, responsable. (…) C’est aussi rendre compte de son mandat devant le pays dans un délai raisonnable. C’est dans cet esprit que je souhaite ramener le mandat présidentiel à cinq ans, ce qui permettra de limiter les risques de cohabitation, facteur d’affaiblissement dans la conduite du pays. Je soumettrai cette décision à l’approbation des citoyens par référendum et l’appliquerai à moi-même. » C’est cette volonté de démocratiser les institutions qui conduit le candidat de 1995 à promouvoir également l’impossibilité pour les ministres et les députés de cumuler leurs responsabilités avec des fonctions exécutives dans les collectivités territoriales, à redonner des pouvoirs au Parlement (une plus grande maîtrise de l’ordre du jour, la limitation de l’usage du 49-3, des droits accrus pour l’opposition, la discussion de la loi en séance publique à partir du texte adopté en commission…)7On se permettra ici de souligner sans malice aucune la grande similitude avec les propositions du Comité Balladur de 2007 dont s’inspirera la réforme constitutionnelle de 2007-2008 conduite sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy…, à ouvrir la saisine du Conseil constitutionnel aux citoyens. Cette logique de la modernisation de la vie politique est d’ailleurs reprise deux ans plus tard à l’occasion des législatives de 1997. Ainsi, dans L’Hebdo des socialistes du 9 mai 1997, les principaux points du programme du PS sont présentés par Pierre Moscovici (secrétaire national aux Études) et Manuel Valls (secrétaire national à la Communication) comme suit : « La modernité, c’est rapprocher l’élu du citoyen. Nous raccourcirons et harmoniserons la longueur des mandats électoraux et fixerons à cinq ans la durée de tous les mandats politiques. (…) Nous limiterons strictement le cumul des mandats et des fonctions politiques. (…) Nous inscrirons dans la Constitution l’objectif de parité hommes-femmes. (…) Nous donnerons un véritable statut à l’opposition8L’Hebdo des socialistes, 9 mai 1997, p. 8.. » On retrouve d’ailleurs ces mêmes préoccupations dans le cadre de l’accord entre les Verts et le PS dans le troisième chapitre « Démocratie et citoyenneté » : non-cumul des mandats, augmentation du nombre de commissions du Parlement, suppression de l’article 16 de la Constitution, mise en place du quinquennat présidentiel9Elisa Steiner, La genèse de la gauche plurielle, Rennes, PUR, 2021, p. 175.. De fait, des textes de lois seront adoptés par la majorité dite plurielle entre 1997 et 2002 visant à favoriser la parité aux élections législatives (notamment par le biais des règles du financement de la vie publique), à renforcer les droits de l’opposition, notamment dans les collectivités territoriales, et à accroître les cas de non-cumul. Et puisque nulle réforme constitutionnelle n’était possible sans l’accord de la droite sénatoriale et/ou du président de la République, les projets d’évolution du texte fondamental de la République française ne purent voir le jour. Ce qui n’empêcha Lionel Jospin d’avoir une utilisation du 49-3 tranchant avec celles des années précédentes, et notamment lors de la législature de 1988 à 1993.

C’est dans ce cadre qu’émerge de nouveau la problématique du quinquennat présidentiel. C’est de l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing que viendra le petit coup de pouce. En déposant une proposition de loi modifiant la Constitution, ce dernier donna l’opportunité au Premier ministre socialiste de mettre en place une partie de son programme, tout en contraignant le président de la République d’alors, Jacques Chirac, à revenir sur une opposition de principe à cette évolution. Ses positions en la matière, comme dans un certain nombre d’autres, furent bien changeantes : d’abord soutien de la proposition pompidolienne (il était alors ministre de l’Agriculture et du Développement rural), il prône en 1981, alors qu’il est opposé au président sortant Valéry Giscard d’Estaing, un septennat non renouvelable avant, sept ans plus tard, de se prononcer en faveur d’un raccourcissement du mandat présidentiel, puis de nouveau sept ans plus tard de botter en touche face à un Lionel Jospin qui faisait donc de cette réduction un des points forts de son programme politique lors de l’élection présidentielle de 1995. Et il mettra du temps à se laisser convaincre – imposer ? – le projet de réduction de la durée du mandat présidentiel lors de son premier mandat. Toutes les familles politiques sont divisées : au sein du RPR, certains sont favorables à un régime présidentiel, comme Philippe Séguin et Édouard Balladur, lorsque d’autres affichent leur préférence en faveur du septennat alors en vigueur, comme Charles Pasqua. Le RPF de Philippe de Villiers, comme le Front national, appelleront les Français lors du référendum à rejeter la proposition constitutionnelle. Même au sein de la cosmogonie centriste dont est issu l’initiateur de la nouvelle proposition de loi constitutionnelle, Raymond Barre et Philippe Léotard se prononcent en faveur du septennat. Pour beaucoup, la crainte est bel et bien que cette réforme modifie profondément les équilibres institutionnels, certains soulignant même le risque d’une dérive vers un régime présidentiel. Il faut lire le rapport du député Gérard Gouzes10Député socialiste, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, alors présidée par Bernard Roman. présenté lors des débats parlementaires pour bien saisir la volonté du Premier ministre. Il s’agit bel et bien ici de mettre fin à un temps « monarchique » et d’accéder à un rythme politique démocratique sans pour autant remettre en cause l’équilibre des institutions.

L’équilibre sera, justement, bien délicat à tenir tant, de toute part, des velléités d’amendements surgissent. Il est d’ailleurs instructif à cet égard de relire le débat parlementaire et les réponses aux critiques émises dans le rapport du parlementaire socialiste : « Si certains craignent, à tort, une présidentialisation accrue du régime, d’autres estiment, à l’inverse, que le président de la République, élu en même temps que l’Assemblée nationale, descendrait de son piédestal. (…) il est indiscutable que le passage du septennat au quinquennat, du Président monarque au Président citoyen, constituera une étape importante de la modernisation de notre vie politique11Rapport de Gérard Gouzes relatif à la durée de mandat du président de la République, Assemblée nationale, le 8 juin 2000.. » Ce qui mérite ici d’être relevé, c’est bien la variété des approches constitutionnelles au sein de l’ensemble des familles politiques d’alors : entre les défenseurs d’un régime présidentiel, ceux militant pour une dévitalisation des pouvoirs du président de la République, les défenseurs d’une revitalisation des pouvoirs du Parlement par une meilleure maîtrise de l’ordre du jour ou la suppression (ou limitation) du 49-3, tout l’éventail des discussions constitutionnelles est présent. Mais la consigne au sein de la majorité de la gauche plurielle était claire et fruit de l’accord du président de la République : le quinquennat « sec » et c’est tout. Rappelons d’ailleurs à cet égard que contrairement à la proposition originelle de Valéry Giscard d’Estaing, la limitation du nombre de mandat du président de la République ne figurait pas dans le projet de loi constitutionnelle du gouvernement qui est adopté par les deux Chambres et soumis par référendum aux Françaises et Français. Cette limitation ne sera adoptée que quelques années plus tard à l’occasion de la réforme institutionnelle la plus lourde, celle portée par Nicolas Sarkozy en 2008.

Du quinquennat au rétablissement du calendrier électoral

Mais une fois actée la fin du septennat, cette réforme en appelait, immanquablement pourrait-on dire, une autre : celle de la date de l’élection législative suivante. En effet, puisque la logique portée par le quinquennat était notamment celle d’éviter au plus le risque de la cohabitation, alors maintenir le calendrier prévoyant des élections législatives entre le 3 février et le 24 mars alors même que le premier tour de l’élection présidentielle se tiendrait le 14 ou le 21 avril entre en contradiction avec l’objectif affiché et validé par le peuple souverain. C’est bien de cela dont il s’agit lors de ce débat parlementaire qui débute en décembre 2000. La singularité de ce calendrier électoral tient à deux éléments bien éloignés l’un de l’autre : le décès de Georges Pompidou d’abord, la dissolution de 1997 ensuite. Et le gouvernement n’est pas le seul à songer à revenir sur cette étrangeté calendaire puisqu’un certain nombre de propositions de lois organiques abordant cette question sont déposées de la part de Georges Sarre, Raymond Barre, Hervé de Charrette, Gérard Gouzes et le groupe socialiste dans son entier. Dans son rapport parlementaire débattu lors de la séance de la commission des lois, Bernard Roman12Rapport n°2791, Assemblée nationale, 12 décembre 2000. avance qu’« il est ici question de maintenir l’un des principaux acquis de la Ve République, non pas la prééminence du président de la République – depuis 1986 la pratique institutionnelle a montré la valeur relative de cette primauté – mais bel et bien le fait majoritaire. » Il aborde également de front l’argument – toujours vivace – en faveur de l’élection des députés avant celle du président de la République : « l’effacement du Parlement n’est pas né de la seule instauration de l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962. (…) Tenir compte de cette nouvelle réalité, sans ressasser une image nostalgique d’un âge d’or définitivement perdu, mais en cherchant, sans cesse, les nouveaux modes d’action qui feront du Parlement une institution moderne et efficace, tel est le défi auquel nous sommes confrontés. Croire que, par le seul hasard du calendrier favorable, l’on pourrait inverser cette tendance profonde des démocraties modernes, à laquelle nos institutions n’échappent pas, n’est pas forcément réaliste. » Plus encore, pour le rapporteur, si l’on croit que jouer sur le calendrier électoral suffit à modifier le cours des institutions, alors cette hypothèse devrait être soumise au peuple souverain et ne pas concerner uniquement ses représentants. Et dans une sentence auquel le recul laisse un goût étrange, le député du Nord de conclure : « Notre régime est à bien des égards à bout de souffle et en attente de mutations profondes, auxquelles des réformes d’envergure pourraient répondre. Certaines d’entre elles ont déjà été amorcées : la parité, la limitation du cumul des mandats – encore trop timide –, le quinquennat. Les prochaines élections présidentielle et législatives seront l’occasion de débattre clairement de ces questions devant les Français. » Et en mémoire ressurgit alors le slogan de Lionel Jospin en 2002, « Présider autrement ». En réalité, le débat avait été tranché quelques jours auparavant lors du Conseil national du Parti socialiste le 2 décembre 2000 au cours duquel Lionel Jospin s’était clairement déclaré favorable à ce choix calendaire : « Alors mes chers camarades, ou il est juste de mettre les législatives après la présidentielle (…) ou ce n’est pas juste, et alors, il faut dire qu’on veut placer les législatives tous les cinq ans désormais avant l’élection présidentielle. Et qui ne voit que pousser cette logique du raisonnement jusqu’au bout est absurde, car les élections présidentielles seraient privées de sens. (…) la cohérence, puisque j’avais dit que c’était mon premier argument, c’est de rétablir le calendrier républicain. (…) C’est cette élection (l’élection présidentielle) qui a structuré la vie politique française depuis quarante ans et pas forcément à notre désavantage. (…) Alors on peut certes proposer de renoncer à l’élection du président de la République au suffrage universel mais qui y songe ? »13Gérard Grunberg, La gauche et les institutions, p.305-306.. La réponse de Paul Quilès est tout aussi lumineuse : « Je pense que dans la situation que nous sommes en train de créer, les élections législatives deviendront cette queue de comète du deuxième tour de l’élection présidentielle. »

Les éléments du crime sont dès lors installés : le quinquennat et le rétablissement – pardon « l’inversion » – du calendrier électoral. En réalité, en dépit de deux élections présidentielles remportées leur permettant d’accéder aux responsabilités, les socialistes d’alors n’avaient pas résolu leur problème d’avec l’élection présidentielle perçue à raison comme l’élection reine, et donc l’élément central, dirimant, de la Ve République. La candidature de Lionel Jospin à la magistrature suprême alors qu’il est le Premier ministre en apporte la preuve. Après tout, si on considère que cette élection ne doit plus être l’élément nodal de la vie politique, pourquoi s’y soumettre ? C’est bien parce que les socialistes, comme l’ensemble des forces politiques, savent pertinemment la place occupée par celle-ci dans le cœur de leurs concitoyens qu’ils s’y sacrifient. Et les résultats de l’élection de 2002 n’y changeront rien, bien au contraire. Elle sera vécue comme une occasion manquée. Cette question institutionnelle, et notoirement la place du président de la République, contribuera à structurer la vie interne du Parti socialiste au travers des motions du NPS (Nouveau Parti socialiste) ou bien de celle d’Henri Emmanuelli. Toutes deux, sans faire de la suppression de l’élection du président de la République au suffrage universel leur mantra, militèrent, avec des spécificités, pour la dévitalisation de cette institution, avec un mot d’ordre : un régime primo-ministériel.

Et si durant tous les congrès successifs, les différentes motions abordaient la question institutionnelle, jamais celle-ci ne fut définitivement tranchée clairement par les responsables et les militants socialistes. Entre une vision primo-ministérielle, le statu quo et une évolution assumée vers un régime présidentiel permettant un rééquilibrage au profit du Parlement, les hésitations ou les non-dits se succédèrent au gré des situations électorales et politiques. Ainsi, alors même que nombre d’éléments du projet de la réforme constitutionnelle de 2007 proposé par le président de la République issu de l’UMP Nicolas Sarkozy reprenaient des avancées souhaitées par la gauche (plus grande maîtrise de l’ordre du jour, encadrement de l’utilisation du 49-3, texte adopté en Commission débattu en séance publique, droits de tirage en faveur de l’opposition pour la création de commission d’enquête, etc.), la quasi-unanimité des parlementaires socialistes la rejetèrent. En 2011, le PS se penche de nouveau sur la question institutionnelle et, dans un rapport présenté par Manuel Valls, émet quelques propositions. Mais surtout il assume encore les choix du « quinquennat » Jospin : « Prégnant en France depuis 1962, ce « fait majoritaire » a été consolidé par la gauche, au début des années 2000, avec l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Il constitue un acquis précieux pour la stabilité du régime et l’efficacité de l’action publique. Il serait dangereux de le remettre en cause par la désynchronisation des élections ou l’usage de la proportionnelle intégrale. Ce constat nous oblige cependant à redéfinir l’équilibre des pouvoirs. Comme la solidarité partisane l’emporte toujours, in fine, sur la logique institutionnelle, il ne met plus aux prises l’exécutif et le législatif. Aujourd’hui, l’un et l’autre ne sont plus « forcés d’aller de concert » par le « mouvement nécessaire des choses » ; ils y vont volontiers au nom de la discipline de parti. Pour rester effective, la ligne de partage et d’équilibre entre les pouvoirs doit être déplacée, au sein même du Parlement, entre la majorité et l’opposition14« Pour une République moderne », p. 3.. » Il y a comme un goût de pomme acidulée à relire ces lignes lorsque l’on se remémore la vie parlementaire de la majorité entre 2012 et 2017. D’ailleurs, durant ce mandat si particulier du second président de la République issu des rangs du Parti socialiste, ce dernier produisit un rapport contenant 50 recommandations pour nos institutions. Celui-ci propose ainsi de revenir sur le « rétablissement » du calendrier rompant avec la logique prônée en son temps par le Premier ministre Lionel Jospin15Parti socialiste, « 50 recommandations pour nos institutions », 2015. et finalement fait sienne la logique de la dévitalisation de la présidence de la République, au profit d’un Premier ministre issu d’une majorité parlementaire élue un mois avant l’élection présidentielle. Celle-ci, qui est le moment électoral privilégié des Françaises et des Français si l’on s’en tient aux taux de participation (et ce même lorsque des élections législatives se tenaient entre deux élections présidentielles, comme en 1986, 1993 ou 1997) étant renvoyée en quelque sorte au statut de chrysanthèmes. Alors même qu’en leur temps certains d’entre eux faisaient campagne sous le slogan d’un « président qui gouverne », promettaient de « présider autrement », le temps était venu de renvoyer la présidence de la République en un lieu qu’elle n’aurait jamais dû quitter : celui de personnage symbolisant l’État. Alors même que trois de ses quatre dernières accessions au pouvoir – ce qui est normalement l’objectif d’un parti dit de gouvernement – étaient le fruit d’une victoire lors de l’élection présidentielle, celle-ci se voyait préférer les élections législatives. Singulière ruse de la raison. C’est comme si ce parti qui se veut de gouvernement ne parvenait pas à faire sienne cette élection – et c’est sans doute en grande partie vrai. Comme si, encore et toujours, celle-ci ne pouvait être que le fruit d’un césarisme mal digéré, avec le risque inhérent du populisme et de la personnalisation du pouvoir – ce risque étant évidemment absent de toute démocratie parlementaire, où les leaders politiques n’ont aucun poids ! La voix du peuple par le prisme parlementaire constituerait un idéal démocratique, tandis que la même voix populaire par le prisme présidentiel se rapprocherait d’un enfer démocratique.

De De Gaulle à Sarkozy : la droite et les institutions

La relation des droites françaises avec le concert institutionnel de la Ve République est à la fois plus simple et plus nébuleuse. Plus simple à l’évidence car, durant de très nombreuses années, il n’y avait en réalité guère de sujet. Les institutions voulues par le général De Gaulle ne pouvaient être que protégées puisque nombre d’acteurs d’une grande partie de la droite française étaient issus de cette branche politique. Cela ne les a pas empêchés pour autant de mener à bien d’importantes réformes. Quant à la branche que l’on pourrait rattacher à l’orléanisme, le seul président de la République qui en fut issu, Valéry Giscard d’Estaing, porta une réforme qui eut d’importantes conséquences – la possibilité pour 60 sénateurs ou 60 députés de saisir le Conseil constitutionnel – mais il se limita à ce seul sujet : nulle réforme sur la procédure parlementaire, pas plus que sur la durée des mandats ou, ce qui ne relève pas de la Constitution mais bien d’une loi simple, sur le mode d’élection des députés pour éventuellement contrecarrer le fait majoritaire. Évitée de peu en 1967, d’abord, en 1978, ensuite, la cohabitation huit ans plus tard, en 1986, s’impose à l’ensemble de la classe politique française, et plus particulièrement à la droite. Déjà une partie de celle-ci avait fait savoir par l’intermédiaire de Valéry Giscard d’Estaing, en 1978, qu’elle ne considérait pas qu’une défaite aux élections législatives obligeait le président de la République à écourter son mandat. Ce qui valait donc à la fin des années 1970 pouvait s’imposer au début des années 1980. Car, aux lendemains des élections municipales, et plus encore suite aux élections européennes de 1984, les jeux étaient somme toute faits : la droite allait revenir au pouvoir. Et si quelques-unes de ses figures d’alors, telle que Raymond Barre, estimaient que le président socialiste devait se démettre, la plupart d’entre elles rappelaient que rien ne pouvait l’obliger à présenter sa démission. Et l’expérience fit que non seulement François Mitterrand ne se démit pas mais moins encore ne se soumit. Pis, il accepta aisément le verdict des urnes (amoindri par l’instauration de la proportionnelle départementale avec un seuil d’éligibilité à 5%) en nommant à Matignon le leader de la coalition de la droite, Jacques Chirac16Nombreux sont ceux à y voir une preuve supplémentaire du délice tacticien du président de la République. Assurément cela n’est pas improbable. Peu envisagent d’y voir également, sinon tout autant, le résultat de la culture parlementaire d’un François Mitterrand fréquemment ministre dans nombre de cabinets de la IVe République…. Cette première expérience ne devait pas chambouler la vision institutionnelle de la droite républicaine puisque cette cohabitation ne devait durer que deux années et que, au final, perçue comme une parenthèse, elle ne saurait remettre en question l’équilibre des institutions héritées du Général. Preuve s’il en fut, alors que la situation politique et personnelle de François Mitterrand était alors bien différente, il n’y eut pas de débat, cette fois-ci, au sein de la droite pour savoir si une nouvelle cohabitation devait être acceptée en 1993. En revanche, conscient que l’élection présidentielle était l’élection reine de la Ve République17Pour reprendre le titre d’une tribune d’Édouard Balladur dans le journal Le Monde., Jacques Chirac cette fois-ci entendit se prémunir des affres de la gestion quotidienne en demeurant sur son Aventin afin de préparer l’élection présidentielle suivante. On sait ce qu’il en advint. Et si Jacques Chirac se fit tordre le bras, comme on l’a vu plus haut, pour admettre le passage au quinquennat, celui, issu de son camp – bien malgré lui –, qui prit pleinement à bras-le-corps l’évolution institutionnelle, ce fut bien Nicolas Sarkozy. C’est dès les débuts de son quinquennat – lors de son discours d’Épinal le 12 juillet 2007 – qu’il annonça sa volonté réformatrice. Pour ce faire, il mit sur pieds le Comité Balladur en lui demandant dans sa lettre de mission d’avancer des propositions « sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Cinquième République »18Ferdinand Mélin-Soucramanien, Pierre Pactet, Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2018, 36e édition, p. 395.. Porteur d’une clarification des articles 5 et 20 qui ne fut pas suivie par le président de la République, le Comité inspira néanmoins nombre des dispositions qui devaient entrer en vigueur lors de la réforme constitutionnelle suivante : limitation du nombre de mandat du présidents de la République, modification de l’article 18 permettant au président de la République de venir s’adresser au Parlement réuni en Congrès, modification de la procédure parlementaire, restriction de l’utilisation du 49-3, nouveaux droits conférés aux oppositions, etc. : les évolutions constitutionnelles, sur le papier, sont d’importance. Sans doute la réforme institutionnelle la plus aboutie et la plus ambitieuse, même si leurs mises en musique – par quelque majorité que ce soit – n’effacèrent pas le sentiment d’une absorption de la fonction gouvernementale par le président de la République. L’ironie de l’histoire fut bien que, alors que nombre de ces dispositions étaient pourtant réclamées depuis de très longues années au sein des différentes motions du Parti socialiste, l’ensemble des parlementaires issus de ses rangs (sauf un…) votèrent contre lors des débats parlementaires. Gérard Grunberg pouvait écrire deux ans après l’adoption de cette réforme : « Paradoxalement, l’instauration du quinquennat et la pratique présidentielle de Nicolas Sarkozy, en particulier l’effacement du Premier ministre qui, jusque-là, jouait le rôle de chef de la majorité parlementaire, même si le président de la République en exerçait en réalité la direction générale, ont, une fois votée la réforme des institutions, généré un début de renouveau du pouvoir parlementaire. Au point qu’au Parlement, et notamment à l’Assemblée nationale, l’opposition au pouvoir semble aujourd’hui surtout venir du groupe parlementaire de l’UMP19Gérard Grunberg, « La droite et la Ve République », Telos, 14 avril 2010.. »

Le résultat des dernières élections législatives a clos le cycle débuté par l’élection de Nicolas Sarkozy, avec des différences évidentes, caractérisé par un président de la République élu pour cinq ans et disposant d’une majorité législative suffisamment puissante – au moins sur le papier – pour conduire les politiques publiques sur lesquelles il avait fait campagne au premier tour, puis réussi à l’emporter au second tour. La mécanique d’une élection présidentielle précédant des élections législatives devant, immanquablement, conférer au président de la République nouvellement élu une majorité stable a vécu. Les raisons en sont tout à la fois conjoncturelles et structurelles20Nous nous permettons de renvoyer ici à l’ouvrage commis avec Sébastien Roy, Comment les Français n’ont pas fait la proportionnelle, Lormont, Éditions Le Bord de l’eau, février 2023.. A ainsi été signifiée la fin du fait majoritaire sans pour autant que naisse, dans ses décombres, une évidence proportionnelle. Et a émergé tout au long de ces dernières semaines le procès des mesures de rationalisation du travail parlementaire de la Ve République, et principalement celle du 49-3. On a ainsi vu fleurir sur tous les bancs, ou presque, politiques voire syndicaux, une mise en accusation d’un article, dont l’utilisation est pourtant bien plus corsetée que lors des débuts de la Constitution, symbolisant à lui seul tous nos maux institutionnels21On pourra ici utilement lire les contributions, bien différentes, de Gérard Grunberg, « Haro sur le 49-3 », Telos, 16 mars 2023, et Bastien François, « Vie et mort du 49-3 », La Grande Conversation, 5 avril 2023.. Il est à cet égard difficile de résister à un regard empreint de malice quand on constate que, alors même que cet article a été pensé par certains anciens présidents du Conseil, et par Michel Debré, comme un instrument de maîtrise du jeu parlementaire dans un cadre manquant d’une majorité stable, ses plus grands critiques se recrutent parmi celles et ceux faisant sans cesse profession de foi parlementariste. On n’osera pas rappeler que dans le modèle outre-Rhin, un gouvernement ne saurait être renversé que – c’est l’article 67 de la loi fondamentale – par le biais d’une motion de censure constructive. Cela signifie que le texte de la motion de censure doit prévoir le nom du chancelier qui se substituerait à celui faisant l’objet de la manœuvre parlementaire22Ce fut d’ailleurs le cas en 1982 lorsque Helmut Schmidt fut renversé au profit d’Helmut Kohl.. Ce dispositif a été imaginé, fruit de l’histoire allemande, afin d’éviter qu’un gouvernement ne soit renversé par une conjonction de groupes d’opposition incapables de s’allier pour constituer une nouvelle majorité. On n’ose imaginer, si cet article existait, les commentaires auxquels il aurait donné droit dans la période. 

Conclusion

Durée du mandat présidentiel, timing de l’élection des députés, éléments de la rationalisation du travail parlementaire, en attendant de voir le retour des critiques sur le rôle et la place du Conseil constitutionnel, peu d’éléments échappent à la critique. Somme toute, il n’y a là rien d’indécent à vouloir faire évoluer notre cadre constitutionnel. Bien sûr, on peut continuer à penser que le modifier par petites touches (parfois aux grandes conséquences) est non seulement opératoire mais plus encore légitime tant notre régime a fait preuve de sa plasticité. Après tout, pour beaucoup, les institutions de la Ve République ont su réconcilier les Français avec la République en elle-même. Et peu importe que celles-ci aient été modifiées à plus d’une vingtaine de reprises depuis 1958. La tentation est là et il suffit pour en prendre acte de constater la faiblesse, pour ne pas dire plus, des propositions en la matière lors des derniers scrutins, notamment de la part de la droite parlementaire. Jean-Luc Mélenchon, que l’on en contestât ou pas le fond, avait pour lui de porter un véritable projet constitutionnel – primo-ministériel, même si l’on pouvait relever avec ironie que la dernière campagne législative de la Nupes avait été somme toute extrêmement focalisée sur sa personne… Comme quoi la personnalisation à outrance n’est pas une caractéristique uniquement présidentielle. D’autres avant lui, ou en même temps, ont porté cette volonté de réaffirmer la prééminence d’un Premier ministre sur un président de la République voué aux gémonies – Arnaud Montebourg avec sa Convention pour la VIe République, notamment.

En réalité, le point de départ, refusé par beaucoup, pourrait être inversé : admettre l’élection présidentielle comme l’élection reine et la nécessaire revalorisation du Parlement, et bâtir un nouvel équilibre des pouvoirs à partir de ce prolégomène. C’est-à-dire in fine opter pour un régime présidentiel. Après tout, les responsables politiques furent nombreux à faire ce choix : Édouard Balladur, Philippe Séguin, Jack Lang, Claude Bartolone, Vincent Peillon ou François Hollande à l’issue de son mandat présidentiel. Lionel Jospin, dès 1991, dans L’invention du possible, en avait d’ailleurs fait la proposition : « la seule voie de réforme possible – si celle-ci doit être engagée un jour – me paraît donc celle d’un régime présidentiel à la française23Lionel Jospin, L’invention du possible, Paris, Flammarion, 1991, p. 79.. » Et contrairement à ce que l’on peut penser, dans un régime présidentiel le président de la République est loin d’être tout puissant, bien au contraire. Les chambres parlementaires disposent de pouvoirs – et de moyens – incommensurablement plus importants que ceux pouvant être reconnus au sein de la Ve République – et ils existent ! Toutefois, cela induirait plusieurs décisions lourdes : la suppression du poste de Premier ministre, la fin de la collégialité gouvernementale, la disparition de nombres d’outils de rationalisation parlementaire, un timing de l’élection des députés repensé24Soit dans la logique des midterms américaines, soit le même jour que le premier tour de l’élection présidentielle et avec un scrutin proportionnel dont les modalités demeureraient à préciser., un mécanisme de double démission du président de la République / dissolution de l’Assemblée nationale permettant au peuple – l’ultime souverain – de trancher un éventuel conflit insoluble entre les deux sources du pouvoir. À l’évidence, une telle option implique une réflexion approfondie sur l’équilibre des pouvoirs. Car une démocratie n’existe que par l’existence d’une dynamique de pouvoirs et de contre-pouvoirs. C’est cet équilibre qui fait démocratie.

  • 1
    Nous renvoyons ici, parmi une littérature nombreuse, au dernier article de Bastien François dans La Grande Conversation.
  • 2
    Le fait que la gauche demeurât vingt-trois ans dans l’opposition, si l’on admet que la participation éphémère de la SFIO aux débuts du régime ne rentre pas en ligne de compte, l’explique pour beaucoup.
  • 3
    Ce qui est somme toute logique puisque pour qu’une réforme constitutionnelle soit adoptée, il convient, si l’on respecte à la lettre la procédure de révision prévue dans la Constitution, de passer par l’article 89 qui dispose que le texte doit être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et par le Sénat avant d’être soumis au peuple par voie référendaire ou au Congrès. Or, sauf de 2011 à 2014, jamais la gauche ne parvint à obtenir une majorité au sein de la Chambre haute. Cette réalité politique empêcha à l’évidence François Mitterrand lors de ses vaines tentatives, notamment la dernière à l’issue du rapport du Comité dit Vedel en 1993.
  • 4
    Il convient ici de lire le petit billet publié par Édouard Balladur, alors secrétaire général de l’Élysée sur cette tentative avortée.
  • 5
    À l’Assemblée nationale et au Sénat pour les deux premières, seulement à l’Assemblée nationale depuis 1997.
  • 6
    Lionel Jospin, Propositions pour la France, Paris, Stock, 1995, p. 104 et suivantes.
  • 7
    On se permettra ici de souligner sans malice aucune la grande similitude avec les propositions du Comité Balladur de 2007 dont s’inspirera la réforme constitutionnelle de 2007-2008 conduite sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy…
  • 8
    L’Hebdo des socialistes, 9 mai 1997, p. 8.
  • 9
    Elisa Steiner, La genèse de la gauche plurielle, Rennes, PUR, 2021, p. 175.
  • 10
    Député socialiste, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, alors présidée par Bernard Roman.
  • 11
  • 12
    Rapport n°2791, Assemblée nationale, 12 décembre 2000.
  • 13
    Gérard Grunberg, La gauche et les institutions, p.305-306.
  • 14
    « Pour une République moderne », p. 3.
  • 15
    Parti socialiste, « 50 recommandations pour nos institutions », 2015.
  • 16
    Nombreux sont ceux à y voir une preuve supplémentaire du délice tacticien du président de la République. Assurément cela n’est pas improbable. Peu envisagent d’y voir également, sinon tout autant, le résultat de la culture parlementaire d’un François Mitterrand fréquemment ministre dans nombre de cabinets de la IVe République…
  • 17
    Pour reprendre le titre d’une tribune d’Édouard Balladur dans le journal Le Monde.
  • 18
    Ferdinand Mélin-Soucramanien, Pierre Pactet, Droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2018, 36e édition, p. 395.
  • 19
    Gérard Grunberg, « La droite et la Ve République », Telos, 14 avril 2010.
  • 20
    Nous nous permettons de renvoyer ici à l’ouvrage commis avec Sébastien Roy, Comment les Français n’ont pas fait la proportionnelle, Lormont, Éditions Le Bord de l’eau, février 2023.
  • 21
    On pourra ici utilement lire les contributions, bien différentes, de Gérard Grunberg, « Haro sur le 49-3 », Telos, 16 mars 2023, et Bastien François, « Vie et mort du 49-3 », La Grande Conversation, 5 avril 2023.
  • 22
    Ce fut d’ailleurs le cas en 1982 lorsque Helmut Schmidt fut renversé au profit d’Helmut Kohl.
  • 23
    Lionel Jospin, L’invention du possible, Paris, Flammarion, 1991, p. 79.
  • 24
    Soit dans la logique des midterms américaines, soit le même jour que le premier tour de l’élection présidentielle et avec un scrutin proportionnel dont les modalités demeureraient à préciser.

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